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Il semblerait que
la réforme du secteur de la sécurité (RSS)[1] qui constitue depuis un certain
temps une priorité de l'ensemble de la communauté internationale se précise
davantage pour la région de l'Afrique du Nord.
Elle pourrait même constituer un angle d'attaque pertinent pour la transition démocratique dans notre pays. A condition qu'elle soit entendue au sens large, c'est-à-dire comprenant une réforme de la justice, soit la mise en œuvre d'une justice transitionnelle, de sorte que l'Etat-DRS perde sa principale justification. Ainsi la transition démocratique ne commencerait pas par un processus électoral disqualifié mais par la réforme de son environnement disqualifiant. J'ai déjà soutenu ailleurs que la stabilité comporte un rapport à soi et un autre au monde, soit une prise en compte des intérêts tout aussi bien locaux qu'internationaux. L'attaque du site gazier d'Ain Amenas a remis à l'ordre du jour la question de la réforme du secteur de la sécurité en Algérie. Tandis que la torture et l'autodétermination des populations sahraouis le fait pour celle au Maroc. Dans ce texte je veux soutenir la plausibilité et la pertinence d'une telle démarche, bien moins que sa réalité. Pour le monde le souci de sécurité internationale qui domine le nouveau millénaire comme déclaré par l'OCDE semble prendre une nouvelle allure. L'OCDE affirmait en effet que : « ? face aux conflits violents généralisés, aux menaces à l'encontre de la sécurité humaine et aux besoins urgents de reconstruction dans de nombreux pays, les gouvernements des pays de l'OCDE sont conscients que le « coût de la négligence » - qui consiste à laisser les pays s'enfoncer dans les difficultés ou aller à la faillite - est bien trop élevé pour les populations, les nations et la sécurité internationale[2]. » Et pour contextualiser davantage un tel souci, on peut se demander si les interventions militaires extérieures ne se sont pas imposées du fait de la défaillance de secteur de la sécurité dans les pays où elles ont pu avoir lieu et dont on ne pourra plus faire l'économie de la réforme. En commençant par la réforme du secteur de la sécurité, on aborde la question du consensus nécessaire à la réussite de la transition démocratique. Consensus externe et interne, sans lesquels la transition est vouée à l'échec. Au plan externe, nos intérêts ne peuvent ignorer ceux du monde, s'ils ne tiennent pas à être ignorés eux-mêmes. On ne peut s'inscrire que dans un monde donné et non hors de lui. Au plan interne, le consensus ne peut être donné d'une seule traite. Il doit être construit de proche en proche. Il devrait d'abord concerner la force en mesure de dominer le processus de transition, il devrait d'abord toucher le cœur du secteur de la sécurité. Nous serions dans un processus qui procèderait du haut vers le bas (top down) au plan interne, où l'extérieur et l'intérieur se seraient alignés, à l'inverse du processus révolutionnaire comme processus de typebottom up (de la base au sommet), qui irait de l'intérieur vers l'extérieur, à tous les niveaux. Le premier processus se porterait d'emblée à l'intersection de l'interne et de l'externe, le second serait porté par une dynamique du bas vers le haut, jouissant du label de démocratique. L'expérience égyptienne apparaît ici comme un exemple a contrario. Le processus « révolutionnaire » n'a pu produire au cours de son évolution le consensus nécessaire à sa poursuite. Contrairement à l'exemple tunisien dont la configuration des forces internes et externes était différente. En commençant par un processus électoral soutenu par un consensus fragile et conjoncturel quant à la conduite du processus de transition, l'échec ne pouvait pas être exclu. Si on y ajoute la confusion introduite dans les rapports de force réels par le processus électoral, on comprend que la confrontation des forces ait pu aboutir à un avortement du processus démocratique. La complexité du monde aujourd'hui laisse peu de chances à un processus par le bas de produire son propre contrôle. Penser globalement (et agir localement) exige un certain nombre de ressources qui ne sont pas disponibles pour tous. Hors le cas exceptionnel d'une conjoncture favorable, ce à quoi s'apparente la situation tunisienne, où la transformation locale peut apparaître comme la manifestation local d'un changement global. Ou celui d'un processus dominant. Au plan interne, il semble que le consensus doive prendre en considération l'opposition entre deux types de légitimité (selon Juan Linz) largement dégradées : la légitimité de principe (ici historique) et la légitimité d'exercice (Etat-DRS). Les deux légitimités étant réelles mais non moins usées, il semble que la confrontation principale pourrait dériver vers l'enjeu « qui rend des comptes à qui » ? Elle opposerait un pôle hiérarchique dominant qui associe la stabilité, étant donné la défaillance populaire, à son pouvoir de poser et déposer les gouvernements civils et donc d'assurer l'alternance, et un pôle investi d'une légitimité historique qui refuse de se soumettre à un pôle hiérarchique dominant investi d'une légitimité d'exercice. Dans le système autoritaire, avec la fin des coups d'Etat, la gestion de l'alternance peut s'effectuer au travers de l'arme de l'argent, la corruption. L'Etat profond y aurait la charge de déraciner le gouvernement civil et formel pour lui éviter de se transformer en gouvernement héréditaire ou en Etat de droit. A toute alternance, l'Etat profond veut faire rendre des comptes au gouvernement civil dont la corruption peut être révélée et en échange de la renonciation au pouvoir peut s'abstenir de réclamer justice. On obtient ainsi une alternance pacifique sur fond de règlement de comptes. Cela peut constituer le bruit qui risque d'entourer ou de faire avorter le processus de RSS. Comment donc mettre fin à un système de gouvernance qui met le gouvernement civil sous le contrôle de l'appareil sécuritaire en soumettant son cycle de vie au régime de la corruption ? Comment mettre fin à la confusion de l'argent, du politique et du militaire ? Comment établir la hiérarchie entre les différentes institutions sociales, civiles et militaires, qui permette un fonctionnement démocratique de la société ? Cette hiérarchisation des diverses institutions civiles et militaires ne peut être séparée du mode de gouvernance. Le mode de gouvernance démocratique comprend la prééminence de la hiérarchie civile, d'un président mandaté par un peuple non soumis à son armée. Le mode de gouvernance autoritaire suppose une soumission, peu importe sa forme, de la forme civile à la forme militaire. La transition démocratique qui débuterait par une réforme du secteur de la sécurité peut donc être exposée à l'échec si elle est mal conduite, c'est-à-dire si elle est conduite indépendamment d'un processus de réforme du mode de gouvernance dans son ensemble qui rendrait possible une inversion de la hiérarchie des institutions. Aussi faut-il entendre un secteur de la sécurité au sens large dont la réforme débuterait par le cœur de ce secteur pour s'étendre à la réforme de la justice. Le mode de gouvernance pourrait ainsi renoncer à la corruption comme une de ses modalités. Le consensus recherché doit donc d'abord concerner une certaine partie du corps social mais il doit comprendre dans son objet la réforme de la justice sans quoi la RSS pourrait s'apparenter à un simple règlement de comptes au sein de ce secteur. Terminons par la question à quoi faut-il imputer l'échec des entreprises de démocratisation ? Aux objectifs des partenaires politiques : ils visaient une conquête du pouvoir alors qu'il fallait tout d'abord rechercher la construction d'un consensus qui rende acceptable un gouvernement démocratique, qui rende possible une alternance démocratique. Note : [1] Qu'est-ce que la RSS ? Laissons le secrétaire général de l'ONU répondre à la question : « SSR n'est pas (une mesure) palliative ou (une affaire de) court terme. Il est un élément essentiel de maintien et de consolidation de la paix multidimensionnelle, indispensable pour aborder les causes profondes des conflits et le renforcement des fondements de la paix et le développement à long terme. » [2] Réforme des systèmes de sécurité et gouvernance, OCDE 2005 |
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