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UNE POUSSIERE D'ETOILES. Roman de Fadéla M'Rabet. Editions Dalimen, 114
pages, 600 dinars, Alger 2014.
L'ouvrage mérite bien son titre. Une poussière d'étoiles? toutes aussi flamboyantes que les autres. Des réflexions multidirectionnelles. Des chroniques à thème. Avec un axe : la liberté. Celle des femmes, certes, mais aussi celle de tous, hommes et femmes, non pas confondus mais ensemble. Femme à part entière, féminine («une façon d'être» ne dépendant pas des organes sexuels) mais pas féministe (au sens actuel du terme), femme libre et libérée, luttant contre toutes les injustices, ?.les dogmes et les tabous, sans être radicale, admiratrice de Hassiba, Djamila, Samia, Zohra? et aussi de Ali la Pointe, Maurice Audin et Djaout, elle a su trouver les phrases qui décrivent comme il faut et les mots qui «tuent» comme il se doit . Elle décrit la capitale d'un émirat à qui il «manque une âme», avec «des fils du désert qui ne sont pas dans la continuité, mais dans la destruction d'un patrimoine». Elle nous parle de la Place Tahrir occupée par la violence faite aux femmes ; faite par des «hommes rendus impuissants par des siècles de soumission aux dictatures? et qui prennent l'hymen des jeunes filles pour la Bastille?» . Elle nous conte Vergès, «le dieu de la maîtrise de soi». Elle raconte Zohra Drif. Elle défend les «étrangers» qui ont lutté pour l'Indépendance de l'Algérie? sans tomber dans «le confusionnisme mental et le syndrome de Stockholm» d'un de nos écrivains, «un des plus médiatisés» (devinez !) qui disait que «nous avions la passion des Français», oubliant que la passion est une pathologie, et qui atteint surtout les gens «d'en haut». Il y a aussi la religion mal interprétée et, surtout, mal appliquée générant l'obscurantisme. Les enfants qui n'ont pas de nostalgie et qui n'ont qu'une seule obsession : gagner de l'argent pour ne pas rester pauvres comme leurs parents. Les foules d'hommes solitaires en Algérie qui semblent se poser une seule question : comment se débarrasser de la femme ? Les visées et les virus destructeurs des puissances occidentales corruptrices des oligarques locaux et de potentats du Moyen-Orient. Résultat des courses : Les Algériens sont toujours dans l'excès pour le bien comme pour le mal? le plus cruel étant le mal consensuel qui s'exerce sur la femme. Avis : Un essai ? réussi ! Des étoiles éblouissantes. A conserver comme livre de chevet. Madame, faites-le lire par votre? homme. Et, même par vos enfants (lycéens et plus), pourquoi pas ? Extraits : «Les tours dans le désert sont le symbole de l'acculturation de l'homme arabe aliéné. Elles sont les images d'une perte d'âme et de culture» (p 18), «Cacher les femmes pour les protéger, c'est comme proposer à cacher toutes les souris pour qu'elles ne soient pas mangées par les chats «(p 24), «Il y a deux catégories d'individus : ceux qui devant une personne se demandent ce qu'ils peuvent lui prendre et ceux qui se demandent ce qu'ils peuvent lui donner. Les prédateurs et les donateurs ? On les retrouve partout, quel que soit leur pays. Chez les riches et chez les pauvres» (p 43), «Penser, c'est douter, c'est soumettre à la critique de la raison le pouvoir politique comme le pouvoir religieux, les dogmes comme les tabous» (p 53), «Chaque individu , quand il est libre, est un être singulier, parce que son histoire est unique» (p 54), «Le héros doit mourir parce que vivant, il est un reproche, un remords» (p 67), «Le Maghreb n'est pas l'Orient. C'est dans cette faille que se situe le drame de l'Algérie» (p 99), «L'ignorance est l'humiliation la plus cruelle de la génération au pouvoir depuis l'indépendance, et cette humiliation est génératrice de despotisme, de haine, de barbarie» (p 112), «C'est la prison des esprits qui est la plus dévastatrice , parce que ses effets se prolongent sur plusieurs générations» (p113). LA COLLINE OUBLIEE. Roman de Mouloud Mammeri. El Dar El Othmania Edition & Distribution, 114 pages, 350 dinars, Alger 2007 Un livre qui date de 1952. Premier roman de l'auteur. Porté à l'écran par (feu) Bouguermouh en 1994. Il était donc tout à fait normal que l'auteur, alors âgé de moins de 35 ans, s'«auto - analyse » à travers la microsociété au sein de laquelle il est né, a grandi, a vécu, a aimé, a haï (peut-être), a rêvé, a pris conscience des problèmes sociétaux, culturels et politiques existants, ou alors qui s'annonçaient (avec l'évocation lointaine mais bel et bien présente à travers la mobilisation des jeunes gens du village) ? Les romans engagés ont suivi par la suite. Une démarche intellectuelle que seuls les plus grands réussissent à s'imposer avant de commencer à «délivrer des messages ». Le déclenchement de la guerre de libération nationale (dont on devinait, déjà, la survenue à travers des faits en apparence anodins) a accéléré le processus de «prise de conscience » nationaliste. La colline oubliée ! Comme un monde à part. Un monde parallèle? à quitter au plus vite (sans jamais totalement l'oublier, car tant et tant de rêves y ont été faits). A lui tout seul tout un programme. Toute une image, presque figée pour l'éternité. Tout cela nous ramène loin, très loin en arrière. Et pourtant, malgré tous les bouleversements, la vie est restée (presque) la même. L'auteur nous la décrit sous toutes ses coutures, de la plus visible à la plus intime. Une société millénaire qui reste enfermée dans ses us et coutumes ce qui, à la longue, use les volontés les plus osées. Avis : Peu paraître très décalé (rétro !) pour les nouveaux (les jeunes) lecteurs. Mais un classique restera toujours un classique. Les écrivains en herbe y apprendront l'art de la belle, bonne et toujours compliquée construction littéraire. Extraits : «L'amour vrai est égoïste » (p 38), « Faire n'importe quoi n'importe quand, voilà le secret du bonheur » (p 38), «Je laisse la fortune à ceux qui se préparent une vieillesse heureuse : le bonheur les atteindra en même temps que la décrépitude et ils mourront riches, sérieux et tristes » (p 49) LE DEVOIR DE VIOLENCE. Roman de Yambo Ouologuem. Editions Apic, 114 pages, 350 dinars, Alger 2009. Seulement en 2003, après 30 ans d'absence dans les librairies, réédition de cette œuvre majeure de la littérature dite africaine. Un livre (le premier, le seul? puis le silence) qui a beaucoup dérangé à l'époque, en 1968, date de sa première parution? et bien qu'encensé au départ, et qu'il ait obtenu le Prix Renaudot, il fut, par la suite? littéralement laminé (avec une accusation de plagiat pour mieux «tuer » l'auteur, un malien ? qui ne s'en est jamais remis, se retirant de la vie publique, s'étant aperçu que les lobbies de toutes sortes et en tous lieux étaient les plus forts) . Pourquoi tout cela ? Il démonte, tout simplement, le paisible concept de «négritude » (concept jusque là encouragé par les africanistes et des intellectuels africains proches de ces thèses occidentales) à qui il oppose le concept de «négraille », où les masses anonymes, constamment exploitées, se voient sans cesse imposées de l'extérieur les catégories dans lesquelles elles devront penser et faire leur histoire. Le livre raconte la saga d'une dynastie africaine, les Saïf, seigneurs féodaux africains. Saïf ben Isaac el Heït, principal héros du livre est un seigneur féodal qui règne sur une vaste province par la ruse, la terreur, l'esclavage et par la collaboration avec les Blancs qui ont misé sur lui. Tous les moyens sont bons pour se maintenir au pouvoir et opprimer la «négraille». Bien avant l'arrivée du Blanc, Saif, (en fait, le premier colonialiste) instaura un système symbolique (axe principal, la religion, toutes les religions, Islam y compris) et une interprétation compensatoire des souffrances terrestres (rétribuées dans l'Au-delà) pour mieux légitimer l'ordre existant, fondé sur l'esclavagisme et l'exploitation féodale, et pour en désamorcer toute remise en question. Il va encore plus loin : Avant l'arrivée des blancs, l'Afrique n'était donc pas une terre idyllique remplie de bons sauvages, Les souverains y pratiquaient la traite et le massacre. La violence sexuelle et les traditions mutilantes d'excision et d'infibulation faisaient loi. L'Islam anesthésiait toute velléité de résistance au pouvoir féodal, sans effacer ces pratiques. D'abord attendus comme des libérateurs, les blancs n'ont fait que normaliser et pacifier la gigantesque oppression de l'homme noir. Trois parties : D'abord cinq siècles de barbarie en un court chapitre, meurtres et esclavagisme orchestrés par la dynastie négro-juive des Saïf, ensuite une partie, plus longue, sur la colonisation, l'époque est démystifiée à grands coups de machette. Enfin, le livre se termine par une conclusion pessimiste sur l'avenir : la violence perdurera tant que le pouvoir restera dans les mêmes mains? L'Histoire contemporaine d'une Afrique (presque toute) indépendante, engluée (encore) dans les dictatures et les autoritarismes lui a donné amplement raison? à l'exception de Mandela... et de Zeroual? les seuls (et si rares) dirigeants à avoir quitté, volontairement et sans contrepartie, le fauteuil du pouvoir. Senghor, le créateur du concept de négritude l'a bien quitté, après avoir démissionné... mais seulement après, je crois, cinq mandats, à un âge bien avancé et pour mieux retrouver un fauteuil... à l'Académie française. Françafricain, un jour, Françafricain toujours ! |