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Houari Boumediene
semble être une personnalité importante qui a marqué et qui marque l'histoire
de l'Algérie postcoloniale. Sa forte personnalité et sa ténacité lui
permettaient de s'asseoir au pouvoir en juin 1965 et remplaçait Ben Bella à la
tête de l'Algérie indépendante.
Malgré sa présence dans la mémoire de chaque Algérien, la personnalité de Boumediene reste énigmatique, sa biographie demeure incomplète, et ses discours demeurent source de plusieurs interprétations. Sa philosophie de la vie et son intransigeance marquent à jamais une période où le socialisme s'était développé comme réponse à une colonisation sanglante et entachée de sang, un engagement vis-à-vis du peuple comme une volonté sacrée qui aspire au meilleur social et le bien-être de son peuple, et un soutien inconditionnel aux mouvements de libération nationale à travers le monde. « Homme secret et inflexible, idéologue austère et volontaire, Boumediene va fortement marquer de son empreinte l'histoire contemporaine de l'Algérie. Il a un côté jacobin et centralisateur » Dans le présent document, l'accent sera mis sur les discours d'une personnalité aussi énigme, des discours qui semblent être une source de plusieurs interprétations, souvent contradictoires parfois complémentaires, quand le paradigme religieux y sera associé. L'analyse de discours de Boumediene est sans doute un terrain miné, qui exige à la fois patience et vigilance. Sa personnalité s'est imprégnée de l'éducation coranique qui a tant marqué son enfance et un discours qui change. Boumediene des années avant 1965 est complètement différent des années après 1965, ses discours aussi. L'islam dans les discours de Boumediene était toujours présent, et demeure clairement affiché avant 1965, date qui marque son accession au pouvoir. Cependant, il faut distinguer aussi Boumediene, le rebelle et le révolutionnaire de Boumediene le chef d'État, considéré comme père de tous les Algériens, qui doit faire la part des choses, qui s'engageait à rebâtir un pays jeune, nouvellement indépendant. De son vrai nom, Mohamed Boukharouba, Boumediene dès son bas âge, fréquente les écoles coraniques, puis El Azhar, avant de prendre les armes pour défendre son pays. Boumediene s'exprime parfaitement en français, et titulaire du certificat d'études. La maîtrise de la langue française lui a permis de découvrir la France en tant que culture, en tant qu'aussi une force coloniale qui a un passé lourd. Comprendre son discours, c'est aussi comprendre son enfance marquée par la fréquentation en même temps de deux écoles différentes : une école coranique authentique, et une école coloniale à mission souvent dite civilisatrice. La jeunesse de Boumediene s'est aussi trouvée marquée par son passage à el Azhar, une institution religieuse où l'enseignement de la langue arabe et les sciences islamiques permettaient la formation d'un littéraire avisé et un religieux avéré. L'islam a installé chez Boumediene l'engagement et l'amour de la Terre qu'elle l'a enfantée, les massacres du 8 mai 1945 l'ont poussés à prendre les chemins des maquis et défendre son pays. La guerre de la libération nationale l'a rendu un militaire chevronné, une maîtrise de la guerre qui l'a conduit à gérer le ministère de la défense nationale de l'Algérie post-indépendante. Son engagement pour la révolution et l'indépendance de son pays est similaire à celui de son engagement pour l'islam et la mission sacrée, surtout quand on sait qu'il lisait et voyageait beaucoup. L'islam de Boumediene est islam par la naissance, qui devient un islam par et pour le savoir, un islam qui fera son discours et qui façonnera ses dires, à divers degrés. L'islam de Mohamed Boukharouba diffère complètement de l'islam de Houari Boumediene, le militaire et le chef d'État. Tout laisse à croire que ce dernier tout en restant pratiquant, son islam est vu autrement, ses discours aussi, il n'est pas celui de son enfance, de sa jeunesse, et des maquis. Ses discours sont devenus souvent déconfessionnalisés, loin de tout endoctrinement religieux, Dieu n'est pas cité, caché par préméditation, présent quelque part dans son discours, mais souvent absent de ses feuilles et ne fait pas partie de son dictionnaire quotidien. Les oulémas et les sages de l'islam y sont absents, le prophète qu'il l'a tant inspiré et marqué est souvent absent mais y présent quelque part. Les invocations à Dieu y sont rares, le mot islam est occasionnellement présent. Que cache vraiment le discours de Boumediene ? Les discours de Boumediene sont loin d'être considérés comme des discours laïcs. Cependant, Boumediene en tant que chef d'État s'exprime comme tout musulman croyant, ses discours commencent par « Au nom de Dieu » où « il n'y a qu'un seul Dieu et Mohamed sont son prophète ». Ces expressions constituent les fondamentaux de l'Islam qu'aucun musulman ne peut nier ou oublier. En analysant le discours de Boumediene force est de constater que son discours se déconfessionnalise dans toutes les circonstances, y compris lors des cérémonies religieuses. Son discours manque de la prédication en invoquant l'islam ou l'identité arabe du peuple algérien. Cette identité est défendue en affirmant que cette identité ne peut être sauvegardée et défendable que par rester fidèle à elle-même. Dans un discours prononcé le 22 juin 1976, Boumediene affirmait que « l'Algérie attachée à son authenticité et à sa personnalité veut demeurer elle-même(?) l'Algérie est musulmane et elle le restera(?) Algérie pour sa part adopte un seul rite, le rite malékite) (? la fierté que nous ressentons à l'égard de notre histoire arabo musulmane ne veut point dire que nous renions notre lointain passé depuis Massinissa et même avant lui (?). En ce qui concerne la langue nationale, il doit être clair que la souveraineté de la langue arabe est indiscutable ». Ce qui est intéressant dans le discours de Boumediene est son amour et son attachement au pays et au peuple loin de toute considération idéologique, y compris religieuse, son discours d'ailleurs ne tolère pas l'exploitation de tout ce qui est religieux aux fins politiques ou autre. Il refuse l'islam qui se présente comme salvateur, souvent manipulé, ou l'islam qui se présente au-dessus de tout ou comme imposteur. Se servir de cet islam, c'est abuser de la conscience des gens. Cet islam dénonce aussi le pouvoir tant pratiqué par les zaouias, les confréries et les marabouts qui cherchent à s'imposer. La mosquée est souvent vue comme un lieu de justice, de paix, de tolérance la mosquée se trouve comme un lieu de savoir qui s'inspire de la religion et les valeurs authentiques. À l'opposé de certaines lectures, le socialisme et l'islam chez Boumediène se complètent. Le socialisme est ce procédé qui tend à installer la paix, et cherche à abolir l'exploitation de l'homme par l'homme au même titre que l'islam comme conviction qui revendique la justice sociale. Cet islam semble être modéré qui défend les intérêts de la nation, par donner une belle image de paix et de sociabilité, qui d'autre part cherche à mettre un obstacle face à un islam dit des fanatiques, souvent manipulé, ou l'islam des frères musulmans qui cherchent à installer le conflit, par le biais d'un traitement personnalisé de cette doctrine. La relation islam/révolution/ socialisme semble très étroitement liée ; les trois concepts demeurent très liés et revendiquent les mêmes idéaux. Cette relation est donc jamais conflictuelle mais plutôt complémentaire. Or, exploiter l'Autre, c'est investir dans sa misère. Exploiter l'homme par l'homme est un acte dénoncé par tous les textes sacrés et par le socialisme qui partage avec l'islam cet idéal. Les deux concepts Révolution et Islam gardent les mêmes finalités, et partagent les mêmes objectifs. L'islam est par définition socialiste, et cherche à défendre cet autre. Le socialisme en tant que conviction sociale, politique ou encore économique, semble cet aboutissement d'un chef d'État qui l'adopte pour défendre les intérêts d'un peuple en s'inspirant d'une part de sa culture islamique divulguée par préméditation, et d'autre part, comme réponse à une conjoncture mondiale dominé par le mouvement des capitaux. L'intelligence politique de cet homme demeure dans sa capacité à créer la transition dans la quiétude sans qu'elle ne soit repérée. Un discours (avant 1965) celui d'un rebelle qui trouve dans l'islam un moyen pour réunir le peuple, un islam affiché et original, et un discours (après 1965) celui d'un chef d'État qui s'inspire de l'Islam, sans que ce dernier ne soit guère affiché, pour défendre les intérêts d'un pays, où se trouvent toutes les couches sociales. Ce qui mérite d'être aussi analysé dans le présent document, est aussi son discours, en mars 1974 à Lahore, à l'occasion de la tenue du Sommet Islamique. Il déclare : «Permettez-moi de faire dérogation aux traditions d'usage, ?je ne voudrais pas philosopher sur l'Islam) (? je crois que s'il existe entre nous un lien spirituel, ce lien doit trouver concrétisation et qu'il doit revêtir un contenu matériel?Les hommes ne veulent pas aller au paradis le ventre creux, C'est là le fond du problème? Un peuple qui a faim n'a pas besoin d'écouter des versets. Je le dis avec toute la considération pour le Coran que j'ai appris à l'âge de dix ans. Les peuples qui ont faim ont besoin de pain, les peuples ignorants de savoir, les peuples malades d'hôpitaux.» Ou encore, « Pour moi l'Islâm a toujours fait partie de nous, l'Islâm c'est notre religion, parce que précisément, nous sommes un pays, nous sommes un peuple, nous sommes une nation qui a un passé, qui a une civilisation, même si on a mis cette civilisation entre parenthèses, la civilisation arabo-musulmane, même si cette civilisation a été mise en parenthèse par l'occident, moi j'affirme que nous appartenons à cette civilisation, qui a existé et qui peut, pourquoi pas, renaître dans un ensemble universel aujourd'hui. Par exemple la révolution et l'Islâm, moi je dis qu'il n'y a pas de contradictions, certains disent pour que la révolution soit pure il faut qu'elle soit laïque, je ne suis pas tout à fais d'accord avec cette définition, il ne faut pas remplacer d'anciens prophètes par de nouveaux prophètes, à choisir, je l'ai dis et je l'ai toujours dis, entre notre prophète, entre Muhammad et de nouveaux prophète, moi le choix ne se pose même pas. » Cependant, la charte nationale de 1976 stipule que l'islam est la religion de l'Etat, et reste une partie importante de la société et de la personnalité algérienne. Cependant, sur les 199 articles qui structurent cette charte, l'islam n'est cité que deux fois. Cet islam est par définition révolutionnaire et ne s'oppose pas à la révolution sociale qui revendique un pays moderne mais authentique, ouvert mais très attaché à ses origines arabo musulmanes. Boumediène trouve dans l'islam le bon exemple pour démarrer l'appareil économique de son pays, car l'islam s'est montré dès le début révolutionnaire pour asseoir les idéaux revendiqués et affichés dans les précédents textes sacrés. Il n'a jamais été question de faire la guerre, mais faire la guerre c'est avant tout se préparer, cette guerre n'est pas contre l'Autre, elle est faite comme réponse à une colonisation qui a tout détruit. Si l'islam est masqué, c'est pour dire que la révolution socialiste en Algérie s'est inspirée d'un fondement idéologique, et non pas d'un fondement religieux, qui risque de détruire la société si elle ne réussit pas ses plans. Boumediène, dans son discours, dénonce la mauvaise interprétation des textes sacrés, comme il dénonce l'islam politique et des fanatiques qui miroitent aux jeunes le paradis ou qui hypnotisent les gens pour accéder au pouvoir. Ce discours est dans un second temps moral, qui cherche la réconciliation et la paix. Cette révolution n'est pas simplement économique, elle est aussi morale. La moralité se trouve dans le travail, vu comme un devoir et une réponse à une prise de conscience personnelle, collective et nationale, la justice et l'abolition de tout ce qui nuit aux valeurs nationales authentiques. Or, si l'islam reste la religion de l'État, comme expression à un attachement à une doctrine et une religion, et à un passé douloureux, la révolution au même titre que l'islam l'inscrit dans la dynamique, le développement, l'attachement à la Terre et aux ancêtres et aux valeurs authentiques. Si le mot islam est peu présent dans son discours en tant que chef d'État, ce mot reste remplacé par Révolution qui sera pris comme son synonyme, car l'islam est le moteur qui assure son fonctionnement et assure sa survie. Cet islam est pris comme modèle pour mener à bien une action qui réclame force et moral. Il est pris dans son universalité et dans sa conception originale non déformée. L'islam politique des fanatiques est écarté et combattu avec force, qui le prônent et défendent pour des considérations non morales. L'islam dans sa philosophie générale est par définition la paix, qui mène le combat au service de la paix politique, de la paix sociale par la justice sociale, de la nation, et de l'être. Enfin, l'action de Boumediene est aussi déconfessionnalisée au même que son discours. Discours et Action sont synonymes chez Boumediène. Son action et son discours sont révolutionnaires, ils réclament la justice sociale, s'inspirent de la moralité pour mettre en place les piliers d'un État de droit, revendiquent l'islam comme religion de l'État comme réponse à un appareil colonial qui s'est acharné contre les composants de l'identité algérienne, ils se servent d'un islam déconfessionnalisé en gardant ses idéaux pour bâtir une République moderne pour et par le peuple, qui sert d'un fédérateur qui réunit tous. * Université de Mostaganem Département des sciences de l'information |
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