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Le 11 janvier
dernier, et suivant la demande expresse de Bamako, Paris engageait une
expédition militaire au nord du Mali afin de libérer les deux-tiers du pays
tombés sous la coupe de groupes terroristes depuis une année. En déclenchant
cette offensive militaire, la France s'est aussi engagée dans un piège
marécageux dont nul ne peut à ce jour prédire l'issue finale.
Moins d'une semaine après que les troupes françaises soient entrées en action au Mali, une attaque spectaculaire suivie d'une prise d'otage (plus de 800 personnes au total) avait lieu sur le site gazier d'In Amenas, à quelques kilomètres seulement de la frontière libyenne. La réponse d'Alger à cette crise d'une ampleur sans précédent était rapide et non moins efficace, utilisant tous les moyens afin de neutraliser les nombreux terroristes participant à cette opération. Au cours de cette prise d'otages suivi de l'assaut des forces d'élites algériennes, 37 étrangers et algériens devaient mourir ?la plupart exécutés de sang-froid par les terroristes- ainsi que de 29 des 32 terroristes. A ce sujet, et comme cela fut souligné par de nombreux observateurs et politiques, vu l'ampleur de l'action terroriste, il était impossible pour ces mêmes forces d'élites de conduire cette opération sans faire de victime. Suite à ce drame, Alger se retrouva inévitablement sous les projecteurs des medias du monde entier, ceux-ci rappelant, souvent ironiquement, la position de l'Algérie dans le conflit malien et sa préférence pour le dialogue politique. Les analystes et autres experts auto-proclamés de l'Algérie émergeaient de toute part sur les plateaux TV ainsi que dans la presse écrite- tout comme ils avaient soudainement apparu en janvier 2011 suite à la chute de Ben Ali en Tunisie- grossièrement et quasi-unanimement argumentant qu'il n'existait aucun lien entre la tragédie d'In Amenas et l'intervention militaire française au Mali. Certains accusaient Alger de mollesse et de nonchalance, allant même plus loin dans leurs analyses, mettant en doute la sincérité et la bonne volonté des algériens de combattre le terrorisme, les suspectant de machiavéliques engagés dans une partie ambigüe avec les terroristes. De ce fait, ils dressaient un parallèle entre la politique d'Alger et celle d'Islamabad vis-à-vis des Talibans. Au hit-parade des plateaux télévisés invitant nombreux de ces experts, les chaînes françaises accèdent à la première marche du podium même si d'autres chaînes étrangères ne sont pas en reste. De tels commentaires et analyses vide de sens doivent être discrédités. En effet, de nos jours, beaucoup trop d'analystes et de prétendues experts manquant non seulement de réelle expertise mais aussi sérieusement de modestie et d'humilité devant la complexité du dossier traité, présentent leurs arguments basés sur la partie émergente de l'iceberg, ignorant pathétiquement les racines profondes du problème qu'ils analysent. La recherche de notoriété de la part de beaucoup d'entre eux combiné à la soif pour plus d'informations émanant des lecteurs et autres téléspectateurs finissent par produire des analyses superficielles qui pour la plupart manquent le point névralgique du sujet. Le monde de l'information n'est pas en reste. A une époque où la délivrance rapide d'informations ?du scoop ? - est le maître mot pour un hypothétique succès commercial, il reste très peu de place pour l'investigation à même d'informer sérieusement les populations. Concernant l'attaque d'In Amenas, deux paramètres symptomatiques doivent être soulignés. Premièrement, les terroristes qui étaient lourdement armés ont fait leurs emplettes en Libye qui est devenu depuis l'intervention militaire de l'OTAN, un marché à ciel ouvert où toutes sortes d'armes est disponible. En outre, en sus des large sommes d'argent provenant de diffèrent trafics de drogues et autres produits illégaux, les terroristes d'AQMI sont principalement financés par l'argent obtenu à travers les paiements des rançons, émanant en particulier des états européens. Pareillement, il est urgent de questionner le rôle ambigu du Qatar, désormais membre de la francophonie et qui finance certains groupes terroristes au Mali tel que le MUJAO tout en se présentant comme un allié incontournable de l'occident, investissant beaucoup en Europe, et notamment en France. Par ailleurs, il est maintenant largement répandu qu'AQMI est un groupe algérien trouvant ses racines dans le GSPC. Cependant, cet argument n'est qu'à demi-vrai et à l'aune des récents événements en Algérie, il est important de démolir ce mythe et cette propagande. En effet, alors que les leaders d'AQMI sont bien algériens ?tout comme Mokhtar Belmokhtar, le cerveau derrière l'attaque d'In Amenas- les racines de ces groupes terroristes sont bien plus profondes et anciennes. Il est nécessaire de rappeler que ces algériens faisaient partie de ces freedom fighters partis combattre l'ennemie russe et impie en Afghanistan. Ces Talibans, comme nous les connaissons présentement, étaient financés et entraînés par Washington, Ryad et Islamabad. A In Amenas, il a été établi que seul trois des trente-deux terroristes participant à l'attaque meurtrière étaient algériens. Aussi, nous ne pouvons sérieusement analyser et comprendre ce fléau qu'est le terrorisme international que si nous incorporons ces importants paramètres. Il est tout aussi crucial de souligner la lourde responsabilité de ceux qui sont d'une manière ou d'une autre derrière la création et le financement d'Al Qaeda, AQMI et des autres groupes terroristes qui sont maintenant bien implantée dans la région du sahel et d'Afrique du nord. Aussi, tenant compte de ces éléments, il est primordial d'être vigilant dans la sémantique utilisée, et ne pas tomber, comme c'est souvent le cas, dans le piège de l'emploi de termes galvaudés mais savamment martelés par certains ?à la méthode Coué- afin de faire passer leurs messages biaisés et nullement dénués d'intérêts personnels. A ce sujet, et contrairement à l'éditorial du Financial Times du 18 janvier et de sa copie conforme du quotidien français Le Monde du 19 janvier, le drame d'In Amenas est sans nul doute la conséquence directe de la crise malienne et de l'intervention militaire française. La situation hautement préoccupante au Mali est aussi en grande partie la résultante de l'intervention de l'OTAN en Libye qui a facilité l'acquisition d'armes de toutes sortes qui à son tour a accéléré l'instabilité chronique de l'ancienne république soudanaise. L'intervention militaire de Paris a indéniablement fait ses premières victimes collatérales: l'Algérie, sa population ainsi que les nombreuses victimes étrangères présentes sur le site d'In Amenas. Nul doute que la France et le Mali portent une immense responsabilité sur l'attaque d'In Amenas mais aussi sur les prochains évènements violents qui se produiront très probablement au sahel et en Afrique du nord. Car ce que démontre cette attaque est que l'attitude va-t-en-guerre de Bamako et Paris aura de sévères et dramatiques conséquences dans les mois à venir ?même avec le support de la MISMA- dans la région dans son ensemble mais que par ailleurs, la Françafrique est vivante et demeure bel et bien ancrée en Afrique de l'ouest. Plus que jamais, cette triste attaque ne doit influencer la position d'Alger vis à vis du conflit malien et sa stratégie de non-intervention en dehors de ses frontières. Comme l'histoire le démontre, combattre des forces asymétriques nécessite de la sagesse et une stratégie de long-terme bien planifiée. Aujourd'hui, il est clair que cette intervention militaire française a été mal préparée (la question du financement de cette opération n'est toujours pas réglée) alors que la décision de la France de s'embarquer dans cette guerre indique que ce pays n'a pas la patience requise pour faire face à ce genre d'enjeux stratégiques complexes. Last but not least, ce que souligne aussi et sans doute surtout, la prise d'otages d'In Amenas ?et plus largement, la crise malienne- c'est que les autorités algériennes ne possèdent nullement les moyens de communications adaptés au 21ème siècle. Malgré la justesse de sa position sur la question malienne, et même si certaines chancelleries telle que Washington et l'envoyé spécial des Nations-unis au Mali, Romano Prodi avaient fini par épouser la stratégie et l'approche d'Alger, il n'en demeure pas moins que l'Algérie peine beaucoup à faire passer ses messages au reste du monde. Dans les milieux intellectuels et autres experts, rare sont ceux qui prennent en considération les messages de la diplomatie algérienne dans leurs analyses. Pire, la plupart d'entre eux ne connaisse guère l'Algérie, sa sociologie et son histoire. Comme l'avait admis en direct un correspondant de la BBC lors de la prise d'otage d'In Amenas, «pour être franc, nous parlons de pays que personne, il y a quelques jours, n'aurait pu placer sur la carte». A l'ère de la communication à outrance, la plupart des grandes chaînes occidentales telles que CNBC, France 24, Sky News, DW, Russia Today et bien d'autres ?sans oublier le rôle d'Al Jazeera- ont leurs propres programmes diffusés en langue arabe. Ces canaux de communication ne font que reproduire les messages de leurs pendants anglais ou français afin de cibler, influencer voire formater l'opinion des populations arabes. Il est donc urgent pour Alger de se doter de moyens de communication et lobbying modernes afin de véhiculer autrement sa politique au reste du monde. Il est aberrant qu'en 2013, l'Algérie n'est point de think tank d'envergure internationale alors que tous les pays du monde, ou presque, en possède au moins un. Comme l'avait dit un jour l'ancien secrétaire d'état américain, Henry Kissinger, les relations internationales sont tout d'abord une question d'intérêts nationaux. Ce qui signifie aussi qu'il n'y a point de place pour les sentiments ou la compassion dans ces joutes internationales hautement stratégiques. * Chercheur au sein de la division de Prévention des Conflits et Analyses des Risques (CPRA) de l'Institut d'études de sécurité (ISS), Addis Abéba, Ethiopie |
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