Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
« Pour ceux qui n'ont pas mérité le monde, soit en se rendant dignes de
son créateur, soit, d'une façon moins ardue en se rendant digne du cosmos, en
amenant de l'ordre et un certain degré d'unité dans la multiple confusion de la
personnalité humaine indisciplinée, le monde est, spirituellement parlant, un
endroit fort dangereux». Aldous Huxley
Il y a des plateformes sur lesquelles on érige des nations, celle-là-ci sont uniques, très rares, précieuses et très fragiles. Il y en a d'autres dont on s'en sert pour se maintenir au pouvoir et apprivoiser un peuple. Dans les deux cas nous sommes en présence d'une énergie non renouvelable. Si pour le premier substrat, Les conditions historiques fondatrices d'une richesse humaine et d'un destin national glorieux ne sont hélas pas reconductibles à volonté, Il en sera de même pour cette énergie fossile qui sert de substance à cette deuxième plateforme, manne si précieuse et maudite autour de laquelle se cristalliseront toutes les dissensions et les luttes les plus féroces. Richesse humaine et pétrole ne semblent pas faire bon ménage. La plate-forme de la Soummam s'est proposée de fabriquer des hommes et des institutions à l'abri de l'usure du temps et des assauts des usuriers, un destin à la hauteur de cette épopée algérienne, chronique de multiples résistances, héritage fabuleux de tribus éparpillées qui formaient à leur insu une grande nation avant l'heure. Une nation que les historiens doivent cesser de chercher aux alentours de l'Emir Abdelkader et encore moins dans les parages du FLN. Une nation où des hommes, peu importe leur nombre, leur origine ethnique ou leurs obédiences politiques et religieuses, ont toujours fait montre d'une farouche détermination à s'élever contre toutes les tyrannies qui prônent l'asservissement de l'homme. Bref ! Une nation dont les origines remonteraient à Adam. La plate-forme pétrolière quant à elle ne pouvait intrinsèquement produire que des ogres et une masse de gnomes, des appétits insatiables et une lente déliquescence des valeurs humaines. Un ancien officier de l'ALN dira un peu hâtivement: «Le congrès de la Soummam nous a donné ce formidable sentiment que nous avions déjà un État». Hélas, nous n'irons pas au-delà du sentiment, du vœu et de cette impression fugace d'avoir essayé de faire aboutir cette utopie. D'abord formés par la dure réalité de la vie et par les incessantes résistances que ce pays était voué à reproduire à l'infini, toujours contre un envahisseur qui semblait émerger de nulle part ou d'une autre époque ; et ensuite doutant d'un avenir précocement assombri par l'incompréhensible acharnement de certaines forces internes obscures toujours disposées à saborder les rêves de cette nation au nom de je ne sais quel dessein funeste ou pulsions irrépressibles ; une poignée de patriotes, terrorisés par nos démons internes et davantage soucieux de dissoudre ces menaces endogènes, se hâteront d'élaborer une charte qui témoignait déjà pathétiquement de la méfiance de tous les pères fondateurs de cette nation et préfigurant par là les échecs répétitifs que le pays ne cessera fatalement d'enregistrer jusqu'à aujourd'hui. En revisitant le texte de cette plate-forme, si une première lecture nous invite à voir des recommandations ou une clé pour fabriquer un état de droit , nous pouvons , en arrière plan , entrapercevoir ces mauvaises augures et ces sombres prémonitions que ce fameux congrès balancera à la face de cette nation embryonnaire à l'avenir déjà hypothéqué par autant de cupidité et de mégalomanie. Je me suis arrêté à ce fameux triptyque évoqué par ce congrès et qui constitue depuis l'indépendance un défi insurmontable, source de toutes nos errances : 1- La primauté du politique sur le militaire : D'entrée de jeu, on peut dire que l'Algérie optera pour un modèle institutionnel qui sera carrément aux antipodes de ce dogme. Le pays vivra au rythme d'un pronunciamiento constitutionalisé qui instaurera donc un système de gouvernance absolutiste et paranoïaque, claquemuré dans un bunker et prêt à éliminer toute forme de dissidence ou de contrepouvoir quelle que soit la légitimité dont se réclameront les forces d'alternance démocratiques tentés de disputer le pouvoir à ce Léviathan. Cette légitimité historique militarisée à outrance fermera irrémédiablement la porte à tout projet démocratique et instituera le règne de la violence et de la fourberie comme seuls instruments d'accès au pouvoir. A l'aide d'une bureaucratie ravageuse d'abord entièrement inféodée au pouvoir et ensuite à elle-même et à ses propres appétits et intérêts personnels. Au moyen d'un système policier répressif et d'une justice aux ordres. Prenant le soin de tuer dans l'œuf toutes les témérités politiques et intellectuelles à contre courant du logos officiel. Le peuple finira par disparaitre en tant qu'entité politique détentrice de cette fameuse souveraineté fondamentalement constitutive d'une véritable république. Désormais incapable d'être la source de tout pouvoir, le peuple évoluera à la marge de sa destinée, contraint d'échafauder de serviles stratagèmes qui desserviront tout projet politique, social et culturel commun et pérenne. Le flou politique régnant et l'éthique voilée par autant d'incuries, le progrès cessera de figurer parmi ses aspirations, la survie cristallisera toutes les espérances. Le peuple n'étant plus rien et le pouvoir régnant pour sa propre subsistance, l'informel envahira toutes les sphères de notre existence. 2- Le bannissement du pouvoir personnel et l'instauration du principe de la direction collective composée d'hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption? La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers. Il me semble que depuis plus d'un demi-siècle, l'Algérie se démène comme un diable pour donner vie à cette éthique politique et sociale, hélas ce ne sera que peine perdue, comme si ce pays était voué à ne produire que des forbans. Terre d'aventures au destin si exclusif et insaisissable, haut lieu de mythes et de chimères. Le premier président de la constituante n'en revenait pas lorsqu'on lui avait signifié qu'il n'y avait rien à constituer en dehors du parti unique hormis le silence et l'inconditionnelle allégeance. En1963, Ferhat Abbas, en parlant de ce qui allait devenir, selon ses propres termes la «République des camarades» disait : «Quand on veut fonder un parti, il n'est pas question de créer une catégorie de privilégiés et de super-citoyens. Ni d'institutionnaliser une autorité parallèle», il décrira ces nouveaux commis de l'Etat comme étant «des cadres budgétivores et profiteurs qui se désintéressent complètement du sort des masses» auxquelles, «ils imposent silence et mépris en faisant peser sur elles la menace». Ce sont « de nouveaux caïds» dira-t-il. La majorité des prophéties qui ponctuaient son discours finiront par se réaliser dans les délais les plus courts, il nous prédisait : «Un régime policier qui arrivera à brève échéance si nous n'y prenons garde? Un régime qui fabriquera des robots, des opportunistes et des courtisans». Trente années plus tard, Le défunt Mohamed BOUDIAF, conscient d'avoir été berné par les marionnettistes qui l'avaient ressuscité, avouera avec beaucoup d'amertume qu'il était illusoire dans ce pays de héros de trouver quelques gars intègres intéressés par le sauvetage de cette république grabataire. Son assassinat sera un chef d'œuvre et témoignera de l'extrême pourriture qui rongeait majestueusement le pouvoir au point de le rendre méconnaissable et intangible. Chose qui sera aussitôt confirmé par le président Abdelaziz Bouteflika, lequel ne pourra pas lui aussi éviter à la nation de voir se reproduire au sein de l'Etat les mêmes mécanismes dévastateurs : Corruption, gabegie, bureaucratie, népotisme, clientélisme, autoritarisme et autres violences multiformes. Les affaires liées au pouvoir personnel et à la corruption ont été la marque de fabrique de cet Etat algérien difforme. Subodorant tous les effets pervers de ces tares inhérentes à l'exercice du pouvoir, aucun prétendant à cette magistrature suprême qu'on a mis sur le trône ne pouvait hélas éviter au pays de subir les affres qu'on a toujours voulu lui éviter et au sujet desquelles les devins de la Soummam avaient tant glosé. 3- La lutte pour la renaissance d'un Etat Algérien sous la forme d'une république démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolues. Le lendemain de l'indépendance, et en se mettant avec dévotion à annihiler toutes les énergies qui devaient précisément donner naissance à cet Etat algérien sous la forme d'une république démocratique et sociale, nous semions à notre insu sur un terreau assez fertile d'ailleurs les pépinières de tous les intégrismes revanchards qui n'avaient d'autre projet que celui de faire perpétuer le chaos et l'anomie. Devant l'absence d'alternative féconde, fondatrice de progrès, de paix sociale et de stabilité politique, choix cornélien qui nous ramenait sans cesse à subir soit la bêtise d'un pouvoir sans visage et sans âme soit les assauts convulsifs d'un islamisme dangereusement anachronique , la porte devenait dès lors grande ouverte aux aventuriers et charognards de tous bords et autres puissances sur le pied de guerre pour qui cette zizanie séculaire autochtone était une véritable aubaine. Bientôt d'innombrables Etats arabes ou africains seront subrepticement repartagés sous formes de mandats qui ne disent pas leur nom entre des puissances qui ont trop attendu. L'article 22 du Pacte de la Société des Nations n'affirmait-il pas que «le bien-être et le progrès des peuples incapables de se gouverner eux-mêmes dans les conditions du monde moderne doivent être considérés comme une finalité sacrée de la civilisation.» La sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et la paix seront les seuls et ultimes motifs pour lesquels des croisades d'un nouveau genre ont déjà commencé à se mettre judicieusement en place et avec l'assentiment juridique et moral de tous. * Universitaire |
|