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Une Constitution
ou un programme de transition ? Le décalage entre pouvoir et opposition
s'accentue.
L'un brandit un projet de constitution, l'autre promet une conférence pour organiser la transition. Le premier contrôle l'appareil d'Etat, l'argent de Sonatrach, l'armée et les services de sécurité, le second regroupe quelques cercles de militants aux convictions parfois chancelantes. Avec ses walis, ses banques, la rente qu'il distribue et les privilèges qu'il offre, le premier impose son calendrier, sa logique, sa politique et ses dérives. Le second tente tant bien que mal de convaincre de la nécessité d'aller dans une autre direction, de gérer le pays autrement, pour établir de nouvelles règles. Le premier, c'est évidemment le pouvoir, son RND, son projet de nouvelle constitution, Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, ses cours et ses serviteurs. Il a décidé de lancer des consultations auprès de ses amis, dans la grande famille du pouvoir, pour faire avaliser un nouveau texte qui ne servira à rien. Mais c'est lui qui maitrise le calendrier et distribue les cartes, ce qui lui donne un avantage certain dans la nouvelle partie qui se joue. Le second, c'est le groupe de partis et personnalités, organisés ou non, alliés ou en ordre dispersé, qui refusent de discuter de la nouvelle constitution. Ceux-là estiment que les textes ne servent à rien si on ne les applique pas. Ils préfèrent débattre du réel, pour savoir de quelle manière d'organiser le passage vers une autre république, même si cela reste hypothétique. Ils s'appuient sur des analyses convergentes, qui aboutissent toutes au même résultat, admis y compris dans le camp adverse : le pays ne peut plus être géré de la même manière, le système politique est arrivé à ses limites biologiques, il faut absolument entrer dans une nouvelle phase de modernité pour permettre à l'Algérie d'exister dans le nouveau siècle. Le rapport de forces entre ces deux blocs est tellement inégal que sans bouleversement majeur, comme une brusque irruption de la rue dans le débat politique, le pouvoir continuera à imposer sa logique pour de longues années encore. Son poids est tellement écrasant qu'il a réussi à faire réélire un président qui, hormis la Corée du Nord, n'aurait été candidat dans aucun autre pays au monde. Fort de son argent et brandissant sa force, le pouvoir fait preuve d'une arrogance manifeste. A un point tel que les seules divergences qui ont ébranlé le pays sont celles qui ont précisément eu lieu dans ses propres rangs. Les lignes bougent En face, l'opposition affiche elle aussi une certaine assurance, qui s'appuie sur la force morale de ses positions. Elle est convaincue qu'elle a raison, contrairement aux cercles du pouvoir, qui agissent par nécessité, par opportunisme, et le reconnaissent en privé. L'opposition est également convaincue que l'opinion partage ses pensées, même si elle reste à l'écart. Elle sait que l'élection présidentielle d'avril 2014 a constitué un moment marquant dans la dérive du pouvoir, et que la victoire de M. Bouteflika restera, dans l'histoire, comme une parenthèse honteuse. Mais plus que tout, l'opposition sait que le rapport de forces actuel est mouvant. Les lignes bougent. Pas toujours au profit du pouvoir. D'autant plus que le personnel politique mis en première ligne, côté pouvoir, fait preuve d'une étonnante indigence, sans parler de son impopularité et de son rejet au sein de l'opinion publique. Ce qui permet à l'opposition d'espérer une évolution rapide en sa faveur. Elle compte aussi encourager cette évolution du rapport de forces, grâce à son action. D'où l'importance de la conférence sur la transition, prévue pour la mi-mai, avec une certaine précipitation, puis reportée pour la mi-juin. Ce qui en sortira peut constituer un jalon important dans le processus de changement, à défaut d'être décisif. En effet, un succès de la conférence permettrait de gommer l'image d'une opposition divisée, éparpillée, émiettée, partagée entre islamistes et laïcs, entre modernistes et conservateurs, incapable de présenter des projets sérieux, au profit d'une autre image, celle d'une opposition mûre, réfléchie, posée, proposant une démarche cohérente avec un contenu solide. Pendant ce temps, le pouvoir ne restera pas inactif. Ses consultations sur la nouvelle constitution vont avoir un objectif essentiel, occulter ce que fait l'opposition. Que l'ancien patron du RND remplace le nouveau patron du RND pour mener les consultations sur la consultation montre déjà les limites de la démarche. Que le FLN approuve la nouvelle constitution ne surprendra personne. Mais que l'opposition parvienne à un document cohérent, avec de vraies propositions, constituera une première depuis une vingtaine d'années. Le bras de fer est donc engagé. Mais tôt ou tard, il faudra se rendre à l'évidence. Le rapport de forces changera seulement dans l'un des deux cas de figure. Ou bien l'opposition sort des états-majors, et réussit à mieux mobilier la rue à son profit ; ou bien une faction au sein du pouvoir fait défection et rallie les propositions de l'opposition pour faire basculer le rapport de forces. D'où l'intérêt de suivre à la fois ce qui se passe dans la rue et dans les travées du pouvoir. |
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