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Avec
l'arrestation de Salah Abdeslam, c'est la première fois qu'un terroriste de ce
niveau meurtrier est capturé vivant. L'horreur a enfin, un visage et un nom,
voilà que la foule hurle de nouveau pour qu'on le lynche, en place publique,
comme du temps de la bonne et vieille guillotine. C'est à ce moment que les
démocrates doivent résister à la tentation de répondre à la barbarie par la
barbarie.
Le débat déchire la classe politique française, depuis quelques mois avec les propositions sécuritaires proposées par le chef de l'Etat, y compris celles qui doivent modifier la Constitution. L'arrestation de Salah Abdeslam donne, aux esprits faibles, toutes les raisons d'exprimer l'animalité des hommes dans ce qu'il y a de plus ancien, en eux, la vengeance aveugle. Depuis l'abolition de la peine de mort, les sociétés qui ont opté pour ce choix se retrouvent, régulièrement, confrontées au débat sur sa peine de substitution. La perpétuité est, rarement, réelle et la polémique renaît à chaque soubresaut de la barbarie humaine. Or le droit et l'humanisme ne sont pas compatibles avec l'émotion. Il est, toujours, difficile de prendre la plume à contre-courant de l'opinion générale, surtout en la matière. L'auteur le fait, depuis vingt ans, dans la presse nationale, à propos de la peine de mort, en Algérie, (il est loin d'être le seul). Or la perpétuité réelle approche de très près la barbarie de la peine capitale. Il faut, sans cesse, rappeler aux lecteurs non convaincus, qui nous opposent, toujours, la naïveté et la faiblesse de nos positions, la fausse route qu'ils prennent, à chaque fois que la raison est remplacée par l'émotion ou les instincts. Ce que dit le droit Comme toujours, à chaque fois que l'émotion occulte la raison, c'est la même constatation. A ceux qui hurlent leur colère et réclament un renforcement sécuritaire, notamment par la loi, il y en a, toujours, un suivi ensuite par plusieurs autres, qui osent répliquer « mais cela existe déjà dans la loi !». Lors du débat sur la déchéance de nationalité, après trois ou quatre jours de délire des intervenants de tous genres, l'évidence a fini par avoir sa visibilité, la déchéance était déjà inscrite dans le code pénal. Alors, ceux qui ne le savaient pas ou l'ont oublié, souvent par l'emportement du moment, répliquent « oui, mais il faut l'inscrire dans la Constitution ». Ce que tout le monde sait, être inutile, mais il faut bien justifier la colère, a posteriori, et ne pas paraître ignare ou exalté. La perpétuité est prononcée par le jury, lorsque la loi le prévoit mais il s'agit de la peine maximale prévue. Pour les crimes d'une gravité importante, certains jurys n'hésitent pas à la prononcer. Le code pénal prévoit, cependant, que le condamné peut, au bout d'un certain temps, demander une libération conditionnelle. Raison pour laquelle le tribunal peut prononcer une peine de sûreté, c'est-à-dire un délai minimal, en-deçà duquel la libération n'est pas possible. C'est ce qui fait dire, à certains, que la perpétuité n'est pas réelle. C'est faire preuve de mauvaise foi pour deux raisons objectives. La première est que rien ne peut obliger le juge de l'application des peines à accorder cette libération. Puisqu'il n'y a pas d'obligation à l'accorder, on ne peut dire qu'elle n'existe pas sur le plan juridique. La seconde raison, encore plus objectivement contradictoire, est que la perpétuité réelle existe, déjà, dans le code pénal, depuis 1994, pour des cas bien précis, avec des conditions rigoureusement stipulées. Alors, si sur le plan juridique, l'argument de l'inexistence de la perpétuité tombe de lui-même, quel est le fond du débat ? Il réside justement, dans son élargissement au terrorisme, dans la critique d'une trop grande automaticité des réductions de peine et des libérations conditionnelles ou même dans un plafond trop bas, pour la durée des peines de sûreté, prévues par le code pénal. Et c'est, à ce niveau, qu'on peut, sérieusement, répondre à ceux qui souhaitent une perpétuité réelle. La perpétuité réelle, c'est tourner le dos à l'Humanité Le prononcé de la condamnation à perpétuité équivaut à un retour à la peine de mort sans que la société ait à subir l'atroce légitimité qu'elle accorde au bourreau pour son office macabre. Car la perpétuité réelle, c'est condamner à une mort lente et inéluctable. Un être humain qui n'a aucune perspective est un être mort. Et c'est, donc, nous ramener au débat sur la peine de mort. Personne ne peut nier que la terrible souffrance de ceux qui ont perdu un être cher, a fortiori, un enfant, sont en droit de ressentir une haine au point d'étrangler, eux-mêmes, la bête immonde. Nous ne saurions les blâmer mais ce n'est pas possible car l'Humanité a créé la justice, justement pour éviter que nous nous étripions, à chaque coin de rue. Mais l'idée de justice est allée au-delà de la simple précaution de l'ordre public. C'est une réflexion humaine, profondément ancrée dans son histoire de développement et de sagesse qu'il a fallu bâtir, siècle après siècle. L'être humain ne combat pas la barbarie par la barbarie sinon il renierait le chemin parcouru pour arriver à ce que nous sommes. Tuer un autre homme est une chose inconcevable qui heurte les valeurs de l'Humanité d'une manière brutale. Salah Abdeslam, comme les autres, mérite de très lourdes peines mais, derrière le monstre, il y a toujours un être humain. L'Homme est la plus belle chose qui soit et nous devons toujours croire en sa rédemption, même pour les plus sanguinaires. Salah Abdeslam est un jeune homme, certainement un abruti et un criminel, mais à sa sortie de prison, il aura plus de soixante ans. Si un homme ne change pas, au bout de trente ou quarante années de prison, alors il n'y a plus rien à faire pour le salut de l'Humanité. Nous pouvons, cependant, comprendre qu'il faut excepter les cas de pathologies ou de troubles profonds qui maintiennent l'individu dans un état de dangerosité qui ne permettent pas sa libération. Mais là également, l'argument à opposer est de dire qu'il ne s'agit plus de détention punitive mais d'enfermement pour soins psychiatriques, ce qui n'est absolument pas la même vision des choses. D'une manière générale, il ne faut pas oublier que la prison n'est pas seulement une réponse punitive, ce que personne ne conteste, mais également, une tentative de réinsertion. Les démocraties l'ont, hélas, oublié et s'il y a un échec, dans la politique pénale, c'est bien celui-là et non son supposé laxisme. La morale de Victor Hugo, nous l'avons tous entendue et comprise, mais on est loin d'être parvenu à fermer les prisons, à chaque fois qu'une école s'ouvre. Ou alors se poser la vraie question, qu'a-t-on fait de l'école ? L'enseignant que je suis ne peut s'empêcher de regarder la photo de Salah Abdeslam et de se dire que nous avons, collectivement, échoué. Derrière le monstre, il y a un visage presque poupon d'un enfant qui pouvait, comme beaucoup d'autres, réussir dans sa formation et son avenir professionnel. Sa barbarie ne l'a pas empêché de laisser s'exprimer, même pour un très court instant, son reste d'humanité lorsqu'il a versé des larmes, à l'annonce de l'explosion de son frère. Ce qui m'a, toujours, effrayé dans mon existence est que plus les collectivités se disaient religieuses, plus elles étaient promptes à la peine de mort1, au sang et à la répression aveugle. Soit elles n'ont pas bien lu les textes auxquels elles se réfèrent, soit elles s'en servent pour aveugler les consciences. C'est bien la preuve qu'il y a un échec de formation intellectuelle, chez Abdeslam comme chez des dizaines de millions d'autres. *Enseignant Notes: 1- C'est le cas des États-Unis comme de l'Arabie Saoudite. |
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