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La construction,
en cours, de 48 nouvelles prisons en Algérie résume-t-elle, à elle seule, la
conception de la réforme pénitentiaire ? Espère-t-on inverser la courbe de la
criminalité et de la délinquance par la politique du tout sécuritaire ? Faut
peut-être aussi une politique de prévention osée.
Un ami algérien travaillant à Bruxelles pour un grand groupe industriel européen me disait, voilà quelques jours, qu'au cours d'une de ses missions en Algérie qu'il fût sollicité par un entrepreneur algérien pour une commande de 48 groupes électrogènes de 1000 kVa chacun. Entendu qu'un seul groupe électrogène de cette capacité peut alimenter en énergie tout un village, mon ami voulu savoir la destination de ces groupes. « C'est pour alimenter, en cas de panne, les 48 prisons en construction sur tout le territoire national », expliqua l'entrepreneur en question. Cette information, quelque peu exclusive, soulève quelques interrogations, tant l'envergure et la nature, du chantier sont importantes. Mon ami a visité l'un de ces chantiers, celui d'Oran, « situé à proximité du nouveau stade olympique à la sortie Est d'Oran » me précisa-t-il, avant d'ajouter : « C'est un chantier impressionnant et ce sera, à coup sûr, une prison moderne et modèle. » Le propos, ici, n'est pas d'insinuer que l'Etat algérien projette d'emprisonner un maximum d'algériens, mais le lancement dans la discrétion d'un tel chantier est quelque peu, intrigant. Un tel chantier traduit une orientation politique connue : le tout sécuritaire. C'est un choix comme un autre, privilégié en Europe par les gouvernements de droite traditionnelle, particulièrement celle dite extrême. La lutte contre la criminalité et la délinquance par le tout sécuritaire (la préférence de l'emprisonnement, y compris pour les petits délits) ressort dans le débat politique, généralement, en tant de crise sociale et économique. Durant de telles périodes de crises, il est vrai, la criminalité et la délinquance grimpent. La corrélation entre les deux phénomènes est aussi vielle que le monde. Malheureusement, ça n'a jamais solutionné sérieusement la tendance haussière de la criminalité. Est-ce à dire qu'il faut préférer une politique laxiste envers le développement de la criminalité, ou avoir discours angélique en la matière ? Bien sûr que non. En revanche, traiter la criminalité et la délinquance sous le seul aspect de la répression à outrance et l'emprisonnement n'a jamais fait baisser leur courbe. Cela aussi est prouvé dans tous les pays du monde. Pire, l'emprisonnement à tout -va fait grimper la courbe de la criminalité. Les pays qui réussissent aujourd'hui le mieux à infléchir la monté de la criminalité et de la violence sont ceux qui privilégient « la Prévention » ; les modes alternatifs à la prison pour les petit délits (bracelets électronique, travaux d'intérêt général etc.) Parallèlement à cette option, l'Etat encourage la mise en place d'un réseau associatif dense et pluridisciplinaire en charge d'une action de proximité, dans les villes et quartiers, centré sur l'éducation et la prévention des signes de violence sous toutes ses formes, des simples incivilités à la prévention des risques chez les jeunes et jusqu'aux conflits de voisinage dans les cités populaires à forte densité d'habitations. Ce sont des assistants sociaux, des éducateurs de rue, des animateurs de Maisons de quartiers (de jeunes), des agents de prévention en tout genre etc. qui s'y attèlent en permanence. C'est le cas de la Belgique par exemple, où ce maillage de la société par un nombre impressionnant d'associations civiles en tout genre qui participe à réduire, drastiquement, la délinquance et la criminalité et qui, au final, implique et responsabilise la société civile dans la garantie d'une vie sociale la plus apaisée possible. Par ailleurs, le coût de cette politique de prévention est double : un allégement des charges financières directes de l'Etat et un gisement d'emploi pour les acteurs sociaux non négligeable. A observer le rapport du Conseil de l'Europe (47 pays), on remarque clairement que les pays qui ont une politique de prévention osée, sont ceux chez qui on enregistre le moins de population carcérale et une tendance à la baisse de la criminalité et de la délinquance. Les pays du nord de l'Europe viennent en tête du classement. En Finlande, la population carcérale oscille autour 3000 prisonniers, y compris les prévenus ; en Suède il y a près de 7.000 prisonniers. A l'inverse, la France dépasse le cap des 60.000 prisonniers. Notre pays enregistre une population carcérale de l'ordre de 60.000, soit autant que la France. Par ailleurs, la récidive et plus importante dans les pays qui pratiquent le tout répressif, constate le dernier rapport du Conseil de l'Europe sur la question. Revenons à l'Algérie. Une série de réformes politiques, économiques, sociales etc. ont été annoncées en 2002, et lancées pour une partie d'entre-elle. Pour ce qui concerne la réforme pénitentiaire (et celle de la justice), peut-on en conclure qu'elle se résume à la seule alternative de construction de nouvelles prisons, partout sr le territoire nationale ? Espérons que ce n'est pas le cas, même si l'argument serait celui de la vétusté des anciennes prions héritées, pour dans une large majorité, de la période coloniale. Par contre, en prenant la question par l'autre bout, celui de la prévention, nous sommes d'emblée confrontés, entre autre, à la problématique du rôle des associations civiles et les opportunités qui leurs sont offertes tant par les politiques locales que celle nationale. Autrement dit, l'Etat central (et les collectivités locales) encourage-t-il la mise sur pied d'associations qui s'occuperaient de la prévention locale ? Quel type d'associations pour quels secteurs d'activités ? Que font les Maison de jeunes, par exemple, et quel est leur bilan en termes de plus value sociale et éducative ? Ont-elles les moyens humains, matériels, les compétences et les prérogatives nécessaires pour mener leurs missions ? Il est évident que la prévention ne repose pas exclusivement sur le réseau associatif, mais il en est un élément déterminant comme le prouve les expériences à travers le monde. Il ne s'agit pas de déresponsabiliser l'action de l'Etat en matière de politique pénale ou d'être laxiste vis ?à-vis de la criminalité et de la délinquance ; il s'agit de faire la part des choses, c'est-à-dire être ferme dans la répression des délits lorsqu'il le faut et d'encourager une politique de prévention où l'Etat et la société assument des responsabilités spécifiques et complémentaires. Parce que le tout sécuritaire n'est pas la solution à la criminalité. Il provoque l'effet inverse. Condamner, parfois à une lourde peine de prison un primo-délinquant, pour un délit mineur, est une aberration « pénale ». Ne pas donner une 2ème chance (travaux d'intérêt général par exemple) au délinquant primaire auteur de délit mineur est en soi une dérive de la justice. Combien de jeunes sont condamnés d'une manière expéditive et mêlés à des vrais truands en prison et qui sortent plus « associables » et prêt à la récidive, tant l'incarcération les a marqués ? Osons croire que la réforme pénitentiaire et celle de la justice ne se résument pas à la seule construction de nouvelles prisons à travers le pays, fussent-elles modernes, en relevant l'éloignement du sens sémantique de la « modernité », qui appelle plus celui de la liberté, plutôt qu'à celui de l'emprisonnement. |
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