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Cher lecteur, toutes vos conversations téléphoniques, tous vos mails, SMS
sont écoutés et stockés par la toute-puissante Amérique ! Et on ne vous parle
pas de Facebook et autres réseaux sociaux?
L'affaire de l'espionnage américain laisse tout le monde un peu pantois. Alors, donc, la moindre de mes communications téléphoniques, sur une ligne fixe ou mobile, mes SMS, la totalité de mes mails, la totalité des visites de sites Internet que j'effectue quotidiennement sont écoutés et conservés, là-bas au loin par la toute- puissante Amérique. Les vôtres aussi, chers lecteurs. Avant, on surveillait de façon plus sélective. Certes, l'espionnage est une vieille chose. Le mot espion dérive étymologiquement du mot «épié». Et l'on épie de tout temps. Comme le rappelle Eric Denise, dans son excellent ouvrage, «Histoire mondiale de l'espionnage», l'Ancien Testament rapporte que Moïse, avant de s'installer en Terre promise avec son peuple, envoya des agents en reconnaissance (Livre des Nombres, XIII, 18-21). En Egypte, les pharaons entretiennent un puissant réseau d'informateurs et de délateurs, de même que leurs ennemis hittites. L'empereur perse Darius organise un véritable ministère du Renseignement, et, en face, les Grecs furent excellents dans l'art du stratagème et de la tromperie. Homère présente Ulysse comme «un personnage aux mille tours». Une des plus célèbres ruses, le cheval de Troie, lui est attribuée. Hannibal à Carthage est maître en la matière et Jules César sait recueillir toutes les informations qui lui permettent de diviser ses adversaires, tout en écrivant des livres comme «La guerre des Gaules», saluant sa propre action et imposant une vérité officielle souvent très éloignée de la réalité historique. C'est lui qui inventa un des premiers codes secrets connus de l'humanité. En Extrême-Orient, Sun-Tzu consacre tout un chapitre de son «Art de la guerre» à la technique du renseignement. Dans l'Inde du XVIIIème siècle, les espions portent les noms d'»ombres» ou d'»oreilles à l'écoute»; au Japon, il existe près de l'empereur un «Institut de l'ombre du feuillage». MISTER SNOWDEN,ANTI-HÉROS A LA FRANK CAPRA Bref, l'espionnage est de tout temps. Mais comme l'avait compris le vieux philosophe allemand Hegel, le quantitatif transforme le qualitatif. Les révélations récentes du très courageux Edward Snowden (il faut trouver une sortie à ce héros à la Frank Capra !), ex-agent de la NSA, immense agence américaine, donnent le tournis : chers sept milliards d'humains, tous vos conversations, courriers, mails sont épiés ! Toute la privée est sur écoute. Tout. Alors, on entend déjà le discours des bien-pensants policiers de cette société hors normes : «Si vous n'avez rien à vous reprocher, pas de crimes, pas de délits, pourquoi craindre l'observation par des autorités officielles de votre intimité ?». Et bien justement, parce que l'intime relève du privé. C'est un droit du particulier, du droit à la discrétion, voire au secret, de l'exigence du non-contrôle de l'Etat et de ses multiples tentacules sur la vie de chacun, du respect de l'autonomie et de la liberté individuelle de chaque citoyen. Toutes exigences finalement, respectables. Ne nous trompons pas, tous les pays en Asie, en Europe, la France parmi d'autres, et ailleurs tentent de faire de même mais aucun n'a pu réaliser l'immense effort complotiste des Etats-Unis en investissements, en technologies, en ressources humaines consacrés à cette espionite absolue et mondiale. Ces révélations n'en sont pas. Dès 1999, un journaliste écossais, Duncan Campbell, avait révélé l'existence d'un réseau mondial d'écoutes téléphoniques, dénommé «Echelon», initié déjà par la très discrète NSA. Créée en 1952, cette agence née de la Guerre froide travaille depuis dans le cadre d'un accord très secret dit UKUSA (United Kingsdom/USA), qui rassemble les Etats-Unis et quatre autres pays anglo-saxons, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Les centres d'écoute de la NSA sont donc répartis sur plusieurs continents. Bien évidemment, les questions de «sécurité nationale» servent de paravent à cette intrusion mondiale. La chute des Twin Towers de New York, le 11 septembre 2001 provoque une brutale accélération des capacités intrusives des services. «L'antiterrorisme est une cause nationale qui ne se discute pas. Pour ce faire, un arsenal juridique a été mis en place. Le Patriot Act voté à la fin octobre 2001 amende singulièrement la vieille loi de 1978 qui réglementait la surveillance des activités de renseignement à l'étranger (le FISA), note le journaliste Hervé Brusini, désormais, un cadre légal particulièrement large permettait la traque électronique des informations par la NSA». Il ouvrait la voie au futur «programme de surveillance terroriste» qui fait de l'Internet le terrain de chasse de l'agence, quitte à ratisser de façon quasi exhaustive les échanges d'information pour peu que «l'entité suspectée soit située hors des Etats-Unis». Dans les faits, au regard de ses formidables moyens, l'espionnage américain s'intéresse bien sûr au terrorisme mais surtout se passionne beaucoup pour «l'information économique» (estimée à 80% de l'activité). Le biz, le flouze, le lik, la naiemo ! Donc, sous couvert du «Patriotism Act», complété en 2007 par le «Patriotism America Act» et finalisé par le programme «Print» révélé par Snowden, s'est mise en place une vaste surveillance des entreprises internationales au bénéfice des sociétés américaines : libre accès aux brevets, échanges commerciaux, politiques tarifaires, stratégies marketing, négociations interentreprises? Le tout, bien sûr, sous la vaste et vertueuse bannière de l'antiterrorisme. D'autres puissances aimeraient faire de même mais elles n'en ont pas les moyens. On comprend donc la colère d'Angela Merkel ou de François Hollande, notamment quand se sont ouvertes lundi les premières négociations pour la création d'un vaste libre-échange USA-Europe? «SPY» POUR TOUS ! Les choses de l'espionnage ont profondément évolué avec cette révolution technologique majeure qu'a été l'Internet. Atout numéro 1 des Etats-Unis ? Un contrôle quasi total des technologies liées à l'Internet qu'il s'agisse des logiciels initiaux, des moteurs d'accès, des répartiteurs, des principales offres de services, l'essentiel est américain sur le réseau fixe comme sur l'ensemble des mobiles, d'Apple à Google, de Facebook à Cisco? La dernière invention amusante est le «cloud computing». Le traitement et le stockage à distance dans un monde virtuel, dans un «nuage» accessible uniquement à certaines des données via des serveurs accessibles par internet posent de redoutables questions aux personnes comme aux Etats. «Un rapport du centre d'étude sur les conflits, liberté et sécurité a été remis au Parlement européen précisément sur cette question à la fin 2012. Rédigé avant les révélations de l'agent de la NSA Snowden, ses termes sont prémonitoires: «La principale préoccupation découlant de la dépendance croissante au cloud computing est moins l'augmentation possible de la fraude ou du cybercrime que la perte de contrôle de l'identité et des données individuelles», pointe Hervé Brusini. Cette gigantesque écoute mondiale pose au moins deux séries de questions. La première relève des principes de la philosophie du droit. Comment un pays qui a longueur de feuilletons exportés dans la planète entière, se justifie par un amour inconsidéré de son droit, de sa constitution républicaine et de sa vénération de justice soi-disant indépendante, peut-il espionner la terre entière en violation absolue de l'ensemble des habitants de la planète Terre, constituant un crime majeur au moins au nom du respect de la vie privée, du respect de la correspondance privée, couverte par des accords internationaux (la convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 rappelle en son article 8, «le droit au respect de la correspondance»)., du respect de la propriété privée ? Le tout avec des méthodes qui feraient passer les sbires du vieux KGB pour une aimable troupe de jeunes scouts? Mais l'amusant est ailleurs. Dans l'univers du renseignement américain, 500.000 fonctionnaires et salariés sont couverts par le «secret défense». La NSA à elle seule occupe 40.000 salariés. Les investissements sont colossaux, l'écoute permanente. Est-elle efficace ? L'Amérique qui chope le moindre de vos chats coquins n'a pourtant rien compris à rien à de multiples reprises dans le dernier demi-siècle. Elle n'avait pas prévu la chute du monde soviétique, elle a perdu au Vietnam, elle s'est fâchée avec ses voisins sud-américains, elle a, plus récemment, perdu en Irak et en Afghanistan. Ses merveilleux services de renseignement économique ne l'ont pas averti des effroyables catastrophes qui ont surgi après la crise des subprimes américains et qui ont plongé l'économie mondiale dans une crise pire que celle de 1929. Car le problème essentiel n'est pas «d'épier», mais de comprendre. Tâche plus ardue. EGYPTE -TURQUIE Comprendre ? Les derniers rebondissements de la situation égyptienne interpellent particulièrement. Le pays est au bord de la guerre civile. Le mouvement est parti de la contestation d'une grande partie de la société civile qui remettait en cause la gestion autocratique du pouvoir par les Frères musulmans. Leur leader, le Président Mohamed Morsi, à l'évidence, n'a pas su faire preuve d'un talent exceptionnel lors de son année d'exercice du pouvoir exécutif et législatif. Il n'en a pas moins été élu démocratiquement. Certes, il a cru que parce que majoritaire, il était le «Raïs» et donc libre d'appliquer autoritairement sa propre loi. L'armée égyptienne qui est depuis la chute de la royauté dans les années 50, une force militaire bien sûr, mais également un acteur politique, administratif et économique incontournable, a réalisé une sorte de putsch, avec des phases de répression totalement condamnables. Au résultat, le nouveau président désigné, Adli Mansour est un juriste paraît-il, estimé. Le parti al-Nour, la plus importante formation politique salafiste d'Egypte, est un partenaire islamiste de la coalition majoritairement laïque qui soutient le renversement de Morsi, issu des Frères musulmans. Al-Nour s'est déjà opposé à la nomination du prix Nobel de la paix Mohamed el-Baradei comme Premier ministre, et émet désormais des réserves sur le choix d'un économiste de centre-gauche, Ziad Bahaa Eldin. Les salafistes estiment que ces deux hommes ne sont pas assez consensuels et réclament une personnalité compatible avec l'ensemble de la mouvance islamiste. Dimanche soir, un porte-parole de la présidence intérimaire avait fait savoir que Ziad Bahaa Eldin, un technocrate de centre-gauche qui a dirigé plusieurs institutions économiques égyptiennes, serait «très probablement» nommé Premier ministre en Egypte. Des salafistes, associés à l'Armée et au bloc progressiste, contre Les Frères musulmans ? Allez comprendre? Les manifestants de la place Tahrir réclamaient plus de liberté, plus de démocratie et surtout plus de progrès social. Il y a fort à parier que les quartiers populaires qui manifestent aujourd'hui en faveur de Morsi se réclament à peu près des mêmes revendications? Le «Printemps arabe» n'en finit pas de démultiplier ses effets, souvent contradictoires. Face à des régimes autoritaires en déroute, l'opposition islamiste, seule force d'opposition constituée, est souvent, après une répression d'une extrême dureté, apparue comme la seule alternative politique fiable aux yeux des électeurs. Mais les différents partis issus de cette mouvance en Tunisie, en Libye, en Egypte et ailleurs, ont une pratique limitée et très théocratique de la démocratie républicaine. De surcroît, ils ont dû faire face aux effets d'une récession économique sans précédent. Pire, le parti modèle, l'AKP turc, vient de subir les mêmes humiliations place Taksim et au parc Gezi, à Istanbul? Constats géopolitiques un peu maussades. Néanmoins, bon Ramadhan à toutes et à tous ! |
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