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N'étant pas dans
le peloton de tête, sans pour autant mériter la sollicitude accordée aux
personnes les plus en difficulté, les citoyens, ceux de la classe moyenne,
commencent à sortir la tête.
Ils semblent se réveiller et veulent, désormais, peser dans les orientations et le destin du pays. A partir, déjà, d'In Salah ! La fronde des citoyens de cette daïra du grand Sud, et c'est une première dans l'histoire du pays, n'est pas liée à une quelconque revendication sociale et/ou économique puisqu'il s'agit de gaz de schiste et non plus de demande de logement social, de directeur qu'on veut « dégager » ou de recrutement qu'on veut satisfaire. On leur a bien expliqué, pourtant, aux gens d'In Salah que ce serait une erreur de passer à côté de cette « richesse », qui dort dans nos sous-sols et qui pourrait, à terme, se traduire par des profits intéressants pour le pays et partant, bénéficier aux gens de la région qui trouveraient, ainsi, raison de travailler et pourquoi pas prospérer. Seulement voilà, au même moment, d'autres voix ont résonné à leurs oreilles pour les alerter sur les conséquences de la fracturation hydraulique qui découlerait de « l'exploitation » de ce gaz ! Et Sid-Ahmed Ghozali vient d'ajouter sa touche personnelle, dans un entretien qu'il a accordé au journal électronique TSA, pour dire : « Chaque chose en son temps : il ne s'agit pas d'être pour ou contre l'exploitation du gaz et de l'huile de schiste, mais d'abord de chercher les gisements, de forer, de voir et d'évaluer les conditions d'exploitabilité économique et technique, y compris les aspects environnementaux et ainsi, définir les autres composants du modèle de consommation énergétique. Rassembler ces données prendra 15 ans pour décider d'exploiter ou non. Si l'exploitation de gaz de schiste n'est pas possible dans les courts et moyens termes, pourquoi alors précipiter un débat, si ce n'est pour le défigurer ? ». Et comme pour mettre un point final à ce débat qui n'est pas le point essentiel de notre chronique de ce jour, le vice-ministre de la Défense nationale, dans un discours prononcé à l'Ecole militaire polytechnique de Bordj El-Bahri, a déclaré : « (?) la défense et la sécurité nationales sont un tout. Y compris, donc, les choix économiques stratégiques de l'Etat (?) ». Au-delà des déclarations et des positions des uns et des autres, ce qui attire l'attention dans cette histoire de gaz de schiste réside dans le fait que, pour la première fois, tant de personnes aient envie de se regrouper dans un ordre parfait, pour écouter, discuter, poser des questions, éventuellement trouver des solutions, ce qui montre, aussi, qu'il existe, peut-être plus que jamais, un besoin de sens autres que ceux proposés par les hommes politiques, qu'ils soient du pouvoir ou de l'opposition ! Et la démonstration nous est faite dans le sud du pays, de la daïra d'In Salah, où la société civile, appelons-là pour les besoins de l'article « classe moyenne », tente de faire bouger les lignes. Elle vient de rendre publics ses desideratas, en faisant remarquer au passage que sa démarche est plus pacifique que politique. Cette classe sociale, moyenne avons-nous dit, rassemble un ensemble de populations hétérogènes, situées au-dessus des classes pauvres et au-dessous des classes aisées. La question de sa définition exacte reste délicate et explique que l'on parle, aussi, de «classes moyennes» au pluriel. Comme pour la pauvreté, il n'existe pas de définition objective des « classes moyennes ». Chacun peut placer la barre là où il l'entend. Jusqu'où peut-on aller ? Parler de « moyennes », pour des catégories situées parmi les 10% des plus aisées n'a pas grand sens. Pour clarifier le débat, remettons-nous à l'Observatoire des inégalités situé en France qui précise : « les 30% des plus démunis composent les catégories « modestes », les 20% des plus riches composent les catégories « aisées », et ainsi, les classes « moyennes » se situeraient entre 30% des plus démunis et les 20% des mieux rémunérés. Cela représenterait, selon ledit Observatoire, 50% de la population. Un chiffre considérable, en somme. Question : cette « classe moyenne », peut-elle, en l'état, faire bouger les lignes et gagner dans un face à face avec le pouvoir fort et peu disposé à céder ? Il est prématuré d'y répondre, dès lors que, pour l'instant, c'est le statu quo qui prévaut à In Salah. On peut, tout de même, réfléchir sur une réponse qui nous est fournie par le psychologue togolais, Foligan Foly-Ehke, qui soulignait que « ce que les sciences sociales montrent, comme l'intuition, c'est que ce ne sont pas les pauvres qui luttent et obtiennent les changements politiques. Ils sont trop occupés à survivre et n'ont pas assez confiance dans l'avenir pour rêver de changement. Les riches, pour leur part, sont soupçonnés d'être liés aux gouvernants, quand ce ne sont pas les mêmes. C'est donc des classes « moyennes » qu'on attend d'obtenir le changement, comme elles l'auraient, historiquement, fait dans les pays occidentaux. Notamment, dans le sens d'une modération démocratique. Ce n'est pas impossible, mais ça pourrait emprunter des voies -plus propres- à l'Afrique ». Ceci étant dit, les observateurs, et notamment nos médias, font assez peu attention au profil des personnes qui descendent dans les rues, pour contester, réclamer le changement ou demander plus de droits. Souvent, on ne veut voir que les leaders de l'opposition et les appareils politiques, qui profitent des mouvements, en tentant de surfer sur l'écume des revendications. Ils investissent les plateaux de télévisons pour donner leur avis. Souvent, aux lieu et place des experts, comme pour le gaz de schiste. Ce qui attise la colère des manifestants, ceux d'In Salah par exemple, qui se démarquent de tous les partis politiques, voire des élus et des notables de leur région qui, disent-ils, « ne cherchent que leurs intérêts ». La réalité, est qu'une société civile est en train d'émerger et de s'affirmer en Algérie, avec une réelle conscience des enjeux. Elle commence à avoir prise sur le débat, au moment même où la classe politique se déconnecte de plus en plus de la réalité du terrain. La classe « moyenne » a été laminée par la crise, disait-on ! Pas du tout. Elle aspire au bien-être, elle existe, elle est attachée à la modernité et elle est, surtout, connectée sur le monde à travers la télévision, Internet, les réseaux sociaux, Facebook, Twitter et Skype. Elle est aussi dans les associations. Elle agit et parfois réagit, comme dans cette histoire de gaz de schiste. Elle a aussi la capacité, non pas de mobiliser, mais d'entraîner une foule de citoyens englués dans la pauvreté et la misère et qui se définissent eux-mêmes comme des « sous-citoyens ». Ils existent ces sous-citoyens que les élites, les politiques, les décideurs, les riches, et puis peut-être nous, qui, pour l'instant, sommes à l'abri du besoin, ne voient pas ou ne veulent pas voir. Leur nombre est important. Ce sont ceux qui vivent à la limite, voire au-dessous du seuil de pauvreté. Tous ces SDF errant le jour et squattant les portes cochères la nuit, en quête d'un sommeil improbable. Ce sont, aussi, ces femmes qui élèvent seules leurs enfants et qui cachent leur honte lorsqu'elles se présentent au service social de leur commune pour demander une aide, aux restos de la « rahma » pendant le ramadhan, pour faire manger et habiller leurs enfants. Il y a aussi ce travailleur pauvre, originaire des confins du pays, qui dort dans la rue faute de pouvoir s'offrir un gîte décent. Ces personnes âgées qui survivent avec une misérable pension. Ces foyers où, malgré le courage des parents pour rester dignes, la pauvreté transpire. La liste est longue. Nous sommes tous responsables du nombre toujours plus grand de sous-citoyens, ne serait-ce peut-être que par notre vote, si tant est que le vote ait un sens dans notre pays; nous n'avons pas mis en place, aux commandes, au pouvoir, les femmes et les hommes, intelligents, compétents et surtout capables de mettre en œuvre de vrais changements. Et la classe politique dans tout ça ? Censée trouver et proposer des solutions pour le pays, elle est désorientée. Déjà, la situation est des plus incertaines pour l'opposition qui se cherche encore et qui, visiblement, n'est pas prête à se départir des conditions historiques qui l'ont, sérieusement, fragilisée. L'initiative du FFS, par exemple, bat de l'aile et certains ironisent, déjà, sur la feuille blanche pleine de ratures du vieux parti algérien. Le gouvernement, quant à lui, est sous pression; il doit faire face à des soucis financiers, mais aussi gérer une situation sociale en effervescence, le tout sur fond de rumeurs de remaniement et d'incertitudes sur l'agenda politique du pays. Quant aux patrons, par les temps qui courent, il n'y en a, décidément, que pour eux ! Un jour, c'est l'élection du président du FCE qui tient les médias en haleine et qui fait courir les ministres. Le lendemain, c'est un membre du Forum qui assène un cinglant « ferme ta gueule » à la secrétaire générale du Parti des travailleurs. Quelques semaines plus tard, c'est le patron des patrons qui fait la une de la presse, en faisant observer : « Il n'y a pas de secteur stratégique en dehors de la Défense nationale », ce qui fait réagir, immédiatement, Louisa Hanoune qui déclare : « Ces gens-là (comprendre les patrons) sont contre la règle des 51/49 et leur chef se permet, aujourd'hui, non seulement d'instruire les ministres, mais aussi de donner des orientations aux députés, de demander une loi de finances complémentaire et l'ouverture du ciel au privé ». Et comme dans une volonté de mettre un point final à ce débat qui agace, très certainement, en haut lieu et qui, paradoxalement, n'intéresse guère nos classes « moyennes », Ali Haddad répond à l'intéressée, sans toutefois la nommer : « Basta à tous ces gens qui passent leur temps à râler, à critiquer et qui bénéficient de privilèges, notamment à l'embarquement, tandis que les citoyens lambdas attendent 5 à 6 heures ». De ce qui précède, que faut-il retenir, si ce n'est le sentiment d'abandon exprimé par les ouvriers, les agriculteurs, les artisans, les fonctionnaires et les petits commerçants. Cet abandon se traduit dans le vocabulaire : on ne parle plus des classes « laborieuses », mais des classes « moyennes ». Tout est dit : les gens ne sont plus définis par le travail, mais par le revenu. Il est moyen, appréciation autrefois utilisée pour les élèves, afin de ne pas vexer les parents. N'étant pas dans le peloton de tête, sans pour autant mériter la sollicitude accordée aux plus en difficulté, les « moyens » n'intéressent personne. Pas tout à fait, puisque les patrons en cette période de disette et de crise se considèrent, désormais, comme des créateurs de richesses et d'emplois pour ces catégories, précisément. Ils sont parvenus à inverser les valeurs traditionnelles de la morale et croient, vraiment, que les classes « populaires » et les classes « moyennes » dépendent d'eux et sont des assistées ! Certes, le gouvernement agit d'une façon bien peu pédagogique, brouillonne, désordonnée. Certes, on peine à voir les perspectives de sortie de crise. Certes, les divergences entre ministres, le sentiment d'improvisation qu'elles créent, les reculades qu'elles génèrent sont, maintenant, de notoriété publique. D'où l'urgence d'un remaniement ministériel. On a vécu sur le mythe de « l'Etat-providence ». Aujourd'hui, on nous dit aussi « qu'il faut que tout le monde travaille ensemble afin de sauver l'économie ». C'est un message destiné beaucoup plus aux patrons qu'aux classes sociales. C'est apparemment l'option choisie par le gouvernement actuel, depuis notamment la dernière tripartite qui a consacré « le partenariat public-privé ». Cela comporte un risque : installer aux responsabilités des élites formées aux modèles de management privé, apolitiques, peu soucieuses du volet social, cherchant le gain à tout prix, donne l'étrange impression que l'Etat est une entreprise à conquérir, comme les autres ! Faut-il, alors, sortir les mouchoirs, dépoussiérer les vieux volumes de Marx et Engels ou espérer une réaction du gouvernement qui viendrait rassurer toutes les classes sociales sur le maintien de sa politique sociale, et ainsi démentir les propos de son ministre des Finances tenus à l'APN. |
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