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Face à la force
et à la puissance financière du pouvoir, l'opposition s'est dotée d'un texte
qui lui donne contenu politique et force morale. Un big bang politique.
Un quart de siècle après octobre 1988, et vingt ans après le contrat de Rome, l'Algérie a produit, cette semaine, un acte politique majeur.En ce mardi 10 juin 2014, la conférence des Libertés et de la Transition Démocratique a en effet adopté une plateforme qui bouleverse la donne, consacrant une nouvelle redistribution des cartes, ainsi que l'émergence d'une nouvelle perception de la politique. Les clivages traditionnels, démocrates contre islamistes, laïcs contre religieux, conservateurs contre progressistes, gauche-droite, ont disparu. Ou, du moins, ont-ils été relégués au second plan, au profit d'un nouveau clivage : pouvoir contre oppositions, statuquo contre changement, nouveau système politique contre maintien du système en place. La mutation a été lente, et longue. Elle a pris plus de deux décennies. Elle a été pénible, parfois douloureuse, et elle a été extrêmement coûteuse. Dire que le prix a été exorbitant n'est pas exagéré. Elle a aussi épuisé des énergies immenses, comme elle a laminé une génération. Mais au bout du compte, la nouvelle donne est là. Et elle parait tellement évidente, que nombre de participants à la conférence se demandaient, étonnés : comment a-t-on pu perdre tout ce temps ? Comment a-t-on pu être aussi aveuglés, pour ne pas voir cette évidence depuis des années ? Cette fois-ci, il sera difficile à un pouvoir, quel qu'il soit, de dire que c'est un " non évènement ". Bien sûr, le pouvoir va répliquer, en mettant en avant la présence d'anciens dirigeants du FIS à Zéralda, ou en insistant sur le faible ancrage des partis d'opposition. Il peut se gausser du manque de consistance de certains, et de la fragilité des autres. Mais il ne pourra rien changer au fond : l'Algérie a changé d'époque. Respect des règles En quoi a consisté le changement ? En ceci : différents courants politiques, parfois divergents, voire antagoniques, sont arrivés à la conclusion que l'activité politique consiste à mettre en compétition des programmes politiques concurrentiels, non à s'accrocher à des positions doctrinaires ou idéologiques figées. Des Algériens, condamnés à vivre ensemble, en sont arrivés à comprendre que l'autre a le droit d'exister, de se défendre, le plus important étant le respect de la règle du jeu, non la victoire d'un camp sur l'autre ou l'écrasement du plus faible par le plus fort. Ils ont admis que celui qui détient le pouvoir assume plus de responsabilités envers les autres, et doit accorder plus d'importance à ses opposants qu'à lui-même. D'une manière ou d'une autre, l'Algérie s'est remise dans le sens de l'histoire. Cette Algérie pouvait naître en 1991. Elle avait raté le virage, parce qu'elle n'était visiblement pas mûre. A ce moment-là, le courant le plus fortement implanté au sein de la société, représenté par le FIS, pensait qu'une fois arrivé au pouvoir, il avait le droit d'imposer ses règles, qu'il n'avait aucune obligation de respecter ses adversaires ; certains courants au sein du FIS pensaient même qu'il fallait combattre ceux qui étaient différents, voire les exterminer. Mais au sein même du pouvoir, des forces puissantes pensaient que le courant islamiste était antinomique avec l'existence même de l'Etat, que tous les moyens sont bons pour l'éliminer, y compris des violations flagrantes des règles démocratiques. Le contrat de Rome a tenté ensuite de revenir à de nouvelles règles, pourtant énoncées dans la constitution de 1989. Les propositions contenues dans l'offre de Rome ont été toutefois rejetées " globalement et dans le détail " par le pouvoir de l'époque, selon une formule célèbre, alors qu'une frange du FIS semblait accepter de s'y plier. Aujourd'hui encore, le pouvoir ne veut toujours pas se plier aux règles, comme l'a encore confirmé la présidentielle du 17 avril ; les islamistes du FIS, quant à eux, n'ont toujours pas affiché leurs convictions démocratiques de manière tranchée. C'est dire qu'il y a encore du chemin à faire. Donner du sens à l'action politique Par contre, le vrai changement est venu des autres forces et courants qui se sont retrouvés contraints, il y a vingt ans, de s'aligner sur l'un ou l'autre des deux camps. Ces courants, malgré leur dispersion, leur émiettement, et malgré le travail de sape du pouvoir, se rendent compte aujourd'hui que non seulement il n'est pas nécessaire de s'aligner sur l'une des deux parties, qui mènent toutes deux à l'impasse, mais qu'il faut amener tout le monde à une nouvelle vision des choses et de la politique. Ce n'est pas aux islamistes d'imposer leurs règles, il appartient aux islamistes de se plier aux règles. Ce n'est pas au pouvoir d'imposer la règle suprême, la constitution, et de l'adapter à l'humeur du chef, c'est au pouvoir de se soumettre à la constitution. Ce n'est pas non plus au pouvoir, dont la seule légitimité provient de l'armée, de décider qui gouverne et comment gérer le pays, c'est aux Algériens, organisés librement, d'en décider dans une compétition loyale, en respectant des règles précises. Et celles-ci sont édictées de manière très claire dans la plateforme adoptée mardi : élections libres, respect des libertés et des Droits de l'Homme, démocratie, possibilité pour les citoyens d'élire librement et de révoquer leurs élus, selon des règles publiques respectées de tous, définition de mécanismes d'accès et d'exercice du pouvoir, établissement de contre-pouvoirs, action politique pacifique, etc. En ce sens, la conférence de l'opposition a donné un sens et un contenu à l'action politique. Elle a permis une partie de la société algérienne d'entrer dans la modernité. Il lui reste à trouver les solutions pour y amener le pouvoir, et entrainer la société. |
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