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Cela c'est passé
le mois dernier en République dominicaine : la chimiothérapie d'une adolescente
enceinte atteinte de leucémie a été retardée parce que les docteurs craignaient
que ce traitement ne mette fin à sa grossesse, violant la loi anti-avortement
extrêmement stricte dans ce pays. Après discussions entre médecins, avocats et
famille de l'adolescente, la chimiothérapie a finalement commencé, mais pas
avant que l'attention n'ait été attirée une fois de plus sur la rigidité de la législation
sur l'avortement dans beaucoup de pays en développement.
Les médias parlent énormément de l'avortement dans les pays développés, notamment aux USA où les républicains utilisent ce thème pour gagner les électeurs. Dans le cadre de la campagne pour sa réélection, le président Obama vient de contre-attaquer avec une publicité politique à la télé dans laquelle une femme déclare que c'est «une période effrayante pour être une femme», parce que Mitt Romney est favorable à l'interdiction de l'avortement. Mais on prête beaucoup moins d'attention au fait que 86% des avortements surviennent dans les pays en développement. Bien que l'avortement soit interdit sauf circonstances exceptionnelles dans la majorité des pays africains et latino-américains, le taux d'avortement y est élevé. En Afrique le taux d'avortement est de 29 pour 1000 femmes et de 32 en Amérique latine. Mais il est de 12 en Europe occidentale où l'avortement est généralement autorisé. Selon un rapport récent de l'OMS, les avortements réalisés dans de mauvaises conditions provoquent chaque année 47 000 décès de femmes, presque tous dans les pays en développement. Et cinq millions de femmes souffrent de lésions parfois permanentes après un avortement. L'OMS estime que presque tous ces décès et ces complications pourraient être évités grâce à la légalisation de l'avortement, sa réalisation dans de bonnes conditions, avec un suivi destiné à prévenir ou à traiter des complications éventuelles, ceci accompagné de l'introduction de l'éducation sexuelle et d'une information sur le planning familial et la contraception. 220 millions de femmes dans les pays en développement disent vouloir recourir à la contraception, mais manquer des connaissances voulues, ou ne pouvoir y avoir accès. C'est une tragédie, tant au niveau individuel que pour l'avenir de notre planète déjà très peuplée. Le mois dernier, le sommet de Londres sur le planning familial organisé par le gouvernement britannique et la fondation Gates a annoncé qu'il se fixait pour objectif de permettre à 120 millions de ces femmes d'avoir accès à la contraception d'ici 2020. Le journal du Vatican a réagi en critiquant Melinda Gates, alors que l'initiative à laquelle elle participe devrait diminuer de 50 millions le nombre d'avortements et éviter la mort de prés de 3 millions de bébés de moins d'un an. On aurait pu croire que l'Eglise catholique romane verrait là un résultat positif. Il est à noter que Melinda Gates est elle-même une catholique pratiquante qui a vu ce qui se passe lorsqu'une femme ne peut nourrir ses enfants ou est victime de complications après un avortement réalisé dans de mauvaises conditions. Restreindre l'accès à l'avortement légal conduit beaucoup de pauvres femmes à avorter dans des conditions dangereuses. La légalisation de l'avortement en Afrique du Sud en 1998 s'est traduite par une baisse de 91% du nombre de décès consécutifs à un avortement. Des médicaments tels que le misoprostol et le mifepristone qui peuvent être délivrés en pharmacie rendent possible des avortements relativement sûrs et peu coûteux dans les pays en développement. Les adversaires de l'avortement répondront qu'il est intrinsèquement dangereux - pour le fœtus. Ils soulignent que l'avortement consiste à tuer un être humain unique. Il est difficile de le nier, dans la mesure où par «être humain» on entend un membre de l'espèce Homo sapiens. Il est également vrai que l'on ne peut se contenter d'évoquer le «droit des femmes à choisir» pour éviter la question qui se pose quant au statut du fœtus. S'il avait réellement le statut de n'importe quel autre être humain, il serait difficile de prétendre que le droit d'une femme enceinte de choisir inclut celui d'apporter la mort au fœtus, sauf peut-être lorsque la vie de la femme est en jeu. L'erreur de raisonnement des adversaires de l'avortement réside dans le fait de déduire du constat que le fœtus est un être vivant de l'espèce Homo sapiens (ce qui est parfaitement exact), qu'il a le même droit à la vie que n'importe quel autre être humain. L'appartenance à l'espèce Homo sapiens ne suffit pas à conférer le droit à la vie. De même, la conscience de soi ou la raison ne confère pas en soi le droit à la vie. Les capacités intellectuelles d'une vache sont supérieures à celle d'un fœtus, pourtant on voit rarement les groupes pro-vie qui dénoncent l'avortement aller manifester devant un abattoir. On pourrait dire que l'on ne doit pas tuer contre sa volonté un être conscient de lui-même qui veut continuer à vivre. On peut considérer cela comme une violation de son autonomie ou le refus de tenir compte de ses préférences. Un être peut avoir le potentiel de devenir conscient de lui-même ou doté de raison. Pour autant est-il toujours condamnable de mettre fin à sa vie avant qu'il ne réalise ce potentiel ? S'il faut choisir entre l'intérêt supposé d'un être potentiellement doué de raison mais pas encore conscient de lui-même et l'intérêt vital d'une femme véritablement dotée de raison, nous devons donner la préférence à la femme. Traduit de l'anglais par Patrice Horovitz * Professeur de bioéthique à l'université de Princeton. Il enseigne aussi à l'université de Melbourne. |
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