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Il était
insuffisant le temps imparti à mon ami El houari Dilmi, pour me narrer l'histoire
de la région, me parler de nous ou me commenter la jumenterie de Tiaret.
A coté du château Rousseau, résidence actuelle du wali ; un p'tit café de style parisien gravé au coin d'un immeuble nous servit de lieu de rencontre. Après tant d'écrits et de lectures réciproques que nous partagions dans la même rubrique, nous avions lors de cette amicalité échangé nos chroniques. Lui remettant mon « galou goulna », il me fit la pareille en m'offrant ses «mots en rondelles ». Je visitais ce bled pour la première fois. L'objet étant d'assister aux funérailles de la mère d'un ami. C'est par devoir de vertu, par bienveillance mais aussi en quête d'inspiration, cherchant à trouver un bout de pays où à son propos, il me fit raconter des choses et des choses, que je roulais vers l'inconnu. Venant de l'est du pays empli par mes contrariétés, imbu par mes chimères, je constatais, si ce ne seraient la longueur du trajet et la langueur de la route ; que l'accueil et sa chaleur humaine sont ici une forte marque déposée. L insistance de mon ami El houari ou des gens du village, à manger, à rester, à demeurer, à boire, à y être davantage ; s'est vite cogitée dans ma tête natalement entêtée comme une valeur qui se meurt ailleurs. La convivialité dans le confort relationnel est presque une tentative d'agression positive. En ce jour d'enterrement, la défunte pourtant silencieuse et invisible était de par son aura dans toutes les lèvres. Tout le village était présent. La djallaba, le turban, la canne sont les propres attributs d'une époque heureusement encore vivace et debout que moi, venant d'ailleurs croyais à jamais révolue. Les gens sont la vive expression de l'authenticité. Ils sont réels et véridiques, sans teint, ni feinte. La franchise scintille dans leur accolade et se répand dans ces gestes saccadés et itératifs de ne vouloir vous happer le visage que d'un seul coté. Gauche, droite ou l'embrassade comme une girouette devait avoir, ici un autre contre-sens. Epouse, veuve d'un homme humble et riche dont l'opulence n'était autre que cette autorité morale dont se prévalait le feu époux ; est partie dans l'immense chagrin familial sans pour autant de son vivant pouvoir en commettre un quelconque à quiconque. Femme-ciment, elle fermentait le tissage intergénérationnel, d'entre fils et petits fils, familles et belles familles, proches et voisins. C'est son défunt de mari qui eut en finalité toute l'attention de la foule nombreuse et dense. L'oraison funèbre prononcée n'eut guerre d'éclats de son parcours. Elle n'en avait pas, sauf celui d'avoir donné une progéniture de la même dignité, de l'identique bravoure et de la semblable générosité qui animait feu Hadj Abdelkader. Son conjoint. Morte, étendue et linceulée sur son catafalque, au sein de ce jardin public ex-jeu de boules transformé pour la cérémonie en espace de prière ; elle permettait à son mari de revivre, de se régénérer dans l'allocution funéraire prononcée par l'un de ses anciens élèves, imam de la région. Ainsi, si sa vie durant n'était que considération et grand dévouement à son égard : son décès aussi fut l'ultime preuve d'un amour tacite et eternel. El hadja, par la postérité et le sort oratoire, a fait que son enterrement soit également un peu un autre enterrement pour le Cheikh. On se le remémore, on en prie. N'est-ce pas là un sens de la communication inter-cosmique dans un monde devenu totalement incrédule aux phénomènes de la métaphysique ? Ainsi grâce à cette prise en otage d'une mémoire, les présents se sont rappelés du vieux. Votre serviteur étant mis au parfum, saura que le vieux était un grand possesseur d'un fonds de valeur déontologique intarissable. Il faisait du dévouement aux autres une action coutumière qu'il prodigua par impulsion désintéressée. Nourri aux préceptes du bon sens, de la droiture et de la dextérité, on venait chez lui faire justice. Celle-ci ; prononcée par ses soins se limitait à effacer silencieusement le tord et faire surgir tout aussi silencieusement la raison. Son verdict n'avait pas de recours. J'ai trouvé en cette ville la valeur du sens de l'hospitalité. J'ai vu également des hommes modestes, lumineux et fortement éclairés. Abdelkader Mekki, et sa mixture culturelle helvétique et rahouienne en était l'icône expressive de l'immense capital que recèle cette terre si pourvoyeuse en science et sagesse. La bienvenue manifestée tellement personnalisée qu'elle vous confond dans l'unité formant l'entité familiale. Comme j'ai découvert aussi l'ardeur humaine qui ressemble au paysage semi-steppique avec une moindre hostilité de relief. Mon œil se détournait de façon expresse de ces gens venus comme moi d'un ailleurs brut et citadin ayant la connotation du déjà vu, déjà su, déjà connu. Il lui fallait se fixer en exclusivité sur la vaillance qu'exprimait l'innocence d'un air ou d'une attitude sans calcul ni simulation. La cordialité se répandait sur tous les visages. Les enfants savaient garder le regard souriant sur leur frimousse d'ange en ayant tête inclinée l'index à ronger. Ce gars, dénommé «pasteur» qui passait et repassait en saluant à chaque fois le décor humain faisant ses abords, semblait sortir d'une réputation mémorielle qui s'est tue depuis longtemps et que tout le monde pourtant savait. Une image d'ensemble idyllique se dessinait à moi chaque instant et à chaque mouvement. Je voyais, avant le rituel d'ensevelissement sortir comme une armée en file indienne des tables portables garnies de couscous, de dattes fraiches, de lait caillé et de quelques fruits de saison pour s'installer là, devant la foule parsemée sur l'asphalte , priée de former des carrés. Les maisons avoisinantes du domicile mortuaire étaient -toutes portes ouvertes-prêtes à accueillir les visiteurs en prédisposition de présentation de condoléances. Cet agissement, m'explique-t-on est le signe extérieur d'une solidarité née avec le temps. Le Cheikh en était l'élément corroborant, s'acharnant à la conservation et au maintien d'un tel usage. La pédagogie visée par cette politique de solidarité locale était de laisser les parents du décédé déjà dans leur peine, aux affres du tourment de la disparition. Les gens, voisins et alliés s'activaient donc par suppléance à la prise en charge d'autrui. Solidarité agissante ? Assistance mutuelle ? Tradition ancestrale ? Déjà que dans l'air du temps l'on parle d'une empreinte culturelle, festive et religieuse perpétuant cette coutume immémoriale synonyme d'un hommage à l'érudit et saint cheikh Benaïssa, descendant de Sidi M'hamed grand patriarche par l'organisation d'une grande cérémonie. «Cette ascension , dont le point de chute était la zaouïa portant ce grand nom, aura a susciter une afflux prodigieux, il a aussi été caractérisé, auparavant, par une préparation égayante soumise à des processions de fidèles, munis d'emblèmes, de banderoles et autres étendards multicolores confectionnés à l'occasion, et sillonnant durant plusieurs jours, au rythme du karkabou, les différentes artères de la ville comme pour annoncer la waâda.» m'avait-on rapporté. Loin s'en faut de narrer les images nostalgériques de ce que fut Rahouia d'antan. Mais il en reste quand bien même des signes distinguant la vie communautaire qui se pratiquait dans un style urbanistique analogue à tous les noyaux des villes de type colonial. La centralité y était déjà en plein centre. Les docks, font que leur silhouette établit bel et bien que la région se privilégie d'être à vocation céréalière. Les ruelles, les basses habitations, les toitures ardoisées, les bordures en pierre taillée, les trottoirs et leurs rigoles, les espèces végétales d'ornement urbain notamment les eucalyptus sont toujours là pour témoigner des chroniques de jadis. La salle des fêtes, jouxtant l'ancienne mairie transformée depuis 1990 en siège de daïra, à voir ses dessertes, sa vasteté et son guéridon semble garder dans ses tréfonds une physionomie de liesse et de jubilations bacchanales. Pour ceux qui l'ont ainsi conçue. Les autres s'affairaient à autre choses. Le recouvrement de la liberté. Paradoxe des temps ou rappel du sort, cette salle en cette occasion, profitant de la proximité immédiate du logis de la défunte ; tapissée elle a servi de lieu de prière et de longue veillée religieuse. Là aussi, vite pris par une attraction indicible et résistant à l'envie imprenable de s'isoler pour grignoter une sèche, un son habituel à la phonétique est venu embaumer mes tympans «Reste en compagnie de ceux qui, matin et soir, invoquent leur Seigneur ne désirant que Son agrément. » (Coran, sourate 18, verset 28). Des hommes fascinants, tous âges confondus, Chouyoukh, imams, oulémas, maitres et disciples psalmodiaient les saints versets coraniques d'une intonation qui faisait spontanément assourdir les pulsions matérielles pour laisser place à une sensation de purification et de sérénité à dimension extatique et spirituelle. Telle une symbiose dans sa plénitude, le concert dirigé par Hadj Mohamed fils du Cheikh et de la défunte ; s'offrait à l'assistance comme une panacée et aux de cujus comme une thérapie. Si souvent l'on constate que certaines traditions se perdent, l'essentiel est toujours dans cette foi vivace et imprescriptible. La tendresse de la sonorité a dodeliné avec croyance et fidélité la sensibilité des âmes par cette essence qui avait envahit la «salle des fêtes». C'était là, par ailleurs une autre expédition à travers un ressourcement de cœur, vers la noblesse du sacré, de l'apaisement sensitif, de l'écart du moi et de l'ego et du repos de soi. Ici l'esprit cartésien se refugie avec tout son éveil dans une soumission infinie et indéfinie. Tout raisonnement humain à essence dialectique est vite suppléé par un raisonnement d'un genre particulier. L'on laisse de coté les mathématiques et l'urbanité, l'on rentre droitement dans une sphère incalculable. En fin de devoir accompli, extirpé de l'euphorie de l'espace ; je pressentais mal le devenir immanent qui m'attendait. Le calvaire du retour. Non pas de vouloir encore et avec avidité apprécier la nature extraordinaire qui se faisait visionner aux alentours d'une campagne parfois intacte, parfois souillée, mais de souffrir davantage des incommodités de la route, moi qui préférais le trajet à toute destination. La trouille de subir autant le crucifix routier qui me guette de par l'indigence caractérisée de l'état des routes, le dénuement des villages que j'allais traverser m'ont dissuadé hélas à laisser s'éterniser le laps de temps consacré à mon ami El houari. Néanmoins, étant conduit j'égrenais au fil de l'avalement des kilomètres et des kilomètres plusieurs «des mots en rondelles». |
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