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La crise grecque offre une nouvelle chance à la chancelière allemande de
réorienter l'Europe.
Quand elle écrira ses mémoires, Angela Merkel consacrera une place particulière à Alexis Tsipras, avec cette mention : Tsipras m'a tuer. La chancelière allemande ne pourra en effet faire l'économie de revenir longuement sur l'étonnante aventure qui lui est arrivée en cet été 2015, lorsqu'elle s'est trouvée contrainte de participer à une série de réunions consacrées à un pays considéré comme le cancre de la zone euro. Au milieu de son troisième, et probablement dernier mandat comme chancelière, celle qui symbolise la force et la puissance allemandes, dans une Europe tiraillée dans tous les sens, pourra même remercier Alexis Tsipras. Le Premier ministre grec a en effet ouvert à Mme Merkel la possibilité d'entrer dans l'histoire par la grande porte, plutôt que de rester dans la postérité comme une bonne gestionnaire, excellente comptable, mais ennuyeuse et totalement dépourvue de panache. Angela Merkel est restée très populaire en Allemagne. Surfant sur les réformes menées au début du siècle par Gerhard Schroeder, elle a joué à fond la carte du consensus national, pour présider une large coalition qui a géré l'Allemagne avec beaucoup de prudence, respectant scrupuleusement les règles budgétaires européennes. Cela lui a permis d'afficher une croissance économique continue, avec un excédent commercial insolent, au moment où l'Europe était plongée dans la crise. Face à la faiblesse de ses partenaires, Angela Merkel a joué à fond la carte allemande dans les pays de l'ex-Europe de l'Est. Les entreprises allemandes se sont implantées en force dans ces pays, assurant leur prospérité, mais y faisant des bénéfices gigantesques. Cela s'est répercuté sur la situation économique en Allemagne, avec un chômage au plus bas, une compétitivité qui ne s'est jamais démentie, et surtout, des excédents financiers utilisés pour asseoir davantage encore la domination allemande sur l'Europe. Ceci a abouti à une situation redoutée, mais inévitable : l'Allemagne est non seulement la première économie de l'Europe, mais elle est devenue hégémonique. GENDARME ECONOMIQUE Une telle position donne des privilèges, mais elle impose aussi des responsabilités. Car l'Allemagne doit désormais veiller à la prospérité de ses partenaires les plus faibles. Elle doit, par exemple, maintenir le pouvoir d'achat des citoyens espagnols, grecs et portugais, pour qu'ils puissent continuer à acheter les voitures allemandes. Elle doit maintenir le standing des installations touristiques de ces pays pour que les ressortissants d'Allemagne, premier exportateur de touristes en Europe, puissent y trouver les meilleures conditions d'accueil. En un mot, elle doit jouer un rôle de « gendarme économique ». Mais elle doit surtout veiller à ce que l'image de l'Allemagne reste positive, ce qui est encore délicat en Europe. Le poids du passé est encore là, et la forte présence économique allemande dans de nombreux pays européens ne va pas sans quelques ressentiments. Tout ceci, Mme Merkel a réussi à le faire. Elle sait compter, et imposer les conditions allemandes dans l'avancée vers l'Europe. Mais quelle Europe ? Elle ne s'est pas rendue compte qu'une vague de remise en cause de l'Europe est en train de prendre de l'ampleur depuis des années. Cette contestation de l'Europe libérale et financière s'exprime aussi bien à travers les votes contestataires que par le biais du renouveau des particularismes locaux. Et puis, sont nés Syriza, et Podemos, le Front de gauche, et tant d'autres. Certains tiennent la route, d'autres non. Mais le fond est le même. Visiblement, les Européens sont attachés à l'Europe, mais pas celle qui se construit. Ils la veulent plus humaine, plus sensible aux faibles. Les budgets sont nécessaires pour bâtir un projet, mais ils ne constituent pas un projet. Il faut leur donner un contenu politique. Premier contributeur aux budgets européens, l'Allemagne est dépassée, en termes d'image et de préférence, par de nombreux autres pays. COMPTABLE, MAIS PAS VISIONNAIRE Syriza dévoile brutalement ce qui manque à Angela Merkel. Elle fait trop d'économie, pas assez de politique. Elle parle trop de budgets, pas assez des gens, des citoyens. Elle manipule les chiffres, en pensant que les gens vont suivre, mais elle se casse les dents. Et malgré tout ce qu'elle offre à l'Europe, elle se fait tuer par Alexis Tsipras. Celui-ci représente une autre conception de l'Europe, une Europe qui a une âme, qui sent le battement de la société et les pulsions qui agitent ses habitants. Tous les comptables le savent : la Grèce ne paiera pas la totalité de sa dette. S'acharner à lui imposer une terrible austérité, alors que son économie se meurt, n'a pas de sens. C'est ce que Mme Merkel n'a pas suffisamment perçu. Interrogé, il y a longtemps, sur une adhésion de la Grèce, qui ne remplissait pas encore les conditions fixées par les traités européens, l'ancien président français Valéry Giscard d'Estaing avait eu cette phrase brillante : « on ne peut pas laisser Platon à la porte de l'Europe ». Mme Merkel semble incapable de s'installer sur ce terrain. Pourtant, la construction de l'Europe a été d'abord une utopie, avant de devenir un traité. Les « pères fondateurs » voulaient la paix, la coopération, pour éviter la guerre et la destruction en Europe. Les traités économiques ont constitué un moyen, pas un objectif. Les budgets devaient servir à consolider l'entente, pas à en devenir l'essence. Le choc de la crise grecque va peut-être donner à Mme Merkel ce qui lui manquait. La forcer à comprendre ce qu'est la fierté d'un peuple, même pauvre. Lui permettre de pousser l'Europe vers de nouveaux virages, plus solidaires, plus excitants. La pousser à parler moins de déficits budgétaires, et s'occuper davantage de déficits humains, culturels, de déficits de bonheur et de bien-être. Au final, transformer Mme Merkel, qui était une bonne comptable, pour en faire une femme visionnaire. |
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