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Des indicateurs indiscutables :
52 ans après la libération, l'Algérie continue à dépendre à 97 % des hydrocarbures pourses recettes en devises. Ces mêmes hydrocarbures constituent 35 % du PIB et fournissent à l'Etat 60 % de ses recettes fiscales.Le taux de croissance annuel est de l'ordre de 3 %. Or, les prévisions des démographes prévoient qu'en 2025, l'Algérie comptera 46,5 millions d'habitants dont plus de 70 % seront en âge d'arriver sur le marché de l'emploi. Au vu de ces prévisions, le taux de croissance devrait être supérieur à 8 % pour absorber une telle main-d'œuvre. Le montant des transactions sans facture s'élèverait durant les trois dernières années à 155 milliards de dinars, ce chiffre bien en dessous de la réalité selon les experts.Sur les 35000 importateurs inscrits sur le registre du commerce, 15000 figurent dans le fichier national des fraudeurs. Le montant des fraudes s'élèverait à 10 milliards d'Euros. L'économie informelle représenterait près de la moitié du PIB. En dépit de son immensité et de son potentiel connu depuis l'Antiquité, l'Algérie serévèle actuellement dans l'incapacité de nourrir sa population. Son agriculture n'intervient qu'à hauteur de 7 % dans la construction du PIB. Le gouvernement n'a pas d'autre choix que de recourir à l'importation massive de produits alimentaires. Une bonne partie du pactole pétrolier et gazier y est consacrée. Au contraire de ces besoins qui sont naturellement permanents, la ressource qui sert à les satisfaire actuellement est non renouvelable. Nul besoin d'être expert pour comprendre qu'une telle politique mène droit dans le mur. De plus, le gouvernement n'a même pas la maîtrise des prix des hydrocarbures. Ils sont soumis à des fluctuations dues à des causes qui lui échappent, l'avènement des Etats-Unis comme nouvel exportateur, le refus de l'Arabie Saoudite de réagir à la baisse des prix, attitude que lui interdit son dogme bien connu, qui accorde la priorité au maintien, quel qu'en soit le coût, de ses parts de marché. Une politique insoutenable Dopée par une aisance financière totalement artificielle, due à une conjoncture miraculeuse qui a poussé les prix des hydrocarbures vers des sommets inédits, les gouvernements algériens ont cédé à la tentation d'utiliser cette manne pour acheter la paix sociale. Une politique de soutien des prix pour des produits de consommation courante tels que l'huile, le sucre ou l'essence, d'octroi de subventions en tous genres, de prise en charge de la totalité des frais médicaux et pharmaceutiques pour les pathologies durables? a poussé les transferts sociaux à des montants irréels. Ils s'établissaient à vingt-deux milliards de dollars pour l'année 2014, soit le tiers des rentrées en devises. Loin de prendre en compte les nouvelles réalités du marché des hydrocarbures, le gouvernement a choisi la fuite en avant en faisant voter un budget pour 2015 qui prévoit un déficit de 22 % ! Songeons que les pays de l'Union Européenne se sont étripés parce que certains d'entre eux avaient des déficits légèrement supérieurs au montant maximal autorisé, qui est de 3 % ! La loi de finances prévoit pour 2015 une hausse des dépenses publiques de 15,7 % par rapport à celle de 2014. Les prémisses de la banqueroute sont là. Si elle n'est pas encore arrivée, c'est grâce au matelas des deux-cent milliards de dollars sur lequel le gouvernement devra puiser pour équilibrer ses comptes. C'est ce qui s'appelle mettre en gage les bijoux de famille pour des dépenses non productives, dont la seule utilité est de maintenir une paix sociale bien précaire. Dans le même ordre d'idées, le pouvoir a ouvert les vannes d'une importation tous azimuts. Le parc automobile a ainsi explosé. Les marchés sont copieusement achalandés en fruits exotiques. Les produits textiles, les téléphones portables, issus le plus souvent de Chine, s'étalent dans nos vitrines. L'Algérie est le pays méditerranéen, hors Union Européenne, qui importe le plus et qui exporte le moins. Les milliers de sociétés d'import-export créées pour capter une part de cette richesse fabuleuse sont appelées par dérision les sociétés d'" import-import ". Il y a certes des investissements utiles, telles que la construction de l'autoroute Est-Ouest, le développement du chemin de fer, le métro d'Alger ou les tramways d'Alger, d'Oran et de Constantine. Il faut relativiser ces " succès " en rappelant que les énormes prélèvements indus, du fait de la corruption, ont multiplié les coûts jusqu'à les rendre exorbitants. A titre d'exemple, l'autoroute Est-Ouest a coûté trois fois plus cher que la moyenne internationale, tout en étant de bien moins bonne qualité. Le reste est à l'avenant. Gabegie Les surcoûts cités plus haut relèvent naturellement de cette catégorie. La corruption est un cancer de la société algérienne. Elle plombe l'économie. D'autres pays la connaissent. Ils font avec et parviennent à limiter ses effets et leur économie demeure compétitive. En Algérie, elle atteint des niveaux tels que l'édification d'une économie efficace est de l'ordre de l'impensable. Mais ce n'est pas tout? Il y a également des problèmes structurels. On peut citer les entraves que constituent, en plus de la corruption déjà citée, une bureaucratie pesante, décourageante, et une totale insécurité législative. Les lois sont votées, abrogées, modifiées, interprétées d'une façon parfaitement absconse et avec une coupable légèreté. Les dirigeants des entreprises publiques, mais aussi privées, et leurs cadres se révèlent incapables de les organiser de manière rationnelle, de former leurs cadres, de mettre en place des démarches qualité afin, entre autres, d'obtenir des certifications nécessaires, gages de qualité des produits et de présence sur les marchés internationaux. Ces cadres fonctionnent dans une sorte de fièvre permanente, inutile, qui les conduit à l'improvisation, à un management d'impulsions, sautant d'une urgence à l'autre, d'une priorité à l'autre. Quant à exporter et à s'inscrire en tant qu'acteurs dans le concurrence mondiale, il n'en est même pas question ! Il y a donc une conjonction fatale entre un système politique qui décourage l'innovation et la prise de risque d'une part, et la mentalité archaïque des entrepreneurs installés dans une routine stérile d'autre part. Un exemple éloquent vient à l'esprit. A la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont proposé à l'Europe le fameux Plan Marshall, destiné à l'aider à se relever de ses cendres. Doté de l'équivalent de 120 milliards de dollars en valeur constante, ce plan, réparti sur quinze pays, leur a permis de se reconstruire, de se moderniser et d'amorcer la dynamique qui a donné trois décennies de croissance continue, de plein emploi et d'élévation sans précédent du niveau de vie, les fameuses " trente glorieuses ". Depuis 1962, l'Algérie a accumulé en devises, par la vente de ses hydrocarbures, l'équivalent de 10 à 15 fois le Plan Marshall. Est-il besoin de rappeler l'insignifiance des résultats au regard de l'immensité des sommes dépensées ? Plusieurs questions viennent à l'esprit. Les plus fréquentes ont trait à la destination réelle des fonds engagés depuis l'indépendance. Mais la question centrale concerne l'inadéquation scandaleuse entre les fonds investis et l'insignifiance des résultats. C'est de la réponse à cette question que dépend l'avènement d'un développement réel. Un rapport récent de la Banque Mondiale, intitulé " Doing Business " donne un classement de 189 pays sur la base des critères suivants : facilité de création d'une entreprise, facilités d'obtention d'un prêt, facilité d'obtention d'un permis de construire. Sur les 189 pays examinés, l'Algérie se situe à la 153ème place? Un peu d'optimisme On pourrait dire de façon un peu ironique qu'une petite partie de la richesse a été détournée de ses destinations principales qui sont le gaspillage et la corruption, au profit d'authentiques avancées sociales. Citons l'aide au logement, l'accès à la propriété, l'électrification des campagnes, l'accès à l'eau potable, la généralisation de l'éducation, le processus en cours de généralisation du gaz de ville, l'accès aux soins qui se traduit par l'augmentation notable de l'espérance de vie et le recul de la mortalité infantile. Un bémol, toujours le même. L'argent qui a permis cela vient aussi de la vente des hydrocarbures. Que le prix baisse, comme c'est le cas en ce moment, ou que ces ressources viennent à disparaître ou à être remplacées par des sources alternatives plus respectueuses de l'écologie, et ces conquêtes seraient totalement remises en cause. Ce chapitre clôt la partie de notre document qui concerne les symptômes. C'est celle qui se prête le moins à la polémique. Dans la suite, nous nous attacherons à identifier les causes de cette situation peu reluisante. D'ores et déjà, nous pouvons noter que le mal est profond, complexe et grave. * Physicien, Université de Cergy-Pontoise ** politologue, Université Paris-Descartes Sorbonne |
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