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Une école au sourire Benghebrit

par El Yazid Dib

On l'a dit, on le redit. Il ne lui faut pas un nouveau ministre ; l'école algérienne a besoin d'un exorciste. C'est à une armée de marabouts qu'il faudrait recourir pour sauver la chose de l'esprit qui la hante. Une doctoresse, un sourire, un charme parental puissent-ils chasser le mal qui l'a possède ?

Une année vient de se faire finir dans un examen trop controversé. Rien n'est étrange, rien n'est surprenant puisque ceci date depuis longtemps. Des sujets abordables, d'autres inapprochables ; les avis vont comme dans une bourse ils ne sont que des quotités d'appréciation. Ces examens, Madame la nouvelle ministre n'en a cure, sauf cette inquiétude propre à une mère de famille par-devant la colère frustrante de ses enfants recalés. Elle n'est pas née lors de la pondaison de ces conditions examinatoires. Elle s'est rassérénée juste pour les adopter par souci de continuation de service et de procédure. Prenant le train en marche ou presque à la dernière gare, voire rentrant en classe en fin de cycle ; elle observe muette les examens de passage qu'elle n'a pas embryonnés. De grève en grève, du primaire au secondaire l'école n'a pas l'air d'égayer ses classes. Dans ces conditions impérissables de raille et de brouille elle est devenue presque une chose inquiétante et bouffeuse d'innocence. Une espèce de babyphage. On n'espère plus la voir amarrée aux nouvelles technologies de l'éducation ni accéder à la phase didactique de l'enseignement présentiel et dynamiser ainsi le distanciel. Restons là, faisons du sur place en attendant la résolution de tous les problèmes qu'invoquerait un corps en eternel appétit incessant.

L'année qui vient de mourir dans une poussée quinteuse de passation de consignes entre un ministre aimable certes mais inefficace et une nouvelle tête au sourire charmant ne s'est pas conclue dans son apothéose. Elle n'est pas arrivée au bout de ses cours. Trop de vacarme d'une part et peu de mutisme d'autre part. Les deux parts étaient parties prenantes dans la partition inégalée qui secoue le cycle scolaire. Tous les élèves notamment du Bac ont quitté le lycée à partir d'un banc mal futé d'une école de cours rendue obligatoire. Le programme a été ingurgité à pied levé. C'est dans ces magasins du savoir, beuh du complément de connaissance que la fête de fin d'année n'avait pas eu lieu. Le lycée ayant connu une désertion anticipée. En cette année là, à l'exemple du Bac les candidats étaient déjà voués à l'abattoir. Des sujets non traités, pas de rachat, Ghardaïa et ses avatars, la rumeur d'une seconde session l'année prochaine, la reconfiguration du logiciel de prise de note sont présents pour saborder l'esprit des gens avant bien l'affichage des résultats. Le Bac politique est une ancienne légende benbouzidienne, dit-on. Le Bac-hac est parti. Face à cette inégalité, à ces poids et mesures selon l'année et suivant le titulaire du poste la chance de l'avoir ou pas est sujette à hypothèse et humeur conjoncturelle.

La notion de l'informel pourtant n'échappe à nulle entreprise. Le ministère de l'éducation nationale n'a jamais été branché la dessus. Si ce n'était un vœu d'ouvrir un dossier par là, de créer une commission par-ci.

Département non concerné, il semblait à l'époque s'atteler en vain sous la malhabileté pourtant d'une sommité à assainir le climat fétide qui gargarise l'école publique. Il subsiste un important marché scolaire informel dans le pays. Il est aménagé non pas de jour comme ces magasins anarchiques contre lesquels luttent les services de sécurité, mais ce marché agit de nuit. Il s'intensifie à l'approche des examens pour commettre ses bienfaits le long de tous les jours et à une cadence effrénée. Une vague rentre, une autre en sort. Ce sont des milliers de client-élèves qui le négocient et accompagnés de surcroit par leurs parents. Ils y demeurent des heures et des heures. Les conditions sont plus dramatiques que celles des souks. Les caves, les vieilles maisons en ruines, les garages bruts servent de lieux de faveur pour ce genre d'opérations commerciales au non du savoir. Non déclarés, non assurés, mal hygiéniques, manquant de salubrité, parfois d'éclairage ; ces lieux concurrencent en silence l'école qui se fissure au jour le jour par ceux-là même qui ont en le gardiennage. Il y a des lieux de ces cours du soir où de nombreux élèves s'entassent côte-à-côte pour suivre le complément du manque dispensé à l'école étatique. Avec l'hiver, les bouteilles à gaz butane, les poêles à mazout, les radiateurs électriques liés à un réseau défectueux seront à peine d'intervention énergique, un élément de catastrophe nationale. Un engin explosif à retardement, dont la définition sémantique reste à conjuguer à tous les modes et invariablement à tous les temps.

Tout élève est contraint de recourir à ce genre d'extrapolation didactique. Notamment en phase de classes d'examen. Les milliers d'âmes enfantines sacrifiées sur l'autel des multiples expériences pour les multiples reformes ne vont pas pardonner le méfait subi. L'école dans ces conditions sempiternelles de missions non accomplies force la main aux parents d'aller vers ce quoi indéchiffrable qu'ils prennent pour un remplacement adéquat du manque à avoir dans l'école publique.

En plus des carences nombreuses et diverses relevées dans l'aboutissement idéal d'un programme appelé à faire immédiatement sa mue, les grèves incessantes et les revendications syndicales hors cadre sont venues envenimer le climat déjà ranci d'une école en état de sinistre.      Un peu de temps mort à consacrer à l'enterrement des haches et des cris stridents doit être mis en relief. Ce temps devra permettre sans grève de repenser la réflexion et peut être d'engager une " réforme ". Ce sont en fait les élèves qui en pâtissent. L'école leur étant un carcan obligatoire, car au bout du parcours, ils sont guettés et vite happés par l'oisiveté et la déperdition scolaire. C'est une question vitale, une raison d'Etat. L'école à sa cadence actuelle ne peut à peine de rendre fous, enseignants, élèves, parents d'élèves, continuer à régenter à l'humeur d'un pouvoir totalement absent ou au desideratum d'un syndicat en mal d'égérie et ainsi hypothéquer l'avenir de descendances croisées. Dans ces " grèves " perpétuelles, il faudrait aussi jeter un profond regard.

Une grève a ses règles. Celle provoquée est une autre affaire. Si le fait de faire sortir les élèves des classes et dire, que ce sont eux qui " grèvent ", ceci n'est pas au sens de l'éthique syndicale un débrayage. Il n'est non plus compris dans la déontologie professionnelle. C'est de la prise d'otages. Messieurs les enseignants suffisez-vous dans vos revendications à ne cadrer que vos problèmes socioprofessionnels. Les autres, ceux de l'école en général, des programmes soft ou hard en particulier, c'est de l'apanage, des élèves et leurs tuteurs.

Encore pouvons-nous rabâcher, si tous les syndicats s'acharnaient à inclure dans leurs plateformes l'activité fonctionnelle et organique des institutions auprès desquelles ils sont affiliés, l'on ne sortirait pas de l'auberge ni de l'école de si tôt. Ainsi une charte d'éthique et de déontologie opposable moralement à tous est de rigueur.

L'école algérienne est minée de toute part. De l'intérieur le mal viendrait de ses fonctionnaires. De l'extérieur, d'eux aussi. La part des apprenants et leurs parrains parentaux n'est pas encore indemne de tout reproche. Mal représentés, ces parents d'élèves ne sont là, dans leur association paravent, que pour colmater les brèches d'une mauvaise conduite d'eau potable ou d'un manque accrue de matériels autres que didactiques. Si l'école n'est qu'une sainte trinité composée d'un enseignant, d'un apprenant et d'un programme ; l'ombre malfaisante est peut être dehors. Sachant que l'enseignement gratuit est une disposition constitutionnelle qui gêne timidement l'émergence au grand jour de lycées privés, certains " commerçants du savoir " rejetés puis recyclés dans le créneau ont tout l'intérêt de porter l'estocade à l'école publique. Pourtant rien n'interdit l'enseignement privé. En fait l'Ordonnance no 05-07 du 23 août 2005 fixe les règles générales régissant l'enseignement dans les établissements privés d'éducation et d'enseignement. Celui-ci autorisé et permis va du préscolaire jusqu'au lycée.

Dans les écoles nos p'tits anges pas trop séraphiques sur les bords, ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, patriotisme ou autres. Rébarbative ; la levée journalière du drapeau national et l'entonnement de l'hymne ont banalisé la symbolique voulue. Qui oserait parmi les ministres successifs d'arrêter cette leçon physique d'un nationalisme ébréché et partant suspendre la levée des couleurs ? Ca sera pour lui ou pour elle la géhenne, la haute trahison. Comme à l'université, la vie scolaire n'est faite que d'un unique et acariâtre ordre du jour : Les grèves. Les enseignants par défaut de satisfaction s'accommodent et coordonnent pour le mieux afin de continuer et réussir la prochaine grève.         Le département ministériel dont les stigmates d'un ministre à forte longévité résonnent encore dans les couloirs ; est toujours ensorcelé par le fantôme réformateur de ce dernier. Réformes contre réformes, le Monsieur est arrivé à anéantir toute réforme. C'est cette école d'il y a vingt ans qui a produit chez les jeunes cet esprit du compter sur autrui, sur l'Etat et choisir la violence, la menace, l'immolation et l'informel comme mode de vie dans une société en quête de valeurs. Elle a raison la Ministre de dire cette dure vérité que personne n'a osé dire. Madame Benghebrit a eu déjà un avis sur cette image peu reluisante. Elle en aura d'autres au fur et à mesure qu'elle transcende une réalité pas belle à voir. Sa volonté va connaitre des embuches. Les guérilleros de l'ombre, obscurantistes et fatalistes investis dans le contraire d'une école bâtie sur des valeurs républicaines sont toujours aux portails des édifices, quand l'intérieur leur est défendu. A peine installée que les canons d'une guerre qui s'annonce comme menace ont commencé à claironné leur fiel vis-à-vis de la dame au grand sourire discret. Il y en a eu qui ont essayé sournoisement de remonter à ses origines pourtant limpides et honorables pour les mettre dans le ouï-dire, au lieu de se remonter à ses diplômes. Là ; l'on sent le coup fourré d'une tentative de laisser tel quel l'état des choses. La période estivale, les longues et ennuyeuses vacances appelées aussi à faire un lifting en termes de timing va permettre à Madame de bien situer les enjeux, les défis, le mal et le bien. Il ne suffit pas de détecter les auteurs du désastre. Elle n'y trouvera personne, sauf une ou deux décisions, quelques textes d'application, une impuissance gestionnelle et point barre. Beaucoup de coupables, nul responsable. Elle va avoir la latitude de pouvoir à son aise mais rapidement et au dépens de ses congés scruter l'horizon après avoir balayé une rétrospective sur un passé houleux et épouvantable. Elle ira vers la surcharge des classes, la transparence des tableaux, le contenu et le poids de la gibecière collégienne, elle relira page par page le livre scolaire et verra la convoitise qui se drape derrière son édition déblatérée. Les assises de juillet qu'elle envisage d'entreprendre ne seront en fait qu'un constat, un défilé de diapos en data-show. Elle verra se débiter moult embarras. Face à l'exigence d'une performance professionnelle qu'elle doit réclamer de tout enseignant, on va lui opposer un régime indemnitaire plus performant. Face à une intransigeance de respect du programme, on va lui exhumer les contraintes du manque en tout. En somme elle sera d'emblée ensevelie par le sentiment de la victimisation du collectif éducatif. Courageuse elle devait avoir plus de cran à outrepasser la rudesse des épreuves que tenterait de lui infliger une corporation syndicaliste des plus radicales. Non pas aller frontalement au front et à la guéguerre mais tout simplement à la raison et au bon sens.

Pourtant mise en médisance, parfois mal représentée, toujours renvoyée au banc des accusés, incriminable de tous les fléaux de société ; l'école s'avère par ailleurs un enjeu solidement majeur. Malheureusement il n'intéresse que les régisseurs pas les politiques. Ainsi l'essentialité du ministre ne doit pas s'inscrire dans l'affront ou l'affrontement. Idem pour ces acteurs que l'on tient aussi avec tord ou raison pour des responsable de la panne. La ministre va avoir surtout besoin de la collégialité, voire de la solidarité gouvernementale. Beaucoup de choses comme ses prédécesseurs vont la dépasser.

Elle ne peut rester seule dans la classe que tout le monde hue. Heureusement pour elle qu'elle ne provient pas d'une galaxie politicienne armée d'une lexicologie mensongère mais d'un monde académique clair et paré d'axiomes et de normes. C'est avec ce sourire, le sien, celui des enfants que l'on peut jeter de nouveaux ponts vers un passage rassuré pour un radieux avenir scolaire. Souriez, vous êtes en classe !