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L'été sera animé. En l'absence du président Bouteflika et face à la
discrétion de son frère Saïd, voici les premières stars de la saison.
Abdelmalek Sellal s'est fixé des objectifs très ambitieux. Le plan d'action du troisième gouvernement qu'il forme depuis qu'il est premier ministre prévoit de faire de l'Algérie un pays émergent avant la fin de la décennie en cours, avec un PIB de 7.200 dollars par habitant. L'Algérie dépasserait alors le seuil des 300 milliards de dollars. M. Sellal veut une croissance de sept pour cent, un chiffre digne de la Chine et du Brésil de la belle époque, et il compte ramener le taux de chômage à huit pour cent, mieux que la France, loin devant l'Espagne. Ses ambitions ne s'arrêtent pas là. M. Sellal veut aussi libérer l'économie, et assurer le bonheur des Algériens. Il promet d'élargir les libertés, de confier au seul juge la possibilité de restreindre le mouvement des citoyens, et d'assurer aux Algériens une vie digne, dans la paix et la sérénité. A l'entendre, le pays va vivre en cinq ans une transformation économique et sociale radicale. M. Sellal a été applaudi, ou critiqué. Certains lui ont reproché de vouloir à tout prix exploiter le gaz de schiste, une option dangereuse, disent-ils. Sur les réseaux sociaux, la polémique fait rage. D'autres, déployant des analyses plus pointues, estiment que le premier ministre développe une démarche qui manque de cohérence, de substance, quand ils ne lui reprochent pas l'absence de doctrine. Et à partir de là, tout le monde s'interroge: M. Sellal parviendra-t-il à concrétiser ses objectifs ? Fera t-il 7% de croissance, ou bien se contentera-t-il de 6%, voire moins, alors que le pays est réduit à 3-4% de croissance depuis une décennie? De quoi dispose-t-il comme financements pour atteindre tous ces objectifs ? Et puis, M. Sellal a introduit un brin de dramaturgie dans son discours, en affirmant qu'il n'y aura plus de gaz à exporter en 2030, ce qui impose à l'Algérie d'envisager l'exploitation du gaz de schiste et de s'y préparer dès maintenant. Le tournant est important : l'homme qui racontait des blagues s'est orienté vers la tragédie ! LE SOURIRE DE OUYAHIA Sur l'autre versant du pouvoir, M. Ahmed Ouyahia est en train de faire sa mue. Le bureaucrate arrogant et hautin a laissé la place à un homme politique d'une rare souplesse. Il multiplie les promesses, et se montre plus aimable que jamais. Chargé de vendre la nouvelle constitution, le chef de cabinet du président de la République reçoit, avec le sourire, des hommes à qui, en d'autres circonstances, il réserverait un autre sort, qu'on ne peut évoquer ici sous peine de procès en diffamation. Il affiche des convictions démocratiques que peu gens de soupçonnaient. Vous voulez une limitation des mandats du chef de l'Etat? Vous l'aurez, dit-il. Il veut rétablir le parlement dans la plénitude de ses pouvoirs, organiser une véritable séparation des pouvoirs, libérer les énergies, conforter les libertés, et affirmer de manière solennelle que la réconciliation nationale est un acquis définitif et éternel pour l'Algérie. En un mot, M. Ouyahia promet tout ce qu'il n'a pas fait depuis qu'il fréquente les allées du pouvoir, depuis un quart de siècle. MM. Sellal et Ouyahia sont en train de squatter la scène politique en ce mois de juin. Ils vont probablement rester au premier plan durant tout l'été. A moins qu'ils ne soient détrônés par un autre tandem, qui vient de s'affirmer en force au lendemain de l'élection présidentielle. Issaad Rebrab, le patron le plus connu d'Algérie, a exprimé son exaspération face à un rival, Ali Haddad, un proche de Saïd, le frère du président Bouteflika, qu'il accuse de saborder ses projets. Certes, M. Rebrab n'a pas eu recours à de grandes analyses économiques sur le passage de l'accumulation primitive à l'économie moderne, ni sur la prédation dans un pays rentier et les avantages de la proximité avec le pouvoir. Il s'est contenté de formules plus classiques, très algériennes, pour dire que M. Haddad lui met des bâtons dans les roues en vue bloquer les formidables projets dont il est porteur. ENJEUX La polémique a pris une tournure inattendue. Elle a contraint le FCE à réagir, pour se ranger discrètement derrière M. Haddad, quand M. Rebrab a claqué la porte. L'organisation patronale a minimisé le départ de ce dernier, le réduisant à un acte personnel, sans portée particulière. Comme si on peut considérer comme un fait un anodin le départ d'un homme qui pèse trois milliards de dollars. Il reste à savoir, en l'absence du président Bouteflika, et la discrétion exceptionnelle dans laquelle se maintient son frère Saïd, il reste à savoir quel est le match qui animera l'été 2014, celui opposant M. Sellal et M. Ouyahia, ou celui qui met aux prises MM. Rebrab et Haddad. A priori, l'opposition entre les deux premières fortunes du pays a un véritable enjeu. Les deux patrons risquent d'y laisser des plumes. Une rivalité en affaires, dans un pays où il n'y a pas de règles, est toujours dangereuse. Leur fortune peut être en jeu. Ce qui n'est pas le cas de de MM Sellal et Ouyahia. Ceux-ci ne prennent aucun risque. Ils n'ont de comptes à rendre à personne, ni au ni au parlement, ni au peuple, ni à ses représentants. Seul le président de la République peut les juger, les maintenir ou les congédier. Ils ne jouent ni leur fortune, ni leur sort. Ils ne jouent pas non plus leur avenir. Ils jouent juste notre sort, à nous. |
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