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Ils ont investi la politique, la mosquée et l'histoire. C'est à la
noblesse de faire d'un nom un homme. Sinon, l'argent en fait tout juste un
intérêt. Si la notoriété reste liée à un esprit notable elle n'est pas
l'apanage des notoires.
Je ne cite pas de noms, je ne raconte pas des histoires, ni des anecdotes les concernant. Je ne dénonce personne. Je désapprouve seulement un système de rente qui tente de s'élever comme une pédagogie sociale. Chaque ville connaît ses nouveaux riches. Elle connaît bien les mécanismes de l'accession et la roublardise des mêmes mécanismes. Elle les a vus naître, faire et grossir. Devenir riche n'est plus une haleine au travail. Le labeur ne paye pas autant que l'opportunisme ciblé et la chasse des bonnes occasions. C'est une affaire de dons, d'audace et d'aventurisme subjectivement positif. Comme une Boukala, cette affaire d'enrichissement « céleste » s'empêtre dans les amours des solides bornes, le long des étés pourris et des effets des lois de finances complémentaires. L'été, une saison longue comme le sont ses déplaisirs résiste et s'empêche de se retirer. A voir cet été qui chevauche sur un ramadhan sec et désaintétisé est un signe que rien ne va plus pour tout le monde. La multitude des frustrations que bourdonnent les foules lésées par les non-droits ou par le souci majeur d'un toit qu'elles ne verront que lorsque le faux plafond qui les quasi-abrite s'écroule, devient une récitation apprise par cœur et psalmodiée à cœur ouvert. Les autres cependant se la coulent en douceur sur les rives du centre du vieux continent. Là, les richesses s'émaillent au gré des frais scolaires des rejetons, des emplettes des madones et du flot d'un avenir qui n'est plus chez eux. Le pays, leurs sièges, leurs situations ne sont qu'une ressource qui emprunte une ligne de transfert illégal. Le jeu est faussé d'emblée. C'est à l'habileté malicieuse, l'esbroufe et la rapine de s'ériger en mode opératoire pour pouvoir avoir aisément un guichet de banque dans ses poches. La loi est ainsi mise à contribution du confort qu'aura à contusionner celui censé l'appliquer. Le jeu en ces récents temps n'a plus de règles. La seule règle, cependant admise au giron du management, est celle de cette oreille attentive qui se prête à toutes les barbotines. Devenir riche est, semble-t-il, une prouesse. Être pauvre est, tient-on à le faire admettre, un sort, une destinée, une décision divine. Cette fatalité n'a rien à voir ni avec les chèques, ni avec les rapports de force. C'est un enjeu au mieux faisant, au plus entreprenant. Certains veulent avoir le soleil exclusivement pour eux pour souffler le vent sur les autres. Le soleil en inondant le monde fait que ses rayons puissent toucher toutes les têtes. Leur rapacité est allée jusqu'à l'emprisonnement des bienfaits de la nature. Les lots sont leurs préséances. Les promotions immobilières leur canal blanchisseur. Un vrai lavage-dégraissage où toutes les scories de la malveillance, de la spéculation et des indues plus-values viennent y connaître une renaissance toute sonnante et trébuchante. On nous professe de jour en jour que rien n'est sacré, rien n'est définitif. Les démons désangélisés d'hier peuvent commodément vêtir le lendemain l'habit des archanges. Apres les avoir diabolisés. Encore qu'il ne pourrait avoir de stupéfaction quand on chuchote à grand bruit que les pestiférés d'une humeur peuvent être aussi ré-honorés par la même humeur. Les nouveaux fortunés ne proviennent pas uniquement de la dépense publique. Ils tirent leur origine d'un système où la compromission dans ces cas-là s'entend avec assourdissement. L'on croira en fait de la régénérescence d'un nom qu'une fois sa bourgeoisie physiquement visible est rattachée à un poste ou une fonction. Ainsi chaque jour, l'on voit un nom naître. Un fonds se constituer. Un sigle, une entreprise, un office se mettre en route. Le marché public, les transactions qui n'ont rien comme doute occulte, les commissions qui ne se lisent pas sont autant de dispositions à prendre pour rentrer dans le club des nouveaux nantis. On les voit promettre, simuler, poster, nommer et garantir des sièges et des centres de décisions. Loin de faire un lobby au sens didactique, ils ne sont que des faux modèles pour une société à peine émergente. Les classes n'existent plus disait un certain discours politique. On y a vraiment cru. Un autre plus naissant, plus récent suggérait la voie de les voir se réinventer. L'investissement. Un leurre. Car pourquoi l'un et pas l'autre ? La société nationale dans son temps faisait vivre la société dans toute son entièreté. Maintenant la richesse ne répand ses bienfaits qu'envers ceux qui en détiennent les commandes. A la base, en 1962 l'unique classe était celle des indigènes. Ces Algériens qui créchaient dans les taudis, dans les chaumières ou, pour les plus munis, dans de menues chambres installées dans de grosses maisons appelées Hara. Du moins pour les citadins. L'autre, qui n'est pas la notre était en face ; dans les villas, les pâtés de maison et les maisons de maître. La fortune passait alors telle une antonymie au nationalisme. Des années durant, le fil communautaire s'est détissé silencieusement au son de l'enchantement d'un socialisme spécifique pour certains et bénéfique pour les autres. Le riche est plus riche, le pauvre l'est toujours. Les uns ont remplacé les autres, et les autres le reste. Boumediene faisait choisir entre le pouvoir et l'argent. Dans son temps il n'y avait pas de tête qui osait sortir d'une poche pleine à peine de se voir plier. Après lui, les deux ont été élus pour faire un bon ménage. Avoir l'argent ne semblait pas leur suffire. Il fallait aussi s'affaler dans les fauteuils d'où émanent les signatures liées aux projets d'enrichissement. L'on ne se contente plus d'une entreprise, l'on veut aussi l'étage et ses bureaux. L'assemblée et ses groupes parlementaires. Dans cette Algérie, celle d'aujourd'hui, personne n'arrive à décrypter la voie par laquelle ces gens-là sont arrivés aussi rapidement à amasser tant de fonds. Sinon que par l'explication qui ne se dissimule plus et ne craint rien pour affronter publiquement les plus sceptiques, ceux gardant encore un brin de confiance dans le contrôle de l'Etat. Parfois c'est au nom de cet Etat que cet argent tombé du ciel s'accroît démesurément et demeure à justifier. Par hasard, cette ondée financière venue d'en haut n'est dédiée qu'à l'Algérie des grosses bâtisses, des itératifs voyageurs à l'étranger, des double-résidents off-shore. Pendant qu'une autre Algérie regarde, médite et attend. Le comble réside parfois dans l'envie tentaculaire et le désir sans frein de vouloir tout acquérir. Du libre laisser-faire à l'impunité. Les autres moins téméraires, les plus légalistes parmi la gent nantie se cantonnent dans leur décence et bravent la loi du doublement, de la génuflexion et de la déchéance des mœurs et des pratiques commerciales. Heureusement que ceux-ci continuent à alimenter le circuit des bonnes valeurs. Ils ne sont pas de cette espèce qui, de petits vendeurs à la sauvette, l'on se retrouve patron et gestionnaire de gros portefeuilles. Qui d'artisan maçons, l'on se retrouve en un consortium ou en groupe s'affichant à tous les panneaux publicitaires. Des parvenus ont pris les rennes de tant de secteurs et, par des procédés peu orthodoxes, ont pu aider à la construction d'un système qui leur va à merveille. Ils en tirent profit de tout bord. Ils sont aidés, sans nulle hésitation, par des paraphes d'octroi de marchés juteux. Derrière chaque mètre carré de goudron, il y a un virement qui ne tarde pas à venir gonfler un précédent. Dans chaque feuillet de bon de commande, il y a, d'emblée un avenant faisant foi d'un complément de main-d'œuvre qui ne se voit pas. Presque chaque grand permis de démolir et/ou de construire signale une complicité et un dessous de table. Ainsi va le nouveau monde de la finance opaque. Ainsi vont ses affaires. C'est cette instabilité incessante, cette rapide ascension qui a rendu la société et ses différents segments chaotiques et fébriles. Comment peut-on dans ces circonstances emmêlées distinguer le travail persévérant et la rente facile ? Ces nouveaux riches n'ont pas la richesse qualitative qui crée de la croissance économique ou apporte un confort aux citoyens. Le fisc est délesté, les routes sont biaisées, les immeubles hideux, les avaloirs obstrués. La qualité n'est percevable que dans les documents. La réalité est tout autre. La simple pluie dénude la duplicité, la banale réplique sismique dévoile le secret. Le contrôle ? Il n'est que documentaire. Les dossiers sont ainsi ficelés à coup de solides certificats qui en fait ne remplissent qu'une condition réglementaire formelle. L'importation reste à cet effet l'exemple le plus terrifiant dans le mensonge déclaratif. Les avantages fiscaux ont été une aubaine pour quelques aventuriers intrépides à la faveur d'une libéralisation inconstante. Comme la comptabilité, l'économie est aussi une science des affaires. Idem pour la débrouillardise. Le profit et le gain entraînent activement un équilibre à leur avantage par le truchement du contournement de la loi. Les clauses du droit acquis et le régime antérieur le plus favorable demeurent une chance décrétée inouïe. C'est que pour obtenir un registre de commerce, il suffit juste une copie de bail et une somme modique tenant lieu de frais d'inscription. En somme, dérisoirement on l'achète. Est commerçant, industriel, promoteur, importateur qui le veut. Aucune activité ne semble obéir à la réunion impérative de conditions professionnelles et techniques ou à peine de refus, de critères sélectifs pour la satisfaction d'un minimum de règles prévalant dans l'activité projetée. Le besoin national s'est joint bras croisés à l'impératif planétaire de l'ouverture économique et a fait produire hâtivement des lois et des « opérateurs économiques ». Après les notions des « objectifs planifiés » des « contingentements » des « AGI », viennent les listes de « marchandises éligibles à l'import » les feux verts de la « CCI » jusqu'à l'avènement d'une liberté de faire conditionnée par les « avis de débit » ou précisément les « domiciliations bancaires ». En fait, se sont les nouveaux clients des banques qui détiennent le pouvoir de fait de décider d'un acte lié au commerce international. Le pouvoir étatique omettait son rôle de régulateur et se confinait dans la fonction de comptage et de statistique. L'administration se diluait entre offices et agences et fluctuait d'une institution à des personnes. La dernière mesure de l'obligation du chèque est déjà dans le linceul. Le pouvoir est grandement en danger s'il se dissout dans la mania financière. Il est menacé d'être pris par le sou, si l'Etat, entité républicaine garant et régulateur ne se réveille pas pour mettre enfin un holà à ce folklore en tout genre. Peut importe en finalité de savoir justement qui exerce pratiquement le pouvoir. Des mythes et des réalités ont sillonné les éléments de réponse à cette interrogation. Des insinuations et probabilités ont été par ailleurs avancées à propos des anciens et des nouveaux, de l'armée et des civils, des riches et des enrichisseurs, des visibles et des invisibles. Mais en ces temps l'on voit bien ces nouveaux riches s'investir en tout. Les banques, les terrains, les élections, les honneurs sont à eux. Les chaînes et les médias aussi. Que leur reste-t-il ? Le paradis ? La religion ? Ils y sont pleinement dedans. Chaque mosquée est prise en charge par l'un des détenteurs de fortune dans la ville. L'on conçoit cependant mal cette équation illogique de faire de la charité en même temps que l'on est endetté et hypothéqué par ces nombreux prêts bancaires. Usure et affairisme peuvent ainsi, croient-ils, faire le bon essieu pour la vie d'ici-haut et celle de l'au-delà. L'outrecuidance va jusqu'à tenter tromper Dieu. A eux ce paradis ! Aux autres damnées de la terre la géhenne d'ici-bas et celle d'ailleurs. |
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