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Les dirigeants
issus de la guerre de libération encore en poste se comptent sur les doigts
d'une seule main. Ont-ils réellement le pouvoir ?
L'idée est bien enracinée. L'Algérie serait un pays jeune, très jeune même, dirigé par des octogénaires incapables de comprendre les aspirations des nouvelles générations. Cette gérontocratie, héritée de la guerre de libération, et qui s'accroche au pouvoir depuis l'indépendance du pays, serait même la cause principale des blocages politiques et institutionnels actuels. L'image est singulièrement confortée par les problèmes de santé du président Abdelaziz Bouteflika, et d'un certain nombre de hauts responsables. Souffrant des suites d'un AVC, se déplaçant visiblement en fauteuil roulant, incapable de faire un discours, le chef de l'Etat renvoie l'image d'une génération au bout du rouleau, mais qui s'accroche tout de même, comme si sa survie physique dépendait de son maintien au pouvoir. Sur les réseaux sociaux, supposés dominés par des gens beaucoup plus jeunes, ce discours est répété jusqu'à saturation. Sur tous les tons. Souvent sur un ton moqueur, avec beaucoup de mépris. A un point tel que les activistes des réseaux sociaux, voulant être irrévérencieux, ne font pas seulement preuve de manque de tact, mais révèlent un cruel manque d'éducation. Comme cette journaliste qui, confondant courage et insulte, avait demandé à un ministre «pourquoi ces vieux n'abandonnaient pas le pouvoir», ou cet autre qui n'hésite pas à parler de «vieux schnoks». A l'autre bout, on trouverait une Algérie jeune, pleine de vitalité, aspirant à plus de liberté et de modernité, mais qui se trouverait confrontée à un mur d'incompréhension. La moitié de la population algérienne aurait moins de dix-sept ans, et les deux tiers des Algériens auraient moins de trente ans, selon un vieux cliché, qui date du temps où la pyramide des âges du pays était celle d'un pays aussi pauvre que sous-développé. Le temps n'a pas érodé cette image. Bien au contraire. L'omniprésence du président Bouteflika a même renforcé cette impression d'un pays de «papy». Le propre discours du chef de l'Etat, et son fameux «tab djenanou», est apparu comme un aveu de cette génération particulièrement encombrante. Comme si elle voulait, à travers un de ses symboles les plus forts, reconnaitre sa responsabilité dans les échecs du pays, et présenter ses excuses avant de tirer sa révérence. Pourtant, la sociologie du pouvoir algérien révèle des données qui contredisent totalement ces affirmations. La présence de la génération de la guerre de libération dans les rouages du pouvoir est pratiquement nulle. Il n'y a pas plus que trois dirigeants de haut niveau qui font partie de la génération de novembre, même s'ils occupent des postes clé. L'un d'eux, Abdelaziz Bouteflika, fortement diminué sur le plan physique, est tout en haut de la pyramide. A côté de lui, les généraux Gaïd Salah, chef d'état-major de l'armée, et Toufik Mediène, patron du DRS, occupent des postes essentiels dans la configuration du pouvoir algérien. Et c'est tout. Le ministre des moudjahidine Mohamed Cherif Abbas, et les présidents des deux chambres du parlement, Larbi Ould Khelifa et Abdelkader Bensalah, ne pèsent guère sur l'échiquier politique. Ils apparaissent comme de simples figurants, sans participation notable à la décision. Dans les autres structures de l'Etat, il n'y a plus personne de la génération de novembre. Au gouvernement, dans les postes clé de secrétaires généraux de ministère, de chef de région militaire ou de commandant d'une arme, on ?en trouve plus. Il n'y a pas de walis non plus. Ce sont de nouvelles générations qui ont pris le relais, symbolisées par les énarques Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia et Cherif Rahmani. Une génération qui affiche ses 65 ans, qui a très longtemps vécu à l'ombre de celle de la guerre de libération, et qui a tenu au gouvernement plus que toute autre génération. Abdelmalek Sellal est ministre depuis quinze ans, sans interruption. Est-il juste de dire que la génération de la guerre de libération dirige encore le pays, alors que sa présence en nombre est aussi insignifiante, même si elle contrôle les postes les plus décisifs ? Ou est-ce une manière d'occulter les vrais problèmes, pour passer sous silence le comportement indigne de la génération suivante, qui semble avoir essentiellement appris à courber l'échine pour accéder aux privilèges ? Qui en effet, parmi les ministres actuels, peut affirmer publiquement qu'il est contre un quatrième mandat, pour des raisons politiques ? Qui peut démissionner en affichant ses divergences politiques avec le vrai pouvoir ? On ne peut éviter de se demander si l'Algérie gagnerait réellement au change en remplaçant Gaïd Salah et Toufik Mediène par Amar Saadani, Amar Ghoul, Bouguerra Soltani et les clones qui poussent dans beaucoup de partis. |
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