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Le civisme, me diriez-vous ?

par Mohammed Beghdad

En étant un jeune universitaire au milieu des années 70, je me rappelle qu'on prenait souvent le train pour rejoindre la ville d'Oran à partir de celle du lieu de la demeure des parents.

Le spectacle qui me paraissait incroyable, c'étaient ces sièges neufs ou rénovés de ces wagons que les voilà déjà éventrées par des personnes inconnues qui se dissimulaient en usant de leurs couteaux aiguisés dès qu'elles sentaient l'occasion propice pour accomplir leurs méfaits.

La même scène s'offrait également à nous lorsqu'on on prenait le bus de l'entreprise étatique de la défunte Sntv. Des banquettes déchirées par des mains suspectes à l'aide de lames tranchantes, c'était le sort réservé à ces autocars flambants neufs de marque Man, importés à coup de devises de la lointaine Allemagne fédérale avant l'épopée de la Sonacome.

Mais qu'est-ce qui rendait cette catégorie d'algériens aussi inciviques que ça ? Au point de croire que tous ces biens ne leur appartiennent nullement, en pensant peut-être que toutes ces richesses sont détenues par les dirigeants en face d'une plèbe qui vivait dans la misère et la pénurie en sus de l'oppression. Durant ces années, les hydrocarbures commençaient à être considérés comme l'aubaine qui subviendrait à tous les besoins du pays. La corruption n'était qu'à un stade rampant. L'appétit est venu en mangeant.

La preuve, on faisait visiter la zone industrielle d'Arzew, la grande fierté nationale, à tous les présidents étrangers amis ou les grandes personnalités du monde qui visitaient la jeune Algérie. Jusqu'à aujourd'hui, on continue encore de pomper notre sous-sol comme une mamelle merveilleuse inépuisable dont on nous annonce bientôt son tarissement mais dont une majorité des algériens n'y croit pas à une fin proche du mythe pétrolier en continuant de dormir dans son sommeil profond. Pour ce qui est du vandalisme, puisque c'est ainsi qu'il faut nommer ce phénomène, je ne comprenais pas encore le geste de ces infortunés qui soupçonneraient éventuellement une utilisation de ces moyens de transport par les familles de la Nomenklatura de l'époque ou qu'un ministre ou ses enfants allaient les prendre comme à l'instar des pays scandinaves.

Lors des émeutes de 88, ces pratiques se sont amplifiées. De nombreux manifestants s'attaquaient contre tous les biens publics, en incendiant les édifices étatiques, des mairies jusqu'aux commissariats de la police, qui avaient subi un saccage inimaginable jusqu'à la dernière insignifiante plaque de sens interdit. Certes, c'était un véritable soulèvement mais d'où venait alors cette envie de s'attaquer à tout ce qui symbolisait l'état, de casser tout ce qui le représentait ? On assiste à la même attitude des manifestants durant ces temps-ci avec la multiplication de révoltes qui ont lieu un peu sporadiquement partout dans le pays. Tantôt on brûle une poste, tantôt on assiège les forces de l'ordre qui empêchent les dégâts de se propager en s'opposant aux jets de pierres lancés et ces routes bloquées par des barricades instantanées.

Tout jeune, je me remémore encore que l'on distinguait parfaitement le bien privé à ne pas toucher, il faisait presque du domaine sacré en contradiction avec tout ce qui appartient à l'état. On désignait ce dernier par celui du « beylik » relatif à l'époque ottomane quoiqu'elle fût révolue mais qui reste très présente dans les esprits à travers les récits de plusieurs générations malgré que l'histoire de cette période remonte à très très loin. En tous les cas, toutes les sources indiquent que tout qui est étatique relève du domaine public. On pouvait se servir et faire jouir son entourage à satiété si la moindre occasion allait se présenter. Il faut profiter au maximum de cette fortune nommée « Baylek ».

Pourquoi alors cette forte distinction entre les deux si ce n'est une méfiance mutuelle, entre les gouvernants et les gouvernés, qui s'éternise et qui n'a pas été réglée depuis l'indépendance ? Et ce qui envenime de plus en plus ces rapports qui ont connu plus de bas que haut durant ces 50 dernières années. Si certains détruisent, lors de ces rébellions, tout ce qui a été réalisé par l'état, c'est qu'on sent que ce pouvoir n'émane pas de leurs aspirations. D'autre part, il ne dépense qu'au compte-goutte lorsqu'il se sent acculé et pressé en jetant de même l'oseille par les fenêtres. Au fait, cette rente n'est utilisée que pour asseoir le système mais son futur s'annonce plus que sombre s'il persisterait dans cette voie figée et obstruée à l'autre extrémité.

La seconde cause vient tout simplement d'une autre conséquence de cette rente qui retarde toutes les échéances politiques. Aucun algérien n'a jamais senti qu'une route, qu'un hôpital ou qu'une école, aient été réalisés de sa propre poche grâce aux prélèvements des impôts comme c'est le cas dans les pays qui comptent uniquement sur le labeur des siens. C'est tout à fait logique que dans ces pays-là, le citoyen suit pas à pas la destination de son argent, tandis qu'ici on ne soucie guère de cette revendication, principalement de ceux vivent dans l'informel et dont ce système arrangerait bien leurs affaires occultes comme si cette manne soit tombée du ciel pour maintenir les choses en leur état actuel où presque tout le monde fait son beurre. Ne pas payer ses impôts en occident est jugé comme de l'incivisme caractérisé. Dans les pays européens, on ne peut imaginer qu'un citoyen fait de la casse son leitmotiv sauf ceux de ces banlieues marginalisées. Dès que les injustices sont présentes, les opprimés ne cherchent qu'à se venger.

C'est un cercle fermé qui piège les gouvernants successifs qui ne pourrait mettre un terme au rassasiement d'un peuple assisté. La sauvegarde du pays ne pourrait s'entrevoir que par l'établissement d'une relation basée sur la loyauté, l'honnêteté et la sincérité à bâtir qu'aux frais d'élections affranchis de tout contrôle douteux. On sait bien que tout ce que l'on endommage va être le lendemain reconstruit immédiatement tant que l'argent coule à flots. On a installé plutôt une relation d'une paix précaire mais qui ne pourrait assurer une stabilité durable. Une dégringolade du prix du baril fausserait tous les calculs et retomberait le pays dans une turbulence profonde.

C'est comme si on est entrain de profiter de cette position inconfortable d'illégitimité de cet état qui le rend plus vulnérable plus faible que jamais face à un peuple qui persévère dans cette illégalité tout azimut, dans cette situation d'un face à face perpétuel, en campant infiniment dans l'informel le plus absolu. Les gouvernants peuvent faire les meilleures propositions utiles pour le pays mais il leur manquerait toujours ce visa indispensable des urnes. Même si on pourrait se tromper une fois de cible dans cet exercice démocratique à construire, on ne resterait pas aveugle éternellement. L'expérience ne pourrait venait que si l'exemple serait exercé à plein temps, ne serait-ce qu'à des doses planifiées. L'important est de sortir de ce marasme dans ce labyrinthe infini. Le civisme auquel les algériens aspirent à le devenir ne viendrait que par un état fort tant sur les plans intérieur qu'extérieur, par une confiance retrouvée qui serait placée en ses dirigeants réellement élus, sortis de leur volonté et qui leur rendraient des comptes tout au long de leur mandat, qui partent et qui reviennent lorsque le scrutin aurait rendu son verdict irréprochable.



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