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« La
convocation d'un présent médiocre ou calamiteux, comme témoin à charge, contre
nous peut mettre en doute notre passé et mettre en cause notre avenir. C'est
pourquoi chaque Africaine et chaque Africain doit être, ici et maintenant, une
valeur ajoutée. Chaque génération a des pyramides à bâtir». Joseph Ki-Zerbo
« Le capitalisme entre dans sa phase sénile ». Samir Amin J'ai eu le bonheur de m'entretenir avec le Professeur Joseph Ki-Zerbo. Et avec l'éminent économiste et chercheur Samir Amin. C'était au cours d'un long séjour à Dakar, Sénégal où, tous deux, avaient élu domicile et les centres de leurs études et de leurs recherches. L'un était Professeur d'Université, l'autre, dans ses bureaux du Boulevard Lamine Gueye, se penchait, et se penche, encore, à plus de 80 ans, sur tout ce qui touche à l'Homme. Le professeur Joseph Ki-Zerbo, intellectuel et homme politique ne pouvait vivre dans le Burkina Faso dirigé par le Président Thomas Sankara. Pas plus que le maître Samir Amin ne pouvait vivre sous les régimes égyptiens qui l'insupportaient et l'insupportent encore. Sur ses divergences avec le Capitaine Sankara, le Professeur Ki-Zerbo ne dit que quelques mots. Me trouvant, sans doute, indigne de pénétrer sa pensée. Il est vrai qu'en introduction, je lui avais parlé de la fierté que le jeune capitaine Sankara m'inspira un jour qu'il entamait une visite officielle à Paris. Dans les salons du Crillon, prestigieux hôtel, s'il en fut, l'homme en tenue de para, béret, démarche sûre, faisait impression sur les journalistes invités à sa conférence de presse. Conférence au cours de laquelle il fut carré. Entier. Nous posions des questions et notions ses réponses définitives. Ce qui lui coûta la vie. Curieux que ces deux hommes ne se soient pas entendus. Le professeur Ki-Zerbo puisait, dans ses profondes connaissances du continent africain et de l'Humanité, tant d'exemples d'hommes qui levèrent le front. Comme Thomas Sankara dont il balaya, à ma grande surprise, l'évocation, d'un geste de la main. Il préféra évoquer, en intellectuel et universitaire, et non plus en politique qu'il était devenu, son « dernier livre, de plus de 1.200 pages » souligna-t-il, pour cerner une histoire millénaire et tellement méconnue, sinon niée de l'Afrique et de l'Egypte qui lui valut, sur ce dernier point notamment, de s'opposer, en partie, aux thèses d'un autre géant de la pensée africaine, le sénégalais Cheikh Anta Diop. Fallait-il penser, avec ce dernier, que l'Egypte fut une civilisation florissante - dans son essence ethnique noire - qui s'étiola à la suite de ses rapports avec d'autres ethnies ? Ou bien, comme le soutint, plus tard, Ki-Zerbo, ces apports dans le creuset égyptien n'étaient, nullement, à l'origine de l'«essoufflement» de l'Egypte pharaonique, déclin qui relevait d'autres facteurs historiques et scientifiques ? De cette conversation - un certain jour de l'année 1987 - au cours de laquelle, de sa vie passée il ne regrettait que sa bibliothèque laissée derrière lui, à Ouagadougou, comme s'il l'avait abandonnée, trahi, une somme de lectures et de notes, - je retins que, finalement, « l'Afrique reste encore à faire ». Le second fut le brillant économiste égyptien Samir Amin, directeur du Forum du Tiers monde, financé par un gouvernement nordique. Une sorte de Prophète avec sa chevelure blanche. Il injectait des analyses, en flots continus, que j'eus beaucoup de mal à assimiler. Il est vrai qu'à l'époque, annoncer une grande crise économique mondiale, structurelle, c'était aller à contre courant de ce qui se disait dans les salons. Et quelle était, donc, la place du continent africain, dans ce monde ? Sa contribution au recueil que préparait la défunte Agence panafricaine d'information, fille cadette de la non moins défunte Organisation de l'Unité Africaine, me parvint, 48 heures plus tard. Claire. En la relisant, aujourd'hui, je me demande pourquoi, il ne fut pas écouté. Je pensais à cet homme, en lisant un entretien qu'il a accordé, récemment et qui résume la situation dans le monde où nous vivons : la civilisation telle que l'on veut nous imposer, « éloge de l'initiative individuelle naturellement, mais aussi ses droits et libertés libéraux, voire même la solidarité au plan national » qui ne sont que prétentions. Mensonges même. En fait, dit-il, cette civilisation là « fait place à un système sans valeurs morales. Voyez les présidents des États-Unis criminels, ou les marionnettes et technocrates, à la tête de gouvernements européens, ou les despotes dans le Sud, l'obscurantisme (talibans, sectes chrétiennes et bouddhistes...), la corruption généralisée (dans le monde financier, en particulier) ... On peut décrire le capitalisme d'aujourd'hui comme sénile qui peut inaugurer une nouvelle ère de massacres. Dans une telle période, les protestations des mouvements sociaux amènent des changements politiques. Pour le meilleur et pour le pire, fascistes ou progressistes ». La crise des années 1930 a mené au Front populaire en France, mais aussi au nazisme en Allemagne, rappelle-t-il. Les sages dérangent. En dépit de leurs alertes, près de 60 ans après les indépendances, comme un fait exprès, aucune piste glissante, contre lesquelles ils avaient mis en garde, ne fut évitée. Les pyramides sont toujours à bâtir, selon la formule du Professeur Ki-Zerbo. Et « la valeur ajoutée », qu'il évoque s'est évaporée pour se condenser et nourrir d'autres cultures illusions. Ceux qui illuminent les sentiers empruntés ne sont pas responsables du chaos, en amplification, qu'ils dénoncent. Il n'est pas dans leur attribution sociale d'aller au-delà de la réflexion, à de rares exceptions près. Des analyses et contributions, notamment au cours de ces derniers mois, en Algérie, précisément, n'ont créé aucun séisme, au sein de classe dirigeante. Aucune interrogation. Quelques frémissements, sans doute. Tout comme, à l'échelle arabe, les mises en garde du Présidant Kaddafi à ses pairs leur prédisant le sort de Saddam Hussein et la destruction de leurs pays respectifs. Et nous continuons à prêter le flanc. Le quatrième mandat présidentiel, en Algérie, n'est pas loin de la présidence à vie de « l'empereur » Bokassa, du « président » Mugabe du Zimbabwe ou des monarchies pétrolières, propriétaires privés exclusifs du sol et du sous-sol de « leurs » pays. A quoi servent, donc, les intellectuels ? A mettre en garde contre les révoltes, la casse de l'Etat, à prévenir les manifestations et les vies perdues comme nous en connûmes. Sauf que ce sont autant de coups de bâton dans l'eau. Les démonstrations d'Octobre 1980, paradoxalement, ont conduit à la « réélection » du Président Chadli Bendjedid. Et à l'approfondissement des fractures. Dont l'aboutissement fut la meurtrière « décennie noire ». La leçon n'est, toujours, pas retenue. Parce que le balancier s'est fixé - après avoir atteint les deux extrêmes - un point central physique d'équilibre. Qui ne satisfait personne. Et nous cherchons et chercherons, longtemps, le « chaînon » manquant. Entre l'intellectuel et le politique. |
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