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Arguments en faveur: l'Algérie est bien située. Entre un
royaume petit mais tenace et sans
pétrole et une Tunisie instable, encore hésitante, en crise, piégée entre la
mer et Kaboul. Entre le Mali et le mauvais temps. Le pays est riche, a de
l'argent beaucoup, a de la géographie, de l'espace et des gisements. Plus
encore, il est demandeur de tout, son peuple a la nationalité mentale des pays
du Golfe, riches et oisifs, et il y a des chantiers. Sur le CV, on peut ajouter
l'essentiel: ses islamistes sont plus ou moins maîtrisés, c'est un pays devenu
stable parce que le reste du monde est agité. Son régime est structuré même si
cela est informel et ses centres de décisions sont encore forts. «Vous avez une
fenêtre de tir de trois à quatre ans dont il faut profiter en urgence», a dit
l'ambassadeur d'une grande puissance étrangère en Algérie au chroniqueur.
Argument en défaveur: le peuple se reproduit plus vite que les idées et les solutions. Les gens pensent au salut religieux, pas aux solutions des égouts. Il y a trop de corruption et pas suffisamment de visibilité: on ne sait qui commande vraiment et donc qui payer finalement. Les élites politiques sont préfabriquées comme des poupées gonflables ou impuissantes. Il n'y a pas de contre-pouvoirs, donc pas moyen de s'éclairer dans le noir. Le peuple est socialiste dans la tête et ne peut plus travailler ou être employé. L'armée bloque la vie politique qui, elle-même, bloque l'armée dans un mauvais rôle. Il y a trop de martyrs et pas suffisamment de leaders. Trop de subventions et pas suffisamment de patrons. Il y a un seul syndicat et 9.000 émeutes par an. Le Président est vieux, les castes dirigeantes trop méfiantes et démodées et on ne peut pas discuter paisiblement de l'histoire. Il y a de la méfiance partout, ce qui est le contraire de la confiance nécessaire à l'investissement. Les lois sont nombreuses mais inutiles. Il n'y a pas de bonnes écoles mais beaucoup de mosquées. Il n'y a pas d'adresses, de plans, d'interlocuteurs et de guides fiables. Il y a une seule vision et trop d'avis. Chacun attend que l'autre meurt, ou s'endort, ou s'en aille, ou s'écrase. A la fin ? On ne sait. Comme toujours, le pays semble être choyé par les dieux mais desservis par les hommes. On a tout pour réussir sauf nous-mêmes. On peut être l'Afrique du Sud mais on est la Corée du Nord. On peut vaincre les colons, mais pas nous-mêmes et nos fatalismes. On est encore un pays jeune mais ridé sous une seule peau. En Algérie, vous trouvez des gens qui veulent être Français, Saoudiens, Egyptiens, Pakistanais par le saroual, Libanais, Américains, Hindous ou islamistes, harraga, médisants constants ou lapideurs, mais rarement qui veulent être Algériens simplement et construire un mur ou fabriquer une récolte. Etrange îlot, entre le Nord et le Sud, posé entre la mer et l'au-delà. Riche et manchot. Terre ambiguë qui hésite. Découverte d'un mot fascinant à méditer: anomie. Extrait: «Le terme anomie est aussi utilisé pour désigner des sociétés ou des groupes à l'intérieur d'une société qui souffrent du chaos dû à l'absence de règles de bonne conduite communément admises, implicitement ou explicitement, ou, pire, dû au règne de règles promouvant l'isolement ou même la prédation plutôt que la coopération. Robert K. Merton s'est intéressé à l'anomie et a décrit les règles qui, si elles sont non suivies, y mènent : les buts culturels comme souhaits et attentes des membres de la société des normes, qui prescrivent les moyens permettant aux gens d'atteindre leur but la répartition de ces moyens. L'anomie est dans ce cas davantage une dissociation entre les objectifs culturels et l'accès de certaines couches aux moyens nécessaires. La relation entre le moyen et le but s'affaiblit». |
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