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L'Algérie, un lion qui s'ignore

par Pr. Benaida Said *



A l'image des pays émergents de l'Asie, sus nommés Tigres ou Dragons pour marquer leur nouvelle puissance, l'Algérie est un lion endormi qui ne demande qu'à se réveiller. Mais ces fameux dragons ou tigres asiatiques ne doivent pas leur réussite simplement au hasard, ils ont bâtis un environnement social, éducatif et bureaucratique apte à les faire émerger de la misère.

Aujourd'hui ces pays sont un exemple pour l'Algérie, il faut calquer notre politique de développement sur leur réussite rapide et spectaculaire. Cependant il ne faut pas négliger le contexte de départ pour mieux élaborer une politique de développement sur 10 ou 15 ans. L'Algérie est à la croisée des chemins, elle sort renforcée du printemps arabe qui ne l'a pas déstabilisée, elle jouit de réserves financières et d'un marché intérieur propice aux investisseurs étrangers. Partant de ce constat, il faut se poser les bonnes questions pour pouvoir offrir les meilleures réponses à la situation économique du pays.

Le dernier voyage du Président français Mr Hollande fut le parfait exemple de la situation économique du pays, avec un accord au rabais avec le groupe Renault qui n'a pas consenti les efforts nécessaires dans le transfert de technologie et de savoir faire. La question qui se pose est de savoir pourquoi un groupe comme Renault leader sur le marché automobile algérien, refuse de consentir des transferts de savoir faire contrairement au Maroc.

Beaucoup de chercheurs à travers le monde, se sont attardés sur le sujet du transfert de technologie induit par les investissements directs étrangers (IDE), deux d'entre eux, Blomström et Kokko sont arrivés au constat suivant : pour que ces transferts puissent se faire il faut que les firmes locales possèdent les capacités d'absorption du transfert de technologie.

Les transferts de technologies pour être efficaces, il leur faut un terreau fertile, à savoir un :

? capital humain préexistant ;

? une capacité technologique et industrielle ;

? et une culture d'accueil.

Mais l'élément central reste le capital humain, en effet il est primordial d'avoir une main d'œuvre qualifiée pour pouvoir jouir de tous les effets positifs des IDE sur la productivité. Ainsi une main d'œuvre qualifiée jouera un rôle d'attraction des IDE, les entreprises étrangères joueront à leur tour le rôle de formateur de cette main d'œuvre, car l'entreprise au même titre que le système éducatif est un moyen de transmission de la connaissance.

Aujourd'hui l'Algérie doit prendre un véritable tournant dans la formation de ses étudiants car le faible taux d'investissement direct étranger est le reflet du manque d'attractivité de son capital humain.

La localisation des firmes étrangères permet à chaque travailleur d'être à la fois un émetteur et un récepteur de la formation de ces entreprises. Ainsi le préalable à tout investissement direct étranger consiste à une politique de qualification des travailleurs en amont pour pouvoir jouir de la diffusion des transferts de technologies émanant de ces entreprises. Le modèle le plus criant est la Corée du Sud, qui contrairement à l'Algérie ne possède aucune ressource naturelle, la seule ressource dont disposait le peuple coréen à la sortie de la guerre était son capital humain. Il y a 50 ans l'Algérie et la Corée du Sud sortaient de la guerre et étaient au même niveau. 50 ans après, la Corée est la 15ème puissance industrielle au monde et elle dispute et gagne les marchés internationaux devant les occidentaux et les français notamment.

Donc le secret des Coréens est bien la formation pointue de ces étudiants, un pays totalement tourné vers l'excellence académique de haut niveau, aujourd'hui l'Algérie possède les mêmes atouts que les coréens avec une population jeune et dynamique. C'est à ce niveau que l'Algérie doit concentrer ses investissements, non pas que les routes ou les logements ne sont pas importants bien au contraire mais les investissements de demain sont dans la matière grise des jeunes algériens. Ainsi un rapide coup d'œil sur les IDE en Corée du Sud donne une idée de leur attractivité, aujourd'hui, le stock d'IDE accueilli en Corée s'élève à plus de 160 Mds USD dont un tiers en provenance de l'Union européenne, des chiffres qui font rêver mais possible à atteindre avec un effort massif dans la formation.

Pourtant le constat est amer, nos universités sont parmi les dernières d'Afrique, je ne me laisserai pas pervertir par une critique facile de notre système éducatif, mais j'essaierai de fournir quelques pistes de réformes. La première d'entre elles est d'avoir des professeurs focalisés sur les savoirs de base, c'est-à-dire concentrer les efforts d'éducation dans le primaire sur la lecture, les mathématiques et l'histoire. Et par la suite accompagner l'évolution des élèves en approfondissant leur savoir, stimuler leur créativité et orienter leur spécialisation future avec des formations professionnelles. On l'a donc bien compris, il faut concentrer nos moyens financiers et humains sur le primaire, je me permettrais l'analogie suivante, une maison solide repose sur de bonnes fondations, ainsi le socle de connaissances acquis en primaire seront les fondations de demain pour nos élèves. Deuxième piste est la décentralisation des pouvoirs de formation, offrir une autonomie de gestion aux directeurs d'écoles pour les impliquer dans la réussite de leurs élèves, ainsi avoir la capacité de rémunérer les directeurs et les enseignants grâce à des primes indexées sur le niveau de performance de l'établissement. Ce système est un facteur de motivation non négligeable et les enseignants réussissant à faire progresser leurs élèves se sentiront ainsi valorisés dans leur fonction de professeur. Ce système décentralisé permet aux chefs d'établissements de s'adapter à la structure de leurs bassins géographiques et à leurs élèves pour trouver les enseignants qui conviennent le mieux à l'acquisition de savoir de base formulé par le ministère de l'éducation.

Les efforts consentis durant cette période du primaire, permettront aux professeurs des classes supérieures d'avoir à leur disposition des élèves aptes à poursuivre leur formation dans les meilleures conditions. Une allocation tout autant importante devra cette fois-ci être portée dans le supérieur avec des filières hautement sélectives et avec un haut niveau de formation qui peut être prodigué par des étrangers.

En conclusion pour pouvoir profiter de cette fenêtre de tir que nous offre l'histoire, à savoir la stabilité politique et financière, il faut absolument former notre jeunesse pour pouvoir traverser sans encombre la fin de la période du pétrole et du gaz. Donc au lieu de regarder avec des yeux doux les grands groupes internationaux, tournons nous vers nos amis coréens pour analyser et comprendre pourquoi aujourd'hui ils sont les égaux des grandes puissances, pour que nous aussi poussions être considérés dans quelques années comme un Lion difficilement atteignable. En espérant que cette modeste contribution puisse servir d'ébauche à une grande réflexion sociétale sur le modèle de formation de notre cher pays.

* Ancien Vice-président de l'APN