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Nostalgie quand tu nous tiens !

par Bachir Ben Nadji

Il y a quelques jours, je lisais la lettre envoyée par une lectrice à un journal qui vient de célébrer ses dix ans d'existence. Cette lectrice a fait part de sa nostalgie des anciens temps, de ceux des années soixante dix, surtout, des années qui resteront dans les mémoires de ceux qui les ont vécues, car à mes yeux, elles sont les meilleures de celles des cinquante années de l'Algérie indépendante. A ce moment-là, l'Algérie avait traversé ses dix huit ans de liberté, et pour ceux qui y ont vécu, c'était de belles années malgré tout, malgré les contraintes, mais comparées à celles que nous vivons actuellement et que vivent les générations actuelles, il y a un monde, et vraiment un monde.

Chers lecteurs, je vais retourner à la nostalgie. J'ai vu sur Wikipédia que nostalgie en tant que sentiment s'explique ainsi :

« La nostalgie est un sentiment de regret des temps passés ou de lieux disparus ou devenus lointains, auxquels on associe a posteriori des sensations agréables. Ce manque est souvent provoqué par la perte ou le rappel d'un de ces éléments passés, les deux éléments les plus fréquents étant l'éloignement spatial et le vieillissement qui représente un éloignement temporel. On a pu diagnostiquer dans la nostalgie sous toutes ses formes le regret de l'enfance ».

Notre lectrice nostalgique a parlé d'endroits qui existent toujours et que fréquentent maintenant des jeunes d'autres générations. Elle a cité Sciences-po, la Salle des actes, le Névé, le thé siroté sur les terrasses de cafés, et elle a aussi parlé de disque de Cheikh Imam que les étudiants écoutaient. Ha ! Le temps du disque, quel temps ! Et Cheikh Imam qui connait maintenant à part ceux de cette génération, hormis quelques uns qui ont vu leurs pères leur faire connaitre et chanter les textes simples de ce grand chanteur et de son parolier Ahmed Fouad Nejm, son compagnon de toujours. Il y a ceux qui l'ont vu lors de ses nombreux concerts en Algérie, ayant accompagné leurs parents à El Mouggar ou ailleurs dans les salles qui ont vibré avec Imam, Marcel Khalifa, Darwich et les autres.

Et le disque ? Il n'existe presque plus, sauf chez les nostalgiques qui ont eu les moyens de le conserver et de conserver leurs tourne-disques, lesquels à défaut, ils pourront les voir chez les antiquaires ou sur des photos anciennes.

Notre lectrice, elle n'est pas la seule, regrette les temps d'Algérie Actualités, des idéaux de transformer le monde comme ont voulu le faire le Che et d'autres révolutionnaires à travers les continents des damnés de la terre, elle nous parle des lectures des articles des grands titres de la presse internationale, mais se pose la question si les jeunes d'aujourd'hui lisent. Sur ce plan, elle est affirmative : les gens ne lisent pas, actuellement, ils ne parlent et ne pensent qu'aux biens matériels.

Voici les nostalgiques ! Ils regrettent tout. Chaque temps a ses nostalgiques. Les gens qui ont vécu avant l'indépendance, regrettent le temps de la simplicité, du temps où il n'y avait pas grand-chose, du temps ou les cœurs acceptaient tout, mais savaient faire la différence entre le bien et le mal.

En parlant de tout et de rien, les nostalgiques regrettent tout ! Ils vous diront que dans leur temps, les choses ne se passaient pas ainsi.

A l'indépendance, les algériens étaient fiers d'être frères comme ils l'ont été durant les années les plus dures, et ils regrettent ces temps. Ceux des années soixante et soixante dix ne regrettent rien, ils dégustent la liberté, l'indépendance, l'édification du pays. Les gens travaillaient tous, et en ce temps là, c'est le travail qui venait vers le travailleur, et tout le monde travaillait, les uns la terre, les autres éparpillés un peu partout, du secteur de l'industrie, qui était florissante dans le temps, à l'administration.

Et au fil des ans, les nostalgiques ont commencé à regretter le temps ou nos villes et villages baignaient dans la quiétude, étaient propres avec des rues bien alignées, des commerces bien réglementés, un urbanisme exemplaire, des gens bien éduqués et j'en passe.

Les choses ont commencé à se dégrader, le bruit devenait assourdissant, les gens ne se respectaient plus entre eux, la poussière régnait partout, les commerces ont perdus de leur charme et de leur principe, l'urbanisme a pris la poudre d'escampette, on construisait n'importe où et n'importe comment, les valeurs et les repères ont disparus.

Dans les années quatre vingt, tout a été chamboulé et les nostalgiques sont devenus plus nombreux à dire ce qu'ils ont sur leurs cœurs. On n'entendait plus que des « ah, de notre temps, les choses n'étaient pas comme ça », etc. ?

Les crises ont commencé à se succéder et les années ne se ressemblaient point. La nostalgie s'est accentuée davantage, laissant les gens rêveurs des temps consommés, des années de bien-être, des années de prospérité. Les regrets de ces années où il faisait bon vivre s'amoncèlent et se figent avec l'espoir de voir les choses s'améliorer pour les autres parce que l'on pense, avec le temps, et malgré tout, qu'il faut avouer avoir vécu. Pablo Neruda, ce poète et homme d'Etat chilien en a écrit un ouvrage qu'il a intitulé « j'avoue que j'ai vécu » et c'est cela la nostalgie en tant que sentiment.

Et ces algériens des années qui ont suivi la crise, ces jeunes d'aujourd'hui qui ont grandi dans la peur, dans le bruit du crépitement des armes automatiques, dans les mauvaises nouvelles, quelle nostalgie auront-ils, dirions-nous.

Je dirais que nombre d'entre eux ont fui le pays, d'autres attendent ou fondent l'espoir eux aussi de partir vers d'autres horizons afin d'être nostalgiques de quelque chose, de quelque part.

Là, mes amis, mes chers lecteurs, sachons que tout un chacun regrette quelque chose, a la nostalgie pour quelque chose. L'être humain, par essence, retient toujours les bons et les mauvais souvenirs, retient les bonnes et mauvaises choses, et il sera toujours nostalgique par rapport à quelque chose. Ah, nostalgie quand tu nous tiens !