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Les élections générales (législatives et sénatoriales) des 24 et 25
février dernier ont désigné deux Assemblées sans majorité capables de s'entendre
pour gouverner (la Chambre des députés et le Sénat sont d'égale importance,
selon la Constitution italienne). Le M5S de Beppe Grillo est devenu le premier
parti de la péninsule, en pourcentage de voix. Avec ses 8,5 millions e
suffrages, le M5S a autant mordu à gauche qu'à droite, mais aussi, à hauteur de
20 % de ses voix, auprès des abstentionnistes qui avaient boudé les urnes aux
dernières élections législatives de 2008. On peut parler de raz de marée de
Beppe Grillo qui a obtenu 25, 5 % des voix à la Chambre et 23, 8 % au Sénat.
C'est une percée sans précèdent.
Conséquences de la politique de Monti En quinze mois, l'Italie a cessé d'être l'enfant malade de l'Europe. La compétitivité a été redressée. Le marché du travail et le secteur des services ont été libéralisés. Les privatisations ont été relancées. L'Etat providence a été restructuré (retraite à 66 ans pour les hommes et 62 ans pour les femmes, réorganisation du système de santé, réorientation de l'indemnisation du chômage vers la recherche d'emploi). Ces réformes sans précédent ont obtenu de premiers résultats tangibles. Au-delà de l'excédent budgétaire primaire, le déficit structurel a été ramené à 0,5 % du PIB. Le commerce extérieur a dégagé un excédent commercial de 11 milliards d'euros contre un déficit de 25,5 milliards d'euros en 2011. Les taux d'intérêt ont baissé de plus de 2 points. Mais, les séquelles du choc fiscal de 63 milliards d'euros sur trois ans sont lourdes. L'activité a chuté de 2,2 % en 2012, portant à 7,5 % le recul du PIB depuis 2008 et ramenant le revenu par habitant à son niveau de 1998. Les faillites ont explosé pour toucher 104 000 entreprises. Et les réformes sont très loin d'avoir résolu tous les handicaps structurels de l'Italie : une démographie exsangue ; une productivité minée par la taille insuffisante des entreprises, la faiblesse de la concurrence, de la recherche et de l'innovation ; une société de castes et de rentes ; un Etat faible et corrompu ; une nation éclatée. L'Italie est retombée au niveau du PIB de l'année 2000. Depuis le début de la crise, la chute de la production italienne est équivalente à celle des années 1930. Parmi les autres conséquences de la cure d'austérité, il y a la baisse du pouvoir d'achat (-4,3 % de consommation), le chômage (11,2 % de la population active ; 36 % des jeunes), l'austérité imposée par Bruxelles et Francfort (300 milliards d'euros d'économie et de taxes nouvelles jusqu'en 2014). L'Italie compte 8 millions de nouveaux pauvres. La majorité des électeurs a donc choisi la fuite en avant en votant pour deux forces populistes, démagogiques et antieuropéennes. Deux forces qui permettent aux italiens de continuer à rêver au lieu de se colleter avec la réalité. Les deux populismes italiens représentent la moitié de l'électorat. Le populisme de droite Il est incarné par la démagogie fiscale de Berlusconi qui a réussi à regagner le cœur d'une partie des italiens. Le programme du « moins d'impôt » a séduit un pays ou plus de 80 % de la population est propriétaire de son habitation principale. Il avait, en effet, promis de restituer aux italiens 8 milliards d'euros, en supprimant la taxe d'habitation nouvellement instaurée. Il se présente, avec celui de ses alliés de la Ligue du Nord, avant tout comme une expression de la peur : peur de l'Etat et des impôts, peur du déclassement social, peur de la mondialisation financière, peur de l'immigration. Berlusconi a martelé son message simpliste : rompre avec la politique d'austérité imposée par une Allemagne hégémonique et renégocier les engagements pris à Bruxelles. Il a, de plus, promis une amnistie pour ceux qui sont en délicatesse avec le fisc, la légalisation des bâtiments construits sans permis, l'abolition de l'IRAP, une taxe sur les entreprises. Enfin, il s'est engagé à supprimer l'Imu, la taxe foncière instaurée par Mario Monti, et à rembourser celle perçue en 2012. Le populisme de gauche Le succès de Beppe Grillo s'est largement construit sur la débâcle des partis traditionnels. Ce dernier a joué sur le registre de l'indignation et de la révolte. Il a exploité le ras-le-bol d'une partie des électeurs contre le système dans son ensemble. Il a rassemblé les déçus de tous les bords. Sa formation joue sur un mélange de poujadisme protestataire et de « gauchisme participatif ». Il conteste le système politique existant et ses élites. Il ne cherche pas à renverser l'ordre établi. La campagne a principalement porté sur des problèmes éthiques (exemple : le thème de la corruption). Aussi, les électeurs se sont focalisés sur l'honnêteté des élites qui leur imposaient de tels sacrifices. «Ils veulent planter le système» Son programme qui va de l'instauration d'un revenu minimum de 1 000 ?, en passant par la sortie de la zone euro et internet gratuit pour tous, n'a pas été forcément déterminant dans le vote de ses partisans. Malgré toutes ses promesses, son succès s'explique par un seul slogan : il s'agit pour lui et ses partisans de se débarrasser de la « vieille classe politique », toutes tendances et tous partis confondus. « Sortez les sortants », tel fût son principal mot d'ordre. Plus que la politique d'austérité, c'est le système politique italien, ce sont les élus, les élites, que les partisans de Beppe Grillo ont condamnés. Conséquence pour l'Italie L'UE pourrait être tentée d'isoler ce pays pour éviter des retombées sur la monnaie unique. La conséquence immédiate pourrait être la remontée en flèche du spread, l'écart entre les taux, et la fuite des investissements. Et probablement, à terme, le retour d'un exécutif de technocrates pour remettre la péninsule sur les rails en appliquant des mesures autrement plus dures que les réformes inachevées de Mario Monti durant les quinze dernier mois. La catastrophe italienne va réveiller les marchés, qui se déchaîneront à nouveau contre la zone euro. Dans la prescription recommandée par l'Allemagne, les électeurs ne voient pour l'instant que des sacrifices. Mais, le résultat des élections ne montre pas que le rejet des réformes, mais aussi le rejet des élites. Beppe Grillo a le dégoût des corps intermédiaires. Il veut tout plier à sa volonté. « rendez-vous ! rendez-vous ! Vous êtes cernés par le peuple italien ». Le « tous pourris, tous corrompus » est son leitmotiv. Conséquences pour l'Europe Le succès de Beppe Grillo aura peut-être le mérite d'ouvrir les yeux des experts européens sur les limites des politiques d'austérité qui corrodent, comme dans les années 1930, la démocratie parlementaire. L'austérité draconienne pratiquée dans les pays d'Europe périphérique, l'Irlande, la Grèce, le Portugal, l'Espagne et l'Italie, risque désormais de faire imploser l'UE. Les peuples eux-mêmes ne voudront plus de l'euro, rejetant dans un même opprobre le projet européen, les élites qui les conduisent et le désastre économique qui l'accompagne. Ce ne sont plus les marchés financiers qui menacent la monnaie unique, mais les élections et les mouvements sociaux. Quand on assainit l'économie, il faut que les peuples aient le sentiment que cela se fait avec eux et non contre eux. Il y a une véritable souffrance, des appels au secours des peuples du Sud de l'Europe. La montée du populisme (Aube dorée, Beppe Grillo, Berlusconi) est imputée à l'austérité imposée par l'Allemagne. Dans la crise politique qui perce après les convulsions financières, « l'Europe austéritaire », comme la qualifie Paul Krugman, serait le problème et non la solution (glissement progressif dans le populisme, mélange « d'anti européisme », d'antiparlementarisme, de détestation des élites et de xénophobie). L'austérité fait ainsi le lit du populisme surfant sur un triple rejet : celui de l'euro, des élites et du système. Les élections italiennes ont constitué un test pour la crédibilité économique et l'acceptabilité politique des stratégies d'ajustement mises en place afin d'endiguer la crise financière dans les pays d'Europe du Sud et de sauver l'euro. Force est de constater que ce test a spectaculairement échoué. Eviter l'explosion sera difficile. Il y a de quoi être pessimiste pour l'Italie et pour l'Europe. * Enseignant chercheur associé Sciences Po Aix (France)Professeur à l'ESAA (Algérie) |
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