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Où
va la Tunisie ? Dans quelques jours, le congrès du parti Ennahdha
va focaliser l'attention, susciter les commentaires, provoquer l'ire des uns,
la satisfaction des autres, l'inquiétude (la panique ?) de certains et
l'inévitable fascination de plusieurs observateurs, notamment occidentaux.
Programme annoncé, la sécularisation de l'action politique. Oubliée donc la dawla islamiya, la république islamique ? Le Califat (quatrième ou cinquième, on ne sait plus?) ? On peut y croire ou pas, la mutation serait d'importance à l'heure où des logiques souterraines se mettent en place. De passage, le visiteur enregistre et compile. Sans sortir de carnet, sans tendre de micro. A l'instinct? Ce que l'on capte, ce sont plusieurs petites musiques entendues ici et là, jamais de manière officielle, franche ou directe. Des messages subliminaux, des remarques anodines, des agacements à peine masqués, des emportements vite réprimés, des raisonnements ébauchés. Que disent ces voix diverses qui cherchent à modeler la Tunisie de demain ou qui, du moins, espèrent le faire ? Il y a avant tout l'idée que la révolution est terminée ou, plus exactement, qu'elle doit s'arrêter pour être sauvée. Sauvée d'elle-même? Car l'impératif, c'est la stabilité. Le mot tourne en boucle. Souvent, il va de pair avec sécurité. Les attaques armées dans le sud du pays, les accrochages et le démantèlement de filières dans les quartiers populaires de Tunis, les rumeurs, incessantes et multiformes, tout cela renforce cette exigence de stabilité. Il faut que les choses se calment, dit un interlocuteur qui reconnaît que ce calme peut sonner comme un renoncement politique. Souffler, le temps que les choses s'arrangent? Les communicants gouvernementaux n'ont pas encore eu recours à ce terme mais on sent que le mot « consolidation » est dans l'air. Au nom de cette stabilité, il est demandé de la patience. Celles et ceux qui manifestent à Kasserine ou dans les îles Kerkennah sont plus ou moins accusés de dépasser les bornes, de servir de sombres desseins, de faciliter, voire de prêter main-forte au complotisme revanchard. Mais qu'est-ce qu'une révolution si elle ne remet pas définitivement en cause l'ordre ancien ? Si elle ne se satisfait pas de solutions médianes ? Si elle refuse la tiédeur ? C'est aller vers la terreur, souligne un autre interlocuteur qui connaît ses classiques. L'exigence de stabilité, d'autant plus revendiquée que le contexte régional n'est guère rassurant, impliquerait donc l'abandon ou le gel des revendications sociales. Chômeurs de Sidi Bouzid, grévistes de Zarzis, soyez patients, le laboratoire tunisois concocte, réfléchit, se réunit en colloques et séminaires, accueille des foules d'ONG aux financements généreux?On y parle encore de la révolution, des défis, des urgences, mais, entre deux pauses-café, on se laisse aller à des considérations savantes sur le rythme idéal, pas trop rapide, du changement en période de transition. Pendant ce temps-là, quelques réformes se mettent en place. Trop peu nombreuses, affirment les bailleurs de fonds qui s'impatientent, qui ne comprennent pas ce qui se passe, qui aimeraient bien savoir ce que fait « ce » gouvernement. L'une de ces réformes interpelle. La Banque centrale de Tunisie (BCT) est désormais indépendante. Une grande victoire, disent ses défenseurs. La garantie que le pouvoir politique ne pourra plus l'utiliser pour manipuler les statistiques, pour faire marcher la planche à billets ou, tout simplement, pour donner un caractère artificiel à l'évolution de l'économie. Moue dubitative du présent visiteur. L'indépendance de la Banque centrale : tout ça pour ça ? Une révolution, des rues prises d'assaut, des morts et des blessés, tout cela pour adopter une pierre de base du consensus, libéral, de Washington ? C'est une exigence du Fonds monétaire international (FMI) et nous avons un besoin urgent d'argent, se défend un interlocuteur. Ah, oui, mais c'est bien sûr?Une réforme votée aussi par Ennahdha qui y trouve son compte puisque la BCT, mandatée par le gouvernement tunisien, pourra émettre des « sukuks », autrement dit de la dette halal ou charia compatible? Mais revenons à l'exigence de stabilité. Quel autre usage en fait-on que celui d'imposer, clandestino, des réformes plus ou moins libérales ? Eh bien, la musique décrite en préambule cherche à convaincre qu'il est peut-être plus raisonnable, qu'il serait plus censé, plus pragmatique? heu? peut-être?qu'il faudrait pour un temps, pour le bénéfice de tous, qu'il faudrait donc mettre le pied sur le frein quant à la justice transitionnelle. Voilà, c'est dit. Pas d'enquêtes, pas de jugements?Oh, se défend-on, il ne s'agit pas de pardonner aux cadors de l'ancien régime ni de permettre au couple exilé chez les Al-Saoud de revenir au pays?Mais, ajoute-t-on, il faut de la mesure. Du discernement (ah, beau terme que celui-ci, très efficace). Vous comprenez, la marche des affaires, le tissu économique, les investisseurs? Il faut que les gens soient raisonnables? Une révolution pour être raisonnable ? Pour pardonner aux filous et aux crapules ? L'air de ne pas y toucher, c'est ce message nauséabond que distillent quelques prestigieux producteurs de réflexion : de la justice transitionnelle, d'accord, mais point trop s'en faut?Pour la stabilité, bien évidemment. A cela, le présent chroniqueur n'a pu opposer que cette phrase : « no justice, no peace » la préférant à notre bon vieux « ulaç smah », ce « pas de pardon » algérien qui, telle une braise qui couve, finit toujours par naître ou renaître des injustices mal ou peu réparées. |
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