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C'est une chronique écrite il y a plus de deux ans, quelques jours après
les attentats perpétrés par Mohamed Merah dans le sud de la France. Après
réflexion, je n'ai pas voulu la publier. Peut-être pour conjurer le mauvais
sort, pour éviter d'avoir à jouer le rôle d'oiseau de mauvais augure.
Aujourd'hui, ce mercredi 7 janvier, alors que, comme des milliers de personnes,
je suis encore sous le choc de l'attaque terroriste contre l'équipe de
l'hebdomadaire Charlie Hebdo, je la cherche dans mon ordinateur mais je ne la
trouve pas. Peut-être l'ai-je effacée. Pour ne pas avoir à la ressortir. Pour
ne pas avoir à vivre ces moments difficiles que nous sommes nombreux à avoir
pressenti. Mais il ne sert à rien de chercher à conjurer le sort. Il ne sert à
rien de s'opposer à des mécaniques infernales enclenchées par des inconscients
et des apprentis-sorciers.
Dans cette chronique, j'évoquais cette peur récurrente que je ressens depuis des années, parfois au détour d'une réflexion, d'une lecture ou d'une simple prémonition. La peur d'un attentat d'envergure qui viserait Paris ou un autre endroit de la France. Un attentat qui serait perpétré par un groupe islamiste armé et qui stupéfierait l'opinion publique avant qu'elle ne bascule dans la colère, l'amalgame et la haine. Plusieurs de mes confrères partageaient cette appréhension. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, depuis ceux de Madrid en 2003 et ceux de Londres en 2005, nous savions que cela était possible. Que cela devait tôt ou tard arriver. Nous y sommes. Une grande vague de merde déferle sur la France et il va falloir nager à contre-courant? A chaque incident, à chaque fait divers, nombre de maghrébins vivant en France (ou en Europe) ont le même réflexe, la même pensée initiale, égoïste. Pourvu que l'auteur ne soit pas un musulman. Pourvu que celui qui a tué n'ait pas prononcé le nom du Créateur. Pourvu qu'il ne jette pas la honte et l'anathème sur des communautés tétanisées à l'idée de faire et refaire la une des médias. Pourvu qu'il s'agisse d'un extrémiste d'un autre camp. Je me souviens ainsi de ce que m'avait avoué un confrère indonésien vivant aux Etats-Unis. En 1995, après l'attentat d'Oklahoma City, en apprenant que l'auteur était un extrémiste blanc, il avait soupiré de soulagement, oubliant que des centaines de personnes avaient péri dans cette attaque à la voiture piégée. Ce qui vient de se passer à Paris est effroyable. Pour les Algériens, cela va rappeler les 110 journalistes assassinés par les groupes armés durant la terrible décennie des années 1990. Cela va réveiller de mauvais souvenirs, de vieilles angoisses que l'on croyait oubliées. C'est une entrée dans l'inconnu d'autant plus angoissante que personne ne sait, à l'heure où est écrite cette chronique, qui est l'auteur de cette attaque (l'un des assaillants aurait lancé avoir " vengé le Prophète "). Du coup, les vœux de bonne année, les bonnes résolutions, tout cela devient tellement dérisoire. Dans les prochains jours, nous allons vivre au rythme des nouvelles, des talk-shows, des péroraisons permanentes des spécialistes en tous genre et, peut-être, au rythme d'autres mauvaises nouvelles. Est-ce un acte isolé ? Est-ce le début d'une campagne de terreur ? On le saura bien assez tôt? Il ne faut pas se voiler la face. Malgré le discours unitaire et raisonnable du président François Hollande, il va y avoir des représailles. L'islamophobie si vive ces derniers temps, va en être exacerbée. Des milliers de personnes vont payer pour les actes d'extrémistes qui doivent savourer leur triomphe. Les lignes de fractures étaient déjà béantes, elles vont s'aggraver. Les islamophobes, les tenants de la théorie du " grand remplacement ", les racistes de tous poils vont pouvoir triompher et répandre leurs idées nauséabondes. Les attentats du 11 septembre 2001 ont libéré la parole raciste et xénophobe. Il est à craindre que ce qui vient de se passer à Paris en fasse de même. Les musulmans vont de nouveau être sommés de condamner cette atrocité. Qui saura reconnaître (admettre ?) qu'eux-aussi sont indignés et écœurés ? Dans un tel contexte, faire entendre une voix nuancée, qui condamnerait sans aucune équivoque cette tuerie mais qui refuserait les amalgames, sera difficile. Il le faudra pourtant. Il faudra dire et répéter que cet attentat est odieux, qu'il n'a ni excuse ni justification. Et, dans le même temps, il faudra dire et répéter que revendiquer cette condamnation ne signifie pas que l'on se joint aux apprentis-sorciers qui sèment la haine entre communautés depuis des années. Il est des journées que l'on n'oublie pas. Celle du mercredi 7 janvier a commencé tôt dans le froid glacial et dans la brume poisseuse qui enveloppait la capitale française. Elle a commencé avec une émission de radio où le service public a tendu un micro plutôt complaisant, ou tout du moins mal préparé, à un écrivain islamophobe patenté. En somme, un début de journée plutôt banal. Et puis s'est affichée sur mon écran la première dépêche annonçant la tuerie. C'est ainsi que j'ai compris qu'il me faudrait ressortir cette chronique longtemps mise de côté? P.S.: L'auteur de cette chronique adresse ses condoléances les plus sincères aux familles des victimes de l'attentat contre l'hebdomadaire de Charlie Hebdo. Il a aussi une pensée pour tous les proches des journalistes et intellectuels algériens que cette tuerie va brutalement renvoyer dans un passé de larmes et de douleurs. |
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