Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
Que peut amener
comme conséquences une intervention militaire en Libye si ce n'est un foyer de
tension tout aussi supplémentaire qu'incontrôlable à tous les niveaux : militaire,
migratoire, économique, etc.? Et puis, comment la
France, première puissance instigatrice de ce projet belliciste, agirait-elle
cette fois-ci afin d'y faire face? Étant donné
qu'après les contrecoups négatifs de sa fameuse campagne de l'Harmattan
en 2011, ses forces sont maintenant disséminées un peu partout que ce soit sur
le front irako-syrien, sahélien ou centrafricain. En plus, l'impact de la crise
économique sur les couches moyennes en Hexagone et l'impopularité grandissante
du président F. Hollande à un an seulement du grand rendez-vous électoral de
2017 laissent planer le doute sur une décision allant dans ce sens
(c'est-à-dire une guerre-bis en Libye). Et, en dernier ressort, l'Algérie et
l'Égypte, les deux poids lourds de la région, fléchiraient-elles enfin leurs
positions, en acceptant de telles opérations? A
proprement parler, l'équation libyenne à plusieurs variables est pour le moins
insoluble. Après plus de 4 ans de post-révolution
marathonienne, le pays d'El-Gueddafi en sort affaibli
: infrastructures de base détruites, insécurité aux frontières, violence
intertribale portée à son paroxysme à cause du régionalisme, le djihadisme et la course effrénée vers le pouvoir entre
factions belligérantes, etc. Serait-ce là le funeste présage du guide qui se
réalise ou seulement le train cahin-caha devant accompagner toute démocratie ou
révolution naissante qui se met en marche? C'est
difficile de trancher.
Si à en croire certaines indiscrétions diplomatiques, une intervention militaire en bonne et due forme est envisageable à l'horizon des prochains 6 mois ou même en ce printemps en Libye, serait-il possible d'espérer une quelconque maîtrise de la situation? Peu sûr au regard des données du terrain! En effet, même si le secrétaire d'Etat américain John Kerry s'est montré très favorable à l'option militaire pour dénouer l'étau qui se resserre autour des autorités libyennes, il n'en demeure pas moins que le chaos régional ( Mali, Tunisie, Syrie, Irak, etc.,) le prive d'arguments valables pour recycler les théories interventionnistes des néoconservateurs. L'ancien ambassadeur français Patrick Haimzadeh croit par exemple que l'immixtion militaire des pays européens en Libye, sous quelque prétexte que ce soit, provoquera plus de problèmes qu'elle n'en résout. Le fait même d'y penser est catastrophique. D'après lui, la meilleure stratégie pour endiguer un enlisement dans la région est de superviser le processus démocratique de l'extérieur. A ce titre, les libyens, et eux seulement, peuvent se prendre en charge, régler leurs différends entre eux et décider de ce qu'il leur convient comme style de gouvernance. Autrement dit, des frappes aériennes ou une intervention seraient une aventure risquée d'autant qu'elles fragiliseraient davantage un pays complètement à la renverse. Certes, lors de sa rencontre le 22 janvier dernier à Davos avec son homologue français Jean-Marc Ayrault, Kerry aurait exprimé la volonté de l'oncle Sam d'en finir avec Daesh en Libye mais la question qui se pose chez les experts politiques est de tout autre nature : comment y parvenir sans dégâts collatéraux, c'est-à-dire, sans une contagion islamiste comme lors de l'intervention de 2011 et l'avatar malien? Pour rappel, le 16 février dernier déjà, le ministre de la santé tunisien s'est fort inquiété de la dégradation sécuritaire du voisin libyen au point même d'annoncer un plan d'urgence pour se préparer à l'afflux massif des réfugiés qui fuiraient, le cas échéant, les frappes aériennes de l'O.T.A.N. La réalité est que les Etats Unis ont comme pris sous leurs ailes les pays européens et ceux-ci à leur tour les arabes. La chaîne de cet écosystème n'est toutefois préjudiciable que pour les derniers. Or cette guerre par relais n'enchante pas trop les pays voisins. En Egypte, la suspicion est de mise. L'opinion internationale ayant cru que le maréchal Al-Sissi s'impliquerait durablement dans la crise de son voisin ont tort. Pour preuve, les F16 ayant bombardé les sites djihadistes en février 2015, en représailles à l'égorgement des 21 coptes revendiqué par la filiale locale de Daesh, ont vite rebroussé chemin. Mais pourquoi ce revirement politique? D'abord, Al Sissi sait que, susceptibles à toute velléité colonialiste, les Algériens voient mal une présence militaire égyptienne tout près de leurs frontières. Et ensuite, comment convaincre en interne une opinion publique réticente quant à la pertinence et à la validité d'une pareille action? A peine sortis de la parenthèse de Morsi, les égyptiens déjà trop traumatisés par les vents contraires de la révolution de 2011, sont pris en tenailles entre deux réalités à géométrie variable : une dictature d'ersatz faussement nassérienne et le dilemme d'un islamisme politique à double tranchant, à la fois «frériste» et «djihadiste». Face à ce scénario qui frise l'ubuesque, Al-Sissi n'a qu'une carte à faire valoir : jouer sur le registre d'apaisement, opérant en sous-main des menées secrètes en soutien à son allié le général Haftar (l'Egypte ne reconnaît en fait que le gouvernement de Tobrouk en conflit picrocholin avec celui de Tripoli dominé par les frères musulmans. Seul le premier est d'ailleurs «accepté» jusque-là du bout des lèvres par la communauté internationale). De son côté, l'Algérie se voit impliquée à son corps défendant dans ce conflit. Partant du principe de la non-ingérence dans les affaires internes d'un pays tiers, inscrit dans la charte morale de sa politique étrangère, elle est pourtant obligée d'y peser de tout son poids. Pour cause de pressions extérieures et de peur d'un débordement, elle est appelée à agir «en urgence» dans le sens d'un règlement pacifique de cette question sensible. C'est pourquoi, elle aurait somme toute consenti tant d'efforts depuis 2015, en réunissant plus de 200 importantes personnalités libyennes dont le chef islamiste Abdelhakim Belhadj à Alger pour des pourparlers dont les conclusions sont gardées top secret. Des sacrifices oui! Mais à quel prix réplique-t-on à Alger? Car, rien n'est gratuit en politique. Les autorités algériennes attendent, elles aussi, le retour d'ascenseur, c'est-à-dire, des garanties et des aides en cas d'un retour de manivelle ou de crise migratoire ou sécuritaire majeure en contrepartie, bien sûr, d'un soutien «tacite» de l'initiative occidentale. En règle générale, dans les stratégies politiques, un silence vaut un consentement. Bref, la crainte des flots interminables de réfugiés, la dispersion-infiltration des djihadistes sur son territoire et l'effondrement de ce qui reste des institutions étatiques libyennes la met sur une position défensive très «critique». Tout compte fait, si le ministre de la défense français aurait évoqué dernièrement le cancer de l'islamisme et ses métastases en Libye, c'est qu'il y a une intention manifeste de la part des capitales occidentales d'en venir le plus tôt possible à bout. Or l'Algérie et l'Egypte comme d'ailleurs la Tunisie, touchée elle aussi par une vague d'attentats terroristes sans précédent, blindent leurs frontières déjà hermétiquement fermées. D'où la dernière rencontre entre les deux ministres des affaires étrangères tunisien et algérien afin de coordonner les efforts pour une solution politique au long cours. En gros, les trois pays conditionnent toute intervention occidentale à une demande officielle faite au préalable auprès du gouvernement d'union nationale. Lequel tarde présentement à se mettre en place. Une manière subtile et assez diplomatique d'éviter les pressions occidentales actuelles et de repousser aussi loin que possible dans le temps le fantôme de l'O.T.A.N. Sans doute, la crainte d'engendrer un sentiment de haine anti-occidentale et surtout une vague d'extrémisme radical facilement récupérable par Daesh aurait mis les trois acteurs régionaux et même certaines capitales occidentales sur le même terrain de doute. Cependant, seule pomme de discorde entre Alger et le Caire : la reconnaissance de «Fadjr Libya». Un mouvement islamiste que le pouvoir d'Alger considère comme une partie prenante dans la solution globale et le Caire un ennemi juré à abattre. En même temps que Ennahdha d'El-Ghannouchi s'ingénie à trouver des points de convergence avec les islamistes de la Libye. |
|