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Indubitablement,
les derniers rebondissements de l'affaire Khelil ont
révélé la complexité du puzzle algérien. Au moment où tout le monde s'interroge
où se dirigeait le pays et comment pouvoir s'en sortir suite à la chute libre
des prix du pétrole et le plan d'austérité subséquent proposé par le Premier
ministre A. Sellal via sa célèbre formule «serrez la
ceinture», le seuil de l'absurde aurait été franchi en ce 17 mars.
Le retour «triomphal» de l'ex-ministre de l'Énergie et des Mines a pris de court plus d'un. Personne ne s'est attendu à ce virage à 180° dans l'agenda de la nomenclature d'Alger. Pourquoi? Comment? Pour quels motifs? Provocation «populiste» ou réelle volonté d'appliquer les règles de justice dans un Etat de droit qui se respecte, en jetant la lumière sur les soi-disants graves «anomalies» d'un règlement de comptes maquillé en procès équitable à l'encontre d'un allié de taille du président Bouteflika? Voilà la foultitude d'interrogations faisant désormais partie de l'engrenage des premières préoccupations du citoyen lambda, que ce soit en plein coeur du quartier de Bab El Oued, à Relizane, Biskra, Annaba ou d'autres villes de l'Algérie profonde. S'y ajoute aussi une question, autrement plus inquiétante : les autorités savent-elles l'ampleur du mal qu'elles causaient à la société, en agissant de la sorte? Le pourrissement de la situation, s'il était le but recherché, ne servirait à vrai dire personne. Or à l'histoire sordide du quatrième mandat entériné en avril 2014 sans véritable consensus national par des clans aux appétits voraces et aux desseins obscurs vient s'agréger cette fois-ci ce lourd dossier de corruption aux implications mondiales (rappelons à ce titre que c'est par le biais du parquet de Milan en Italie que le scandale de la Sonatrach aura été dévoilé et pu prendre la dimension internationale qu'on lui connaît aujourd'hui). Mais rebelote : à qui profite le «come-back» de Khelil et pourquoi celui-ci a-t-il eu lieu dans les circonstances si particulières que vit l'économie nationale? Il est à remarquer que chaque fois que Amar Saâdani monte au créneau pour confirmer une rumeur, celle-ci ne tarde pas à se concrétiser sur le terrain. Ce que l'on aurait d'ailleurs constaté dans le cas Khelil. S'agit-il vraiment là d'un «recentrage définitif du pouvoir» au profit des civils dont le patron du F.L.N se réclamait déjà depuis longtemps? Ce qui accrédite la thèse de la mort définitive de la D.R.S. Autrement dit, la fin de mission pour ce «monstre», organe principal s'il en est par lequel passent les grandes décisions concernant les petits Rois choisis au palais d'Al-Mouradia. Qui plus est, diligente les enquêtes sur les affaires de corruption, et celles d'habilitation des hauts cadres d'Etat ainsi que les investigations dans la presse, les consulats et les ministères? A proprement parler, si l'on cherche bien dans l'historique de la D.R.S, on trouvera que derrière cette descente aux enfers ou ce «déboulonnage» systématique se profile l'ombre des grandes puissances les U.S.A et la France en particulier. Mais pourquoi? En effet, depuis l'attaque terroriste ayant ciblé la base pétrolière de Tiguentourine à In Amenas en janvier 2013 et l'intervention «fort» critiquée par les occidentaux de l'armée pour libérer les otages, la D.R.S n'a cessé d'être indirectement épinglée. Sous pression, son chef aurait d'abord cédé aux restructurations émanant de la présidence avant d'être, au final, évincé courant 2015. Il paraît qu'à la lumière de ce qui s'est passé, le plan global de la lutte antiterroriste au Sahel aura été remodelé pour plus d'efficacité et de rigueur. Mais cela justifie-t-il le transfert de pouvoir aux «civils» en Algérie et la mise sous la tutelle de l'Etat Major de la D.R.S alors qu'au regard des conjonctures géostratégiques régionales, cette dernière a bien su gérer les impondérables sécuritaires régionaux, surtout durant la crise de la Libye et celle du Mali? Un point d'interrogation! Et puis, l'Algérie est un allié important qui «hypermilitarisée», peut peser fort dans l'équation du djihadisme islamiste au Sahel et dans l'endiguement des flux migratoires vers le Nord. Or la relégation de la D.R.S au second plan plaide pour le contraire. Toutes ces données-là nous poussent plutôt à admettre une deuxième piste d'analyse, celle des multinationales et du grand compradore. Ces derniers exercent, il est vrai, une influence capitale sur les compagnies pétrolières et les pouvoirs politiques. Ils peuvent nous fournir une explication convaincante au «cas Khelil». L'antécédent argentin et l'imbroglio brésilien actuel sont des leçons riches en enseignements. Quoique impliqués dans les scandales financiers qui touchent «Petrobras» (l'équivalent de la Sonatrach au Brésil), la présidente Dilma Rousseff et le leader de gauche Luiz Inacio Lula délaissés par une large frange de la classe politique et montrés du doigt par l'opinion publique ont pu garder leurs positions au pouvoir. Le secret : sans doute les lobbies pétroliers reliés au compradore international. Or malgré une décennie de croissance favorisée par la montée en flèche des prix du pétrole, le dragon latino-américain bat de l'aile. La pauvreté augmente, les inégalités se creusent et tout n'est paraît-t-il qu'un écran de fumée pour ce géant du BRICS. Cet unique exemple est à même de donner le tournis aux belles âmes qui croient encore au sursaut salutaire des pays du Sud ans une démocratie véritable. De toute façon, la plaie de la corruption qui gangrène l'Algérie ne date pas d'aujourd'hui. De même que, faute d'une opposition structurée, une conscience citoyenne mûre, un quatrième pouvoir aux assises bien solides et euphorie rentière oblige, celle-ci s'est fortement exacerbée ces dernières décennies. Côté opposition par exemple, le F.F.S peine à se repositionner et à mobiliser les forces démocratiques disséminées, en puissant pôle démocratique dans le nouvel échiquier politique sécrété durant ces 15 ans de règne bouteflikien sans partage. Ballotté entre son opposition frontale au régime et sa forte implication dans le projet d'Etat Civil dont la teneur est, rappelons-le bien, «faussement» récupérée par le clan présidentiel, le parti d'Aït-Ahmed aurait relativement modéré son discours, en jouant à fond la carte du consensus et de l'apaisement social. Quant au P.T qui accuse à tort et à travers des cercles du pouvoir d'être derrière tas de scandales de corruption, il est déstabilisé par une fronde intérieure d'une rare violence. Et on ne sait pas encore si le mouvement de redressement qui le vise ne finirait pas par avoir la peau de son leader. Le reste des partis qu'ils soient radicaux ou «entristes» tournent dans l'orbite du système sans jamais pouvoir franchir la ligne des 18m. La réalité est là, amère et triste à la fois. Y-a-t-il alors une opposition en Algérie? Pas sûr, du moins sur le plan de la forme. Côté médias, les autorités serrent les vis, tout en prétendant tendre la perche aux journalistes. La politique du bâton et de la carotte aura porté un coup de grâce à ce secteur déjà noyé par la médiocrité et la pléthore de chaînes ainsi que de titres de presse qui ne valent pratiquement rien. Parler dans ce contexte de débats d'idées, d'enquêtes de terrain et de dossiers sérieux n'est malheureusement pas à l'ordre du jour. Tous ces facteurs ont fait en sorte que ce feuilleton marathonien des pots-de-vin et de la corruption ayant tenu en haleine et la population et la blogosphère perdure. Preuve en est que, déclaré persona non grata à Alger depuis quelques années et inculpé dans le scandale de la Sonatrach, Khelil parvient à revenir au bercail par le salon d'honneur comme si de rien n'était. Et il ne reste que les parades de la garde républicaine pour agrémenter le protocole. Parodie ou réalité! Les algériens n'en reviennent pas : c'est un spectacle des plus banalisés. Du jamais vu dans l'histoire et les annales nationales. Que s'est-il passé pour qu'un tel scénario soit possible et avec une telle célérité? Si par ce geste nos officiels veulent insinuer qu'une loi d'amnistie générale est en passe d'être légiférée, n'en serait-on pas donc dans la phase cruciale du «triomphe de l'impunité»? Et puis, cela ne fera qu'aggraver le délitement des institutions étatiques, déjà paralysées des suites de la longue maladie de Bouteflika, la bureaucratie administrative rampante et la méfiance des masses vis-à-vis des politiques? L'obsolescence du système est telle que cette nouvelle situation exige des révisions déchirantes et des prises de position courageuses de la part de nos élites afin de faciliter le travail de la justice. D'autant que ce climat délétère n'incitera jamais les investisseurs étrangers à venir chez nous et laissera les opérateurs économiques dubitatifs sur le degré de transparence de notre administration et surtout de notre capacité à gérer. En plus , la mise au ban des compétences binationales par l'article 51 dans la dernière constitution nous sera que fatale en ces temps durs de «la médiocratie managériale» et des vaches maigres. D'une part, cela s'apparente à une forme sournoise d'Apartheid à l'égard des nôtres. D'autre part, cela nous poussera, à coup sûr, à la sollicitation de l'expertise étrangère vu la baisse du niveau d'enseignement local dans nos écoles et nos universités. Or d'après Abdelouahab Aitouche, un haut fonctionnaire scientifique au département américain de la santé, un expert algérien coûte à l'Etat environ 1000 dollars par mois, toutes charges comprises et son homologue étranger environ 2000 dollars par jour! Sachant que 1000 dollars est équivalent au 1/10 tout au plus du salaire actuel d'un expert algérien moyen vivant à l'étranger (voir «Mohamed Staifi, «La fuite des cerveaux algériens est un bon placement à recouvrer», El-Watan n° 7719 du 17 février 2016). Au milieu de cet entrelacs, un dilemme kafkaïen en fait, l'Algérie demeure la grande perdante. |
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