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Sous le foot la fête, la violence et d'autres choses

par Abdelkader Leklek

La plus grande fête du football. C'est ainsi qu'est qualifiée chaque quatre ans, depuis sa première édition qui eut lieu en Uruguay, en 1930, la phase finale de la coupe du monde de ce sport éponyme. Cependant son parcours n'a pas toujours été un fleuve tranquille, puisque les hommes se faisant la guerre l'interrompirent de 1942 à 1950. On dit aussi que le football, est le sport le plus populaire au monde. Est -ce- vrai ? Pour sa version 2014, la coupe du monde se jouera au Brésil, pays ayant cinq fois remporté le prestigieux trophée ; où dit-on, ce sport, est roi sinon religion. Est-ce une réalité, une caricature, sinon une image d'Epinal ? Le géographe brésilien Gilmar Mascarenhas de Jésus, dans un article, publié dans la revue Géographie et culture, n° 77 de 2011, dit ceci :''même dans les régions les plus éloignées, on observe que deux objets du paysage caractérisent l'essentiel de l'écoumène brésilien : la chapelle catholique et le terrain de foot''. Cette centralité sociale, du terrain de foot, n'est pas demeurée propre du pays dont la devise est : Ordre et Progrès, maxime créée par le philosophe français Auguste Comte. Il y a dans tous les coins de tous les pays du monde des terrains de foot. Ce qui fait de ce sport le plus pratiqué au monde, selon diverses options, amateur, semi amateur, professionnelle, voire plus. Toutefois analysée arithmétiquement, cette popularité, quelque peu s'émousse. Car dans les pays les plus peuplés au monde, la pratique du foot demeure marginale. En Chine, comme en Inde et en Indonésie, pour l'illustration, la pratique de ce sport, rapportée au nombre d'habitants est insignifiante. Avec leurs trois milliards d'habitants, presque la moitié de l'humanité, aucun de ces pays ne s'est jamais qualifiés à la phase finale de la coupe du monde. Mais ce déséquilibre démographique n'a pas empêché que le foot mue et qu'il devienne un levier social et un outil politique quand il s'était popularisé. Au Brésil, au début du XXèm siècle, la pratique de ce sport était élitiste. Introduit par des britanniques, il leur était réservé, puis certains brésiliens de classes sociales aisées s'y sont mis, pour adopter les éléments marqueurs du mode vie européen, sensé être plus civilisé. Mais cette discrétion fini par se révéler et envahir les parcs, les rues, les places publiques, pour déborder et arriver de nos jours, jusqu'à la plus renommée des plages brésiliennes, Copacabana. Cette popularisation en fit, par voie de conséquence un phénomène de société, qui finit inévitablement par se mondialiser. Ainsi, tous ceux que compte la vie sociale, comme acteurs et animateurs, politique et économique à travers la terre, s'étaient rendus compte, qu'il y avait un filon à exploiter, au-delà de la singularité sportive de ce jeu. Cela va des animateurs bénévoles, volontaires désintéressés de la moitié du siècle passé. Qui eux, grâce au foot gagnaient en visibilité, en notoriété, en audience et en crédibilité dans la cité.

Cela se traduisait souvent par l'obtention d'un emploi, et beaucoup d'estime et de sympathie tout autour d'eux. La conversion de ce capital immatériel, en filon lucratif fortement rémunérateur, eut pour promoteurs les hommes politiques, pas les femmes, passionnément envoutés par leurs carrières, et autres cupides prébendiers adeptes de l'actionnariat. Dès que les gouvernants, calculateurs par eux-mêmes et par la nature du métier, avaient découvert que le sport en général pouvait être un instrument efficace de mobilisation, et le football en particulier ; ils l'envahirent sournoisement. Cette reptation politico-économique, donna de la matière à toutes sortes d'études sociologiques, qui souscrivirent quasiment toutes, du moins jusqu'à nos jours, car tout évolue, à ceci : le sport et particulièrement le foot-considérant la facilité de le pratiquer, une boule de chiffons faisant l'affaire- procurait des appuis et fournissait des manettes, agissants pour orienter les populations. Et pour paraphraser Marx sans le dénaturer, le foot pouvait être le succédané, de son célèbre apophtegme qui signait : la religion l'opium des peuples. Les politiques ne s'en sont pas privés. Et depuis les vainqueurs des matchs de foot sont fêtés comme des dieux, avec des cérémonies protocolaires initialement réservées aux hôtes politiques de marque. Mais pas uniquement, car par effet d'entrainement, les équipes de foot bénéficient, souvent au détriment de tous les autres sports, des faveurs et des largesses financières des gouvernants, à tous les niveaux de décision. Les subventions vont d'abord au foot. Elles sont prélevées sur les budgets des petites communes qui n'arrivent souvent, même pas à prendre en charge leurs missions fondamentales, parfois vitales. Les subsides sont aussi pompés sur les budgets des wilayas et sur celui de l'Etat bien entendu.

Le foot est alors érigé en dispositifs et en mécanismes de manipulation à propensions persuasives pouvant fourguer à la foule de l'illusion sans limites, dont profitent les escamoteurs pour diriger et encadrer cette population, qui souvent fait l'opinion en ville comme au village. Dès lors, des leaders des clubs de supporters, qui souvent n'ont rein à voir avec le foot, sont fabriqués, faits et défaits aux grés des vœux et des fortunes des décideurs à coup d'allocations et de gratifications publiques. Il est ainsi arrivé qu'un dirigeant du club de foot local, illustrement inconnu en politique, se retrouve par la bénédiction de ces alliances, politico-économiques, doté d'un mandat électif national. L'exploitation des victoires footballistiques des équipes à tous les niveaux de la compétition ainsi que les joies populaires sont consommées jusqu'à ne plus en pouvoirs ; frôlant souvent l'abus et la démesure. En Algérie, la victoire de 1982 de l'équipe nationale de foot, contre son homologue ouest allemande lors du premier tour de la phase finale de la coupe du monde qui s'était déroulée en Espagne, est à chaque occasion rediffusée par la télé nationale, trente ans après. Qu'en déduire, si ce n'est la manifestation palpable de la transmutation du sport des pauvres en leviers socio-politico-économiques, aux mains des puissants et des riches pour réaliser leurs desseins en combinant des calculs pour assurer cette porosité, entre sport et autres aventures, qui lui sont outrageusement greffées. Cet aggiornamento du foot qui fut naguère, catalogué comme sport futile, accessoire et sans avenir, par rapport aux études, aux apprentissages de métiers etc? Le foot c'était le divertissement sans le merchandising, qu'il entraine depuis déjà des dizaines d'année et qui draine des placements financiers colossaux. Et pour développer ces désormais entreprises du foot, on adopte les règles du mangement entrepreneurial. A la place des écoles de foot amateur, pépinières que possédaient les clubs pour se fournir en joueurs, sont crées des centres de formation, ce qui suggère qu'être footballeur devient dorénavant un métier ; ce qui est d'ailleurs une tautologie. Des clubs comme le Football Club de Barcelone, se sont ouverts à l'international, en créant des centres de formation à l'étranger. Investissement peu couteux, mais qui peut rapporter gros ; quand est dénichée, notamment en Afrique et en Amérique du sud, la perle rare. Et pour exemplifier la généralisation de cette frénésie au recrutement rentable, une association, comme le club français FC Metz, qui n'a pas un grand palmarès sportif, possède des annexes de son centre de formation, au Sénégal et tenez-vous bien, même en Chine, dans le gigantesque bassin de population de Chengdu au pied du Tibet. Beaucoup de clubs financent également en partenariat avec des locaux, ces centres et autres académies de foot. Cependant l'envers du décor s'est souvent révélé cruel. Des dizaines de jeunes footballeurs africains, recrutés par des agents européens avec la complicité de relais in situ, se sont retrouvés livrés à eux-mêmes, en Europe et ailleurs, sous les prétextes fallacieux, d'essais non concluants. C'est une forme de violence dont est innocent ce sport dans son authenticité. Car il se pratiquait pour le plaisir et le divertissement. Dans des petites localités, et les grandes aussi, c'était un moyen de socialisation dans la cité.

Quand durant les vacances revenaient ceux qui étaient étudiants, au lycée ou bien dans les facultés, et qui étaient bien entendu voués à des avenirs plus prometteur et plus avantageux que pour ceux qui avaient arrêté leurs études ou n'ayant pas fait d'études du tout. Il s'organisait un match de foot. L'équipe locale affrontant les étudiants ; c'était le talent contre l'intelligence, du moins en théorie. Mais sur le terrain tout s'équilibrait, l'habileté de chacun était valorisée et au final, tous étaient gagnants et les spectateurs ravis. Cependant doit-on demeurer par nostalgie en marge du parcours et des évolutions que connait ce sport ? Soit ; mais même au Brésil, pays des auriverdes, où le foot a gagné ses lettres de noblesse, pour devenir un art, la traditionnelle trêve olympique, durant laquelle, depuis l'antiquité, les athlètes, les artistes et leurs familles, ainsi que les pèlerins pouvaient voyager en toute sécurité pour participer ou assister aux jeux olympiques puis retourner dans leurs pays respectifs. Cet esprit qui est repris par le Comité International Olympique, pour l'ère moderne, est transgressé au pays temple du foot, mais pas à cause du foot sport. Les raisons sont politiques et surtout socio-économiques. L'augmention de 7% du ticket d'autobus et du métro, est attribué par les brésiliens à l'organisation de la coupe du monde, dont l'estimation était de 10 milliards de dollars et qui passa d'un coup à 15. Et que déjà en 2011, selon l'hebdomadaire brésilien d'enquêtes, Veja, qui tire à 1 200 000 exemplaires, 76% des brésiliens estimaient, que ce mondial serait celui de la corruption. Ceci confirmerait ce que rapportait l'autre magazine, mais français lui, So Foot, du 18 juin 2013, dans le même sens en affirmant à propos de l'ancien président de la confédération brésilienne de football, Ricardo Terra Texeira que :'' En jouant sur cette proximité avec le pouvoir, Teixeira obtenait ce qu'il voulait pour sa Coupe du monde en passant outre certaines lois''. Et pour encore rajouter une couche sur ce machiavélique mille-feuille brésilien, le journaliste de la BBC Andrew Jennings, auteur en 2010, du documentaire :'' Fifa's Dirty, disait en rigolant :'' Lula voulait l'édition 2014 coûte que coûte, histoire de promouvoir sa présidence. Alors, s'il fallait traiter avec un gars comme Teixeira et ses amis de Zurich, pourquoi pas. Il savait pertinemment que très vite, ce ne serait plus son problème''. De ce fait, ce qui se déroule, ces derniers jours au Brésil, les grèves, les cocktails Molotov, le siège du parlement à Brasilia, le saccages des vitres d'immeubles et de magasins ,les voitures renversées et brulées, était attendu. Les politiques le savaient, mais ils sont quand même passés en force.

Depuis que toutes les manifestations sportives ont été mercantilisées, les états se font de sourdes hostilités feutrées et des inimitiés voilées pour remporter l'organisation de ces joutes. Les uns recherchant des bénéfices financiers, de la création d'emplois et de la croissance économique ; les autres quêtant une visibilité sur l'échiquier international, faisant croire qu'ils sont in, modernes, démocrates et qu'ils vivent eux aussi, avec les impératifs du siècle qui consacre aux droits humains, à l'environnement, à l'écologie et au développement durable une place notable dans toutes les relations, sociales, économiques, politiques et diplomatiques. Sauf que cela demeure en réalité, du domaine de la publicité mensongère et de la réclame trompeuse. Il y a peu de jours les médias du monde entier reprenaient une information publiée en Angleterre affirmant que pour abriter la coupe du monde foot 2022, le Qatar avait dépensé plus de cinq millions de dollars pour que les responsables du football mondial votent en sa faveur. Cette mission avait menée par le qatarien Mohamed Ben Hammam, alors membre du comité exécutif de la fédération internationale du football association, FIFA, et qui fut en 2012, radié à vie pour :'' avoir voulu acheter des voix lors d'une réunion de la confédération du football caribéen, avec des enveloppes contenant 40 000 dollars''. A l'heure de la rédaction de cette chronique ; les noms de Michel Platini, président de l'union européenne du football, ainsi que celui de l'ex président français, Nicolas Sarkozy, sont cités, dans cette affaire.

Mais au-delà de ces pestilentielles révélations, c'est quoi cette coupe du monde 2022, prévue au Qatar, toute cousue d'artifices, de contrefaçons ; factice et naturellement fausse et insincère. Jouer au foot dans une ambiance de stade industriellement climatisée, c'est peut être une prouesse technologique, pilotée par des firmes multinationales, qui iront essayer leur prototypes de machines, contre des tonnes de dollars. Mais qui peut garantir au Qatar, cet exigu royaume des sables, l'assurance irrévocable d'abriter la fête du foot dans huit ans ? Enfin, pour faire court, c'est cela la matérialisation de la conquête d'une notoriété postiche et d'une célébrité contrefaite. Quant au prix, matériel ou moral, il importe peu, pour ces gens là monsieur ! Et encore, ce peu là ne se quantifie plus en dollars, mais en vies humaines. Selon des enquêtes, il est conjecturé le décès de 2000 ouvriers avant le début de la coupe du monde du Qatar. Il s'agit de travailleurs népalais, bangladais et indiens en majorité. Ils sont employés 12 heures par jours aux chantiers, et pour rentrer dans leur campement de fortune, où il n'existe que cinq(5) douches pour 200 ouvriers ; ils doivent encore endurer deux heures de bus. Leurs passeports sont confisquées, par leurs employeurs, jusqu'à leur départ, au nom de ce principe de la kafala. C'est sur cette violence là, et d'autres choses, que se pratique désormais ce sport, dit le plus populaire, dans le sens, grand public, toutes classes sociales confondues. Et pour asseoir cette vision, désormais la plus répandue ; les zélateurs de cette façon de faire, organisent deux marchés aux joueurs, par ans. Le mercato estival et le mercato hivernal, où des agents, des dirigeants de clubs et autres agioteurs, en avatars se réincarnent en maquignons, se métamorphosent et rappellent des pratiques des siècles passés. Tout cela pour faires affaires, imposer au monde entier du spectacle, tenant plus de la théâtralisation, que de la pratique d'un sport, le foot en l'occurrence. Le cas du club de foot parisien PSG, en est l'illustration parangon de la nouvelle physionomie de ce sport. Il a fallu que des qataris mettent de l'argent pour recruter onze footeux, déjà millionnaires en dollars, et qu'ils les fassent courir sur la verte pelouse du parc des princes, pour que le club, acquiert une célébrité, combien même, montée de toutes pièces, mais puissamment commercialisable. Au bout du compte, après la fête d'antan vinrent alors la violence et tous ses dommages collatéraux. La rue bouillonne au pays de l'Ordre et du Progrès, à la veille du début de la fête du foot, revendiquant le règlement immédiat de problèmes sociaux.

Cependant, point de réponses avant le premier coup de sifflet du match d'ouverture, qui opposera aujourd'hui, ce jeudi 12 juin 2014, le Brésil à la Croatie ; mise à part, l'envoi de troupes militaires pour faire taire la contestation. Quant à nous autres, gardons ce qui est le plus beau du foot, la fête, et donnons nous rendez-vous ce 17 juin à 17 heures pour le premier match des verts afin de les supporter. Nous pourrons alors, le temps de 90 minutes, rêver et espérer qu'ils gagnent. Mais à la fin, qu'importent le score ! Vive le foot sport.