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Modérer la révolution génétique

par Jean-Jacques Cassiman *

Nous n'en sommes peut-être pas pleinement conscients, mais les générations futures vont sûrement tenir notre époque pour véritablement historique. Jamais auparavant l'humanité n'a si bien compris le fonctionnement des cellules, des tissus et des organes, les mécanismes moléculaires précis de l'évolution, ainsi que le lieu d'origine de notre espèce et la façon dont elle s'est dispersée à travers le monde.

La technologie nous permet de démêler les processus et les mécanismes cellulaires et sous-cellulaires, d'identifier les causes des maladies et de développer des traitements plus spécifiques et plus efficaces, de déterminer ce qui est biologiquement lié à nous et à quel degré se combinent les connaissances de la biologie, de l'informatique, de la technologie de l'information et des sciences des matériaux. Comme on aurait pu s'y attendre, une telle révolution dans la connaissance doit également avoir un impact social significatif, qui exige de répondre à des questions considérées jusqu'à présent comme relevant de la pure science-fiction.

Il est techniquement possible aujourd'hui de séquencer les 2,4 mètres d'ADN présents dans le noyau de chaque cellule de notre corps en seulement quelques jours. Et alors même que la vitesse d'un séquençage fiable continue d'augmenter, le prix du séquençage a chuté précipitamment et va bientôt coûter seulement quelques centaines de dollars. Une fois connue la fonction de chaque fragment d'ADN, rien n'empêchera plus un séquençage de routine.

Déjà les variations dans la composition d'environ 500 000 blocs de construction d'ADN (SNP ou polymorphismes de nucléotides individuels) répartis sur la longueur totale de l'ADN et corrélés à des caractéristiques physiques et comportementales ou à la sensibilité aux maladies, sont analysées régulièrement. Des erreurs importantes dans la composition de l'ADN responsables d'environ 3 000 maladies génétiques sur les des 7 000 connues peuvent être visualisées et des efforts sont en cours pour identifier les causes des 4000 restantes.

En attendant, un nombre de plus en plus important de sociétés proposent un nouveau type de service commercial : une analyse de l'ADN directement destinée aux consommateurs à des fins généalogiques ou médicales. Alors que leurs activités et leur clientèle sont en constante augmentation, la plupart des résultats n'ont actuellement qu'une valeur limitée pour déterminer les caractéristiques ou les risques de maladies courantes comme l'hypertension, les maladies cardiovasculaires, le diabète et la dépression.

Certaines personnes revendiquent cependant le droit de connaître toutes les informations se rapportant à elles, y compris le moindre risque de contracter ces maladies. Certaines sont même prêtes à subir des mesures de prévention ou à modifier leur comportement pour minimiser ou maîtriser ce risque. D'autres doivent faire face à des résultats montrant qu'elles portent des anomalies qui augmentent considérablement leur risque de développer une forme héréditaire de cancer ou de démence, ou de transmettre une anomalie à leurs enfants qui pourrait à son tour causer une grave anomalie à leurs petits-enfants.

Certaines personnes, pour l'instant toujours minoritaires, sont fascinées par ces nouvelles connaissances et tiennent ces résultats pour acquis. Mais davantage de recherches sont nécessaires avant de pouvoir comprendre les résultats d'un séquençage correct et d'appliquer ces connaissances de manière appropriée au calcul de risque. Par exemple, plus de 97% de notre ADN ne contient aucune information touchant à la synthèse des protéines ? c'est-à-dire qu'il ne contient aucun gène ? mais néanmoins il interagit avec nos gènes pour augmenter, diminuer ou inhiber la production de protéines.

Nous savons aussi que même si notre ADN est un peu responsable de l'augmentation des risques pour les maladies courantes, et dans certains cas, est entièrement responsable de maladies héréditaires, l'environnement de ces fonctions de l'ADN peut être aussi important que la composition de l'ADN lui-même. En effet, à partir du moment de la fertilisation, l'environnement dans lequel l'ovule fécondé se développe (par exemple, en fonction de ce que la mère mange, le fait qu'elle fume ou qu'elle boive de l'alcool, ou encore qu'elle développe des maladies ou des infections) place des marques appelées épigénétiques sur l'ADN ou sur les protéines qui l'entourent, qui affectent sa fonction.

Cet effet de conditionnement se poursuit et augmente après la naissance, ce qui conduit à plusieurs degrés de marquage épigénétique dans les différents organes. Des différences individuelles dans la prédisposition aux maladies peuvent en être la conséquence. Ceci est bien illustré dans les jumeaux homozygotes, qui montrent en prenant de l'âge des différences dans la façon dont leur ADN identique est marqué par l'environnement.

Néanmoins les dangers impliqués par les récents progrès technologiques sont devenus de plus en plus évidents. Par exemple il est maintenant possible d'analyser l'ADN d'un enfant à naître à partir du sang de sa mère et de déterminer le facteur de risque de ses futures maladies. Cela ouvre la voie à un eugénisme manifeste : la sélection (par les parents, les autorités, entre autres) d'enfants ayant des caractéristiques considérées comme « appropriées ».

Nous devons veiller à ne pas devenir davantage fascinés par la composition de l'ADN et par les caractéristiques et les risques qu'il comporte, que nous ne le sommes par les qualités humaines des personnes moins-que-parfaites que nous sommes tous. Cela ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'applications importantes de nos connaissances pour sauver des vies, voire même nécessaires pour atteindre ce but. Mais elles sont plus limitées en nombre et en portée que beaucoup semblent le croire. Il faut à présent non seulement faire avancer les recherches en cours, mais aussi réfléchir et avancer avec prudence.

Traduit de l'anglais par Stéphan Garnier.

* Professeur de génétique humaine au Centre de Génétique Humaine de l'Université Catholique de Louvain.



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