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Se faire violence ?!

par Slemnia Bendaoud

Se faire « violence soi-même » est-il devenu, par la force des choses, ce seul remède ou unique modèle de revendication sociale, susceptible de répondre favorablement à un quelconque besoin urgent ou droit citoyen imminent ?

Tel est donc le produit ou la conséquence de la gestion de la chose publique selon l'humeur matinale du chef ou encore l'arrogance ostentatoirement affichée par son subordonné ! Sinon ce tout logique résultat dû à une absence criarde de tout projet de société pour une aussi grande et si ancienne Nation qu'est l'Algérie !

Entre le premier postulat et le second constat, entre cette toute plausible hypothèse-là et cette autre amère vérité, entre ces horizons bouchés d'un côté et cette piste brouillée de l'autre, il existe cependant beaucoup de points communs, de nature à aider le citoyen à dénouer l'écheveau de l'équation ainsi posée.

Emile Durkheim, lui, qui tablait dans la perception de la théorie des relations humaines sur une déjà supposée prédisposition citoyenne de l'homme, en serait plutôt fortement contrarié au point de se retourner dans sa tombe !

Dans ses rapports avec l'autre ou à l'autre, l'homme, ce noyau principal de la société, évolue dans le temps pour changer à chaque fois d'attitude et de comportement, dans ses actes et faits, de sorte à mieux affiner et faire évoluer ses relations avec ses pairs et semblables, à mesure que la science se découvre à lui et qu'il n'en tire, lui, finalement toujours que plus grand profit.

Dans l'organisation sociétale, la science, en perpétuel développement, aura beaucoup apporté au quotidien de l'homme, au regard des mécanismes propres à son fonctionnement moderne et principes cardinaux dans la gestion désormais de plus en plus rigoureuse des mouvements de population et des relations humaines.

Dans le chapitre innovation, des nations, plutôt jeunes, hier encore sous-développées, mais aujourd'hui non encore totalement émergentes, savourent, à leur manière, les plaisirs de la vie en décrétant une première : ce «Ministère du Bonheur »confié, en plus, à une très charmante et toute aussi jeune femme.

Il s'agit ?vous l'avez déjà sans doute deviné- de ce petit royaume des Emirats Arabes Unies (EAU), pays pourtant Arabe et Musulman comme l'est tout naturellement l'Algérie ?laquelle est en plus berbère dans ses origines-, ayant d'ailleurs durant la seconde moitié du siècle dernier adopté le même modèle de développement que le nôtre, en s'appuyant sur ses seules ressources en hydrocarbures mais en s'écartant cependant de cette folie des grandeurs algérienne d'aller vers une « industrie industrialisante ».

Un demi-siècle plus tard, ces deux pays ne se ressemblent plus ou guère ? Pourquoi donc toute cette grande différence entre deux pays, pourtant, au départ ou à l'origine, si proches l'un de l'autre ? Que s'est-il depuis bien passé pour qu'ils prennent ces deux tangentes si différentes ou diamétralement opposées ? Comment donc convenablement expliquer les raisons du décollage opportun de l'un et de la décadence déroutante de l'autre ? Quelle approche faut-il considérer ? Et quelle analyse il y a lieu de privilégier ? Et pourquoi ne pas interpréter d'abord les leviers de leurs positions actuelles en guise de rétrospectives à leur cheminement et développement si particuliers ?

Au «Ministère du Bonheur» comme apothéose du modèle de vie des populations des Emirats Arabes Unis correspond, sur un tout autre plan, ce quotidien paradoxalement si morose des Algériens, émaillé de ses fréquentes émeutes, violentes manifestations, privations de toutes sortes et ces autres automutilations, lacérations de chair et immolations par le feu, comme seules expressions revendicatives citoyennes.

Au développement harmonieux et équilibré, s'appuyant sur des ressources pérennes et très diversifiées, du pays cité en premier fait face ce déséquilibre structurel, aggravé par une dépravation en règle de ses ressources financières comme produit de sa précieuse rente de cette nation visée en dernier, devenue vraiment incapable de se départir d'une si mauvaise habitude qui lui colle encore et toujours à la peau comme une seconde nature.

La conjugaison des paramètres-clefs de ces deux équations démontre, au besoin, toute l'utilité de la célérité observée dans leur bonne utilisation et exploitation des ressources disponibles chez ce pays-là mais aussi tout ce désastre encouru par cette autre nation à gaspiller toute sa fortune et ressources naturelles dans des projets inutiles ou inconséquents.

Il reste, à présent, que ces deux nations se doivent, sans tarder, de détourner leur intérêt du produit de leur « brut » : la première pour en avoir suffisamment tiré profit ; tandis que la seconde, tout juste pour n'avoir su utiliser sa grosse manne financière à bon escient.

C'est donc à ce niveau-là que se croisent leurs chemins et que s'écrivent surtout leurs destins ! Si la chute des prix des produits pétroliers est presque un « non évènement » économique pour les Emirats Arabes Unies, chez l'autre pays, en l'occurrence l'Algérie, cela est plutôt synonyme de l'effondrement imminent de son économie.

Et c'est donc à ce niveau-là que se situe et se justifie ?apparemment et sous toute réserve- la création somme toute récente de ce « Ministère du Bonheur » pour cet Etat-là arrivé au sommet de son bien-être, mais aussi cette autre revendication citoyenne restée encore à son état brut et très violent pour cet autre Etat, cantonné dans son sous-développement durable en dépit de son immense potentiel.

Ces deux pays-là, plutôt bien comparables parce que très semblables, et sur tous les plans notamment, il y a juste cinq décennies, deviennent ?comble de paradoxes-, de nos jours, deux destinations vraiment très différentes, si ce n'est deux adresses très divergentes quant à leur condition de vie citoyenne, bien-être social, émancipation de leur peuple et autres projections d'avenir?

Avec du recul, l'Algérie aurait pu aspirer à mieux que cette peu enviable position où elle se morfond présentement si profondément. De quoi a-t-elle vraiment manqué ? Et pourquoi a-t-elle si étrangement régressé ? Comment faut-il interpréter cet échec ? Va-t-il encore durer ? Ce «Ministère du bonheur» peut-il être à sa portée ? Pourquoi ce qui est valable pour les Emirats Arabes Unis (EAU) ne l'est plus pour l'Algérie ?

N'est-il pas mieux indiqué de commencer d'abord par esquisser sinon expressément provoquer ce besoin pressant de communiquer? Entre éternels gouvernants et pauvres gouvernés ? Entre arrogant pouvoir et entêtée opposition ? Entre cette tendance et cette autre, entre ceux-ci et ceux-là !

Dans un état chimérique et fade, de démocratie de façade, les canaux de la bonne et utile expression de la communication se trouvent être malheureusement presque tous obstrués ! Sinon carrément tous hors d'usage ! D'où d'ailleurs cette continue contestation populaire, cette émeute qui rameute et que répriment pourtant très sévèrement les hommes en bottes, ce suicide devenu si fréquent, cette immolation par le feu en guise démonstration par dépit ou par défaut, cette automutilation sur le toit des administrations comme show médiatique de l'horreur, cette « harga » qui noie son auteur au large de la Méditerranée?

Comme conséquence logique à ce grave phénomène du manque flagrant de confiance mutuelle et de communication citoyenne, on improvise forcément d'autres méthodes peu orthodoxes ou moyens souvent détournés en vue de porter à la connaissance des autorités publiques la légitimité de nos revendications et la justesse de notre action par le recours parfois violent à la fermeture des routes, des administrations, des voies d'accès et de toute forme à la bonne expression du besoin citoyen ?

Le plus ridicule dans cette façon de faire, assez étrange tout de même, est que même les bras longs ou gros bras adoptent le même comportement et optent, ces derniers temps, eux aussi, pour cette même stratégie revendicative, en garant leurs voitures personnelles au-devant des issues des hôpitaux* et tribunaux** pour boucler leur accès aux citoyens et autres administrés, non pas pour un besoin urgent à portée générale, mais plutôt pour se faire justice eux-mêmes ou encore pour faire valoir des intérêts étroits et purement personnels !

Cité du bonheur ou quartier du malheur, le devenir de l'Algérie ne dépend finalement que du bon vouloir de ses propres enfants. Parler le même langage, se faire mutuellement confiance et communiquer utile et très sereinement est-il devenu cette entreprise si difficile à réaliser entre ces enfants d'un même peuple à un moment où c'est toute une grande nation qui est menacée de disparition ?

Revenir au réel n'est-il pas, en fait, ce tout début de solution appropriée et tant souhaitée ? Il reste peut-être à définitivement évacuer de nos esprits cet excès exagéré de l'égo démesuré qui détruit et nuit bien plus qu'il ne construit et instruit un quelconque modèle de société ! Qui fait dans ce culte hypocrite de la personnalité de nature à produire, en revanche, des citoyens de seconde catégorie !

(*) ? Article du Quotidien arabophone EchChorouk du 07 mars 2016.

(**) ? Article du Quotidien arabophone El Hayat du 06 mars 2016.