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Tout est donc parti d'un entretien télévisé d'une chaîne satellitaire
«algéro-étrangère», réalisé avec un de nos plus grands écrivains en vie, sinon
le plus grand, Rachid Boudjedra en l'occurrence. Qu'on l'aime ou non, là n'est pas
le problème !
A un certain moment, la question-piège, la question-clé, la question fatale, la question que tout le monde, du moins le croit-on ou l'a-t-on fait croire à l'intervieuweuse, attendait ; bref, la question «qui tue» : Êtes-vous un athée ? La journaliste savait et aurait dû pourtant savoir (peut-être ne le savait-elle que trop ?) à quoi il fallait s'attendre de la part d'un personnage tel que notre bonhomme ; un hyper-réactif, un personnage à forte et dure personnalité, les nerfs à fleur de peau, qui n'a jamais accepté qu'on vienne le «titiller» en direct, brutalement, surtout sur les composantes, de sa façon d'être et d'exister... un champ assumé, pleinement, depuis déjà les années 60. Se frotter à lui, sur certains points, n'a jamais été une mince affaire, bien qu'il restât, au fond, toujours un être, extrêmement, humain et humaniste, amoureux de la vie, de la liberté individuelle et de la justice sociale, compréhensif des autres, de tous les autres... sauf des intégristes religieux, terroristes par verbe et par armes... et, peut-être, ces derniers temps, et c'est regrettable, de la nouvelle vague de nos jeunes écrivains...pas assez nationalistes et trop «occidentalisés», à son goût! A plus de 70 ans, c'est encore plus délicat, sinon plus résolu. On devient , facilement, sans s'en apercevoir, conservateur (ou passéiste) quelque part. Bref, il a bien des défauts comme tout être humain... mais, avec moins d'hypocrisie et beaucoup de courage, il faut le reconnaître. Devant le légèreté des comportements des (encore jeunes) humains, et oubliant sans doute (l'âge n'aidant pas) leurs longues dents vampiriques cherchant toujours à offrir à leurs publics du san(g)sationnel (concurrence sauvage et informelle oblige !), la réponse est immédiate. Une sorte de contre-attaque et/ou une critique de la bêtise du «new-journalisme» bien plus qu'une réponse juste ! Il est vrai que notre homme pensait, semble-t-il, que l'enregistrement (ce n'était pas du direct), allait, comme convenu, semble-t-il, être monté après son accord préalable. Fi donc ! A partir de là, le débat est lancé, et la curée entretenue. Les réseaux sociaux, certainement avertis à l'avance, avant la diffusion, ont vite fait de prendre le relais. Les bien-pensants les rejoignent..... et s'enflamment. Les islamistes exultent. Les terroristes du verbe et du dogme se réveillent : après la dénonciation de la vente des boissons alcoolisées et (ou) sans alcool, après la jupe jugée trop courte, par un agent qui aime bien regarder, par en-dessous, les bas des femmes, et avant que l'on ne s'en prenne au hidjab trop «branché», voilà donc un nouveau sujet de bataille dans une guerre picrocholine qui n'en finit pas. On en arrive à une sorte de fetwa (qui ne dit pas son nom, mais qui n'en est, pas moins, une, aux yeux des parties du peuple les moins averties pour ne pas dire ignorantes de la chose intellectuelle), ressemblant étrangement à celle alors édictée par on ne sait quel enturbanné du cerveau contre Kateb Yacine : «L'athée (ou supposé tel... puisqu'on se base uniquement sur des propos presque colériques face à des positions... et à des interprétations de niveau élémentaires, sinon fanatiques du moins bornées) ne doit pas être enterré en cimetière musulman !». La «messe» est ainsi dite par un représentant ou responsable (éminent et respectable philosophe, par ailleurs) d'une Association nationale religieuse, non officielle et non gouvernementale, se posant en héritière d'une autre du même nom, historique et bien plus prestigieuse et bien plus modérée dans ses actes et ses propos. Voilà donc un empressement et un entêtement douteux dans un certain cercle de médiateurs sociaux et d'«intellectuels» (sic !), tout particulièrement à l'encontre des fabricants, surtout francophones ou supposés pro-francophones d'idées, nullement francophiles (encore que c'est là leur droit le plus absolu que de l'être). A noter que certains intellectuels arabisants ou bilingues en font, aussi, les frais tant pour leurs idées que pour la proximité . En matière de cette nouvelle forme de «mise à mort» médiatico-religieuse, les précédents ne manquent : On a eu Kateb Yacine par le passé, Benhedouga, Tahar Ouettar et Lacheraf aussi d'une certaine manière, puis Rachid Mimouni, puis Sansal, puis Matoub Lounès, puis Mohamed Arkoune, Amine Zaoui aussi, ...sans oublier la centaine de (vrais) journalistes assassinés pour leur plume contestataire et leurs idées non pas anti-religieuses mais seulement et simplement a-dogmatiques . - «Ah, notre Prophète, quel homme multiple et efficace ! (....). Comme je connais parfaitement les différentes péripéties de la vie du Prophète, je le prends, souvent, comme modèle dans tout ce que j'entreprends... Ce qui est singulier, c'est que le Prophète se présente toujours seul à mon imagination. Sans même la compagnie de ses amis les plus intimes. C'est, sans doute, son génie qui le condamne à une telle solitude, (Tahar Djaout, 1981). «La religion est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers Dieu à pied, s'il le faut, mais pas en voyage organisé (Kamel Daoud, 2014) . «Je ne suis pas un athée. Je suis de l'Islam soufi, celui d'El Halladj et de l'Emir Abdelkader. L'Islam est la religion du peuple et moi, homme de gauche, j'aime le peuple algérien (Rachid Boudjedra, 2015) - Trois citations à méditer. Elles résument, à elles toutes seules, l'islamité réelle, sincère (et non tapageuse) d'une bonne partie de notre intelligentsia, composante peut-être la plus ouverte à l'universel de notre société. Encore faut-il ? pour qu'elle ne se tranforme pas en communauté peureuse ou rebelle - qu'elle soit bien comprise et acceptée par l'autre partie, en vérité bien intolérante... jusqu'à l'agression. - Aujourd'hui, certains mass médias, tout particulièrement télévisuels «algéro-étrangers» ou «étrangement algériens», lui mènent la guerre relayant des prêches déjantés et des «avis» surréalistes de prédicateurs «numériques»... appuyés par les contenus de réseaux Internet qui n'ont, pour beaucoup, de «sociaux» qu'une appellation «non contrôlée». - Heureusement que pour l'intellectuel vrai, l'essentiel réside moins dans les critiques et les menaces que dans l'ouverture (volontaire ou non) de débats (publics ou limités à des cercles : littéraires, philosphiques, think tanks socio-culturels... n'ayant rien à voir avec les appareils d'Etat) sur des sujets alors (encore) tabous ; débats qui font avancer en douceur et en profondeur les idées et les choses . - Dans le cas de figure qui a engendré cette chronique, on peut donc remercier la journaliste concernée et sa chaîne d'avoir contribué au traitement public d'un sujet, jusqu'ici, presque interdit. Encore faudrait-il qu'il y ait beaucoup de Kamel Daoud, de Rachid Boudjedra, de A. Zaoui... |
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