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On s'échappe avec
soulagement du pavillon célébrant le Japon, ses rituels et ses gadgets
tellement mimis, tellement fous, tellement troooop kawaïi (mignons) pour citer
quelques exclamations entendues ci et là dans la bouche d'ados et d'adulescents.
On y a feuilleté quelques mangas. On y a vu un gros thon rouge se faire
découper en sushis comme à Tsukiji, le gigantesque marché aux poissons de
Tokyo.
On y a palpé et soupesé moult objets apportant chance et bonheur comme ces chouettes dorées ou ces chats assis qui lèvent les deux pattes, l'une pour attirer l'argent, l'autre les clients. Mais, pour cause de longue file d'attente, on a hélas renoncé à lamper un bol de ramen, ces nouilles qui baignent dans un chaud bouillon et qui sont peut-être ce que la culture chinoise a offert de mieux au Japon. Et, pour finir sur ce liminaire nippon, on n'a pas cessé de s'étonner devant le défilé des cosplay, ces jeunes filles aux tenues improbables et fantasques, se répétant à l'envi que Dieu crée ce qu'Il entend créer? Nous voici donc marchant dans les allées du parc floral de Vincennes, jadis conçu ? c'était dans les années 1960 ? à l'image des jardins japonais. L'été indien est enfin là, avec sa lumière douce et ses senteurs apaisantes. On s'attarde dans le jardin insolite, on s'extasie devant les massifs de dahlias et d'iris. On caresse les fougères géantes et on repense aux confitures de l'enfance en passant sous les branches chargées et parfumées d'un cognassier. Un enchantement. Ouvrons ici une parenthèse pour relever que le manuel du journaliste déconseille l'usage de l'expression «été indien», lui préférant celle de «belle arrière-saison». Voilà une recommandation que l'on se gardera bien de respecter ne serait-ce que par égard pour feu Joe Dassin, lequel n'a semble-t-il pas chanté son célèbre «été indien» en japonais alors qu'il l'a fait pour les «Champs Elysées» (peut-être lui était-il difficile de trouver l'équivalent de «va-va-va» en japonais). Fin de la parenthèse. C'est dans l'impressionnante pinède (des arbres hauts et effilés venus de Corse) que l'on entend au loin les premiers accords. Une guitare électrique. Une flûte. On se dit qu'un groupe nippon vient de débarquer de Shibuya mais l'air familier dissipe vite cette perception. Non, cette flûte qui monte haut, cette basse qui riffe, ce bendir, pardon cet adjoune, qui tonne et ces voix féminines qui montent aux aigus : tout cela ne peut venir que de chez nous. On s'approche à pas rapides. La petite esplanade de spectacle est déjà noire de monde et il faut se hisser sur la pointe des pieds pour apercevoir la scène. Oui, c'est bien lui. Idir en personne. On était venu pour le Japon, on se retrouve en? Nouvelle parenthèse : là, le présent chroniqueur hésite sur le mot à employer. En Algérie ? Les uns vont râler. En Kabylie ? Les autres en feront de même. En Berbérie ? Cela ne mettra personne d'accord. Alors va donc pour Algékabérie. Fin de la seconde parenthèse. Sur scène, des jeunes brandissent un drapeau bleu, vert et jaune. «Ce n'est pas un message politique» prévient le chanteur. «C'est l'emblème d'une revendication culturelle. Celle d'un monde berbère qui refuse de disparaître». Applaudissements et youyous ponctuent cette sortie. Des nipophiles qui passent à proximité s'arrêtent, se demandant qui est cette star qui déchaîne la foule. Certains décident de rester, s'asseyant sur la pelouse où des familles prennent déjà le goûter. C'est évident, l'ambiance berbéro-arabo-gauloise est bien plus chaude et conviviale que des déambulations entre des stands exposant des babioles et autres japonaiseries bien onéreuses. Idir parle, les accords qu'il égrène lento suffisant à deviner la chanson qui arrive. Il évoque l'enfance, les gestes répétitifs d'une mère barattant le lait, rythmant son travail par des mots, des chants, des sourires ou parfois des pleurs et des soupirs. C'est un long hommage aux mères que prononce l'artiste. Aux mères d'ici et de là-bas, exhortant les présents à avoir dans leur tête, une image claire, précise et lumineuse, de celle qui leur a donné la vie, qu'elle soit ou non de ce monde. Il y a alors des gorges qui se serrent et des paquets de mouchoir que l'on ouvre. Puis viennent les premières paroles d'ssendu, la calebasse qui donne le beurre tant désiré. Le soleil décline et sa lumière devient encore plus tendre. C'est juste un «perfect day» comme aurait pu le chanter Lou Reed. Juste ce qu'il faut de chaleur. Juste ce qu'il faut de bleu dans le ciel. Des hommes et des femmes qui dansent. Des enfants qui se poursuivent, tombent et se relèvent. Idir annonce maintenant la chanson qui lui a évité d'aller travailler dans le sud algérien. Il s'agit bien sûr d'A Vava Inouva (non, pas le vavava de Dassin mais le premier tube d'Idir). Ah, que cette chanson a compté dans l'Algérie des années 1970 ! «L'Algérie a aussi son Bob Dylan» avait alors titré la très sérieuse presse unique du parti unique, célébrant ainsi le premier tube maghrébin à s'imposer en France. Impossible de l'entendre sans penser à l'album éponyme tant de fois écouté, prêté, perdu et racheté. Puis, après avoir moqué cette étrange et bien hypocrite coutume du rappel, Idir clôt son tour de chant avec l'inévitable Zwits rwits, un indétrônable et toujours aussi moderne «shake it baby» à la mode kabyle (ah, cette intro de guitare sèche, annonciatrice de tant de déhanchements?). Voilà, le concert est terminé. La foule s'égaille, de larges sourires aux lèvres. Et l'on ne peut s'empêcher de gâcher un peu de sa propre joie en se disant que dans un monde parfait, tout cela aurait pu se passer dans les allées du Jardin d'Essai algérois. Que des familles venues flâner sous les dragonniers seraient tombées par hasard sur un concert d'un Idir enfin revenu pour chanter au pays et en auraient profité en toute tranquillité. Oui, cela aurait pu être ainsi mais cela n'est pas. Et, pour bien apprécier ce qui se passe ici, on se convainc alors qu'il faut apprendre à oublier parfois les peines de là-bas. |
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