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Au crépuscule de
sa vie, Yacef Saadi est encore contraint de défendre
son honneur, dans un pays ravagé par le révisionnisme.
Yacef Saadi n'a pas la cote. Cet homme dont le nom est, avec ceux de Hassi Ben Bouali et Ali La Pointe, étroitement associé à la résistance dans la Casbah, fait l'objet d'une incroyable suspicion, alors qu'il est supposé être l'un des héros de la Bataille d'Alger. Au crépuscule de sa vie, il en est encore à expliquer, à fournir des preuves, à essayer de convaincre, à tenter de laver l'infamie et à préserver son honneur. En être réduit à ça, après avoir affronté les parachutistes français en pleine guerre d'Algérie, révèle une fin bien triste pour une génération qui gère décidément très mal sa sortie. Pourtant, rien n'aurait du entacher la réputation et le parcours de Yacef Saadi. L'homme était là au moment où il faut. Il a fait ce qu'il fallait pour l'Algérie. Il a mis un talent exceptionnel d'organisateur au service de la révolution, dans un moment crucial. Il n'a jamais prétendu être un analyste politique ou un décideur. Ce n'était pas un chef de la révolution, mais un maillon intermédiaire, sur qui se sont focalisés les projecteurs à un moment précis de l'histoire. C'était un homme de réseaux, au sens large. Il les a mis en place, élargis, exploités au maximum des possibilités de l'époque, pour organiser des attentats ou protéger des dirigeants de la révolution, peut importe. Quant aux choix politiques et les grandes décisions, ils ne relevaient pas de son ressort. Tirs croisés Cette fois-ci, c'est la parution de l'édition française du livre de Ted Morgan, « Ma Bataille d'Alger », qui met Yacef Saadi dans une situation délicate. Ted Morgan va loin. Il n'hésite pas à affirmer que Yacef Saadi a donné Ali La Pointe, Hassiba Ben Bouali, Mahmoud Bouhamidi et Petit Omar, qu'il a révélé leur cache aux agents de l'armée coloniale pour sauver sa peau. C'est une infamie, mais dans un pays qui a appris à vivre aussi bas, cela laisse des traces. Cette lecture de l'histoire revient de manière récurrente. Au-delà de la personne de Yacef Saadi, elle a porté atteinte à des personnalités prestigieuses, indépendamment de ce qu'on peut penser d'elles. Elle charrie une sorte de révisionnisme qui pousse à douter de tout ce que la révolution a pu créer comme grandeur. Yacef Saadi ? Un traitre. L'armée des frontières ? Des planqués assoiffés de pouvoir. Les trois B ? Un groupe de comploteurs professionnels. A se demander qui a organisé la guerre de libération, qui l'a dirigée, qui l'a faite et qui a réussi à la mener à l'objectif ultime, l'indépendance. Il est vrai aussi que le personnage Yacef Saadi prête le flanc à ce genre d'attaques. Lui-même a fait des déclarations indignes concernant d'autres moudjahidine et, surtout, de moudjahidate, comme Zohra Drif et Louisette Ighil Ahriz. Inattaquable Malgré toutes ses erreurs récentes, rien ne justifie la cabale contre Yacef Saadi. Celui-ci est protégé par les règles mises en place par le FLN-ALN. Une des plus célèbres recommandait au militant arrêté et fait prisonnier de tenter de tenir pendant vingt-quatre heures, voir quarante-huit heures, pour laisser le temps à ses différents contacts de couper les ponts. De l'autre côté, les militants étaient tenus de mettre en quarantaine quiconque était arrêté par l'appareil répressif colonial, jusqu'à ce qu'une décision soit prise le concernant. Qu'il soit libéré ou qu'il s'évade, la règle était stricte : rien ne garantissait qu'un homme, aussi aguerri soit-il, résiste après un passage entre les mains des tortionnaires. Préserver la révolution imposait des attitudes dures, parois limite, mais elles étaient nécessaires. Car en face, il y avait un système colonial redoutable, capable de tous les coups tordus. Il ne fallait laisser aucune brèche. Yacef Saadi a été arrêté le 24 septembre 1957. Ali La Pointe et ses compagnons sont morts le 8 octobre. Militants aguerris, ils savaient que Yacef Saadi, après son arrestation, pourrait être torturé, mis au secret, manipulé, faire l'objet de chantage. Un homme seul, aussi fort soit-il, ne peut tenir face à l'appareil répressif d'un Etat colonial. Entre les mains de la police coloniale, un homme n'est plus responsable de ses actes. Les précautions de base devaient forcément les amener à cette conclusion : couper le contact avec Yacef Saadi, et éviter les lieux qu'il pouvait connaître. Le reste, c'est une question de destin. Celui de Ali La Pointe, Hassiba Ben Bouali, Mahmoud Bouhamidi et Omar Yacef fut grandiose. |
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