«Soyons la même république, soyons les Etats-Unis d'Europe? Soyons la
liberté européenne, soyons la paix universelle.» (Victor Hugo 1802 ? 1885)
L'Union européenne (UE), mérite-t-elle le prix Nobel 2012 ? Pour légitime
qu'elle soit, l'interrogation ne traduit pas moins une perception sceptique de
la construction européenne dans l'opinion publique, en ces temps de crise
financière et économique. Mieux, c'est en ces moments où l'Union œuvre à son
propre élargissement au reste des pays de l'Est, se libéralise davantage et
entre de plain-pied dans le marché mondial que s'exacerbent les nationalismes,
les communautarismes, les idées séparatistes et protectionnistes et que
réapparaissent les vieux démons de la violence et de la guerre. Toutes les
raisons « apparentes » de ne pas croire en un destin commun des Européens.
Pourtant, l'idée première du fondement d'une Union européenne n'est rien
d'autre que la conséquence des guerres incessantes qui ont jalonné le continent
européen, durant des siècles, et particulièrement les deux guerres mondiales
qui ont marqué le 20ème siècle. Autrement dit, l'Union est née pour bannir la
guerre et promouvoir la paix durable. Ainsi, lorsque les pères fondateurs de
l'aventure commune de l'Europe que sont les Robert Schuman (ministre des AE
français) , Konrad Adenauer (chancelier allemand) , Alcide de Galsperi
(président du Conseil italien) , Jean Monet, politique français, etc. lancent
le projet européen, dès 1946-48, ils ne faisaient que reprendre l'idéal
défendu, bien longtemps avant, durant le 18ème et surtout 19ème siècle, par des
hommes d'exception et visionnaires tels Victor Hugo ou Emmanuel Kant par
exemple. « Soyons la même république, soyons les Etats-Unis d'Europe?Soyons la
liberté européenne, soyons la paix universelle ! » criait le poète, écrivain,
philosophe, homme politique qu'était Victor Hugo. Depuis la dernière guerre,
l'Europe et en paix, a grandi, a unifié ses peuples avec leurs diversités et
regarde à ses flancs Est et Sud, s'installe enfin dans le monde comme 1re
puissance économique et commerciale. Du 1er acte fondateur de la Communauté
économique du charbon et de l'acier (CECA) en 1951, au Traité de Rome en 1957,
en passant par celui de Maastricht en 1993 et jusqu'à celui de Lisbonne en
2007, l'Europe a connu des conquêtes qu'elle a cherchées pendant des siècles
auparavant : Liberté et droits de l'Homme, chute du mur de Berlin, libre
circulation de ses citoyens, monnaie unique (euro), élargissement à l'Est, etc.
Paradoxalement, ce bilan politique, économique et social, si prestigieux,
conquis en moins d'un demi-siècle et qui a multiplié le revenu des citoyens par
plus de 400 fois, ne semble pas satisfaire une bonne partie d'entre eux. Pire,
une partie de l'élite européenne ne croit toujours pas en un avenir européen
commun. Pourquoi ? Outre les effets de la crise financière, apparue depuis
2008, beaucoup d'analystes expliquent ce scepticisme par une faiblesse dans
l'explication et la communication des acquis européens par les responsables
politiques comme ceux d'ailleurs, des institutions nationales classiques telle
l'école ou encore les médias. La jeunesse d'aujourd'hui, née dans la liberté,
la démocratie et le confort matériel vit avec la certitude de la paix acquise
définitivement et de l'irréversibilité de son bonheur. Elle ne connaît de la
guerre, de la dictature et de la misère que ces images rapportées de très loin,
d'ailleurs en Afrique ou d'Asie par les tubes cathodiques des télés et les voyageurs
aventureux. Pourtant, la guerre a frappé aux portes de l'Union, il n'y pas très
longtemps, dans les années 1990 en ex Yougoslavie. En 1993, alors que le Traité
de Maastricht libérait la circulation au sein de l'espace de l'Union, la guerre
faisait rage en Bosnie Herzégovine et des centaines de milliers de réfugiés
affluaient, justement, vers ces pays de l'Union en paix, prospères et
rassurants. Faut-il désespérer de la construction européenne ? Faut-il y voir
dans l'Europe d'aujourd'hui la fin d'un cycle de son histoire moderne ?
Paradoxalement, l'Union européenne ne sauvera son modèle et ne confortera
l'irréversibilité de la paix qu'en faisant plus d'Europe, qu'en avançant vers
plus d'intégration, plus d'harmonisation de ses législations, qu'en conquérant
plus de droits humains pour ses citoyens, qu'en s'ouvrant plus à d'autres pays
européens qui attendent sur le seuil de sa porte. L'Union européenne sera plus
grande, plus sûre qu'en bâtissant de vraies coopérations mutuellement
avantageuses avec le reste du monde, qu'en soutenant une aide au développement
sincère et sans calculs de banquiers aux pays africains desquels elle a tiré sa
fortune et sa force dans son passé colonial. Elle devra s'impliquer encore plus
dans le règlement des conflits du Proche et Moyen- Orient, parce qu'elle a
quelques responsabilités historiques dans l'origine de ces conflits. Simple,
l'Union européenne ne peut évoluer avec, à ses frontières, la misère et la
guerre et en occultant son histoire coloniale. La lutte est rude entre les
partisans de plus d'Europe, jusqu'au stade fédéraliste et ceux du repli sur soi
et du retour aux nationalismes qui ont fait son deuil d'hier. Pour avoir senti,
sans doute, le risque d'un retour sur les valeurs qui maintiennent la paix en
Europe que le Comité du Nobel lui a décerné le plus grand prix, le plus
prestigieux, celui de la Paix. Il reste aux responsables politiques qui
conduisent le destin européen à honorer cette distinction.