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J'ai osé dire un
jour au grand philosophe de l'urbain, Thierry Pacquot, qu'il est question pour
l'Algérie de repenser l'urbanisme et l'architecture algériens. Cette idée me
vient toujours à l'esprit à cause des très nombreux maux qui qualifient ce qui
est appelé grossièrement les paysages urbains, et qui nécessitent de notre
part, de la part de l'architecte urbaniste que nous sommes une réflexion plus
subtile, et pourquoi pas plus ciblée.
Nous savons que nous ne pouvons pas attendre grand-chose de la part de nos architectes ; avec les autorités, nous sommes les faiseurs du désastre qui nous engloutit tous autant que nous sommes ; nous dépendons trop du manque de vision des politiques. Nous ne savons pas donner corps à la commande qui ennoblit les besoins réels, et non pas les besoins créés de la société algérienne (Giancarlo de Carlo, architecte-urbaniste). L'histoire de l'architecture et de l'urbanisme algériens de ces cinquante ans d'indépendance est celle de l'absence du questionnement, du laisser-aller permanent, d'emprunts de règles et de projets qui ne correspondent pas globalement aux attentes de l'être collectif algérien. Les outils juridiques qui servent à ce que les technocrates appellent la production de la ville sont inadaptés à la réalité sociale. En plus leur application est d'une rigidité nécrosante. Ce qui fait que, « Quand on ne maîtrise pas un changement social et culturel [?], on évoque une situation pathologique de la ville, alors même qu'il faudrait saisir l'ordre de ce désordre, la logique propre à cette situation. » (Giancarlo de Carlo, architecte-urbaniste). En effet, l'observation poussée de « la ville périphérique » qui est selon nous la ville algérienne par excellence peut beaucoup nous apprendre. Les réalisations du secteur public, et plus récemment de la promotion immobilière chahutent son processus d'étalement. En même temps les contributions des particuliers expriment dans de nombreux cas leurs refus des aménagements des autorités locales (Bernard Lassus). Cette ville périphérique n'est pas que le concentré de la monotonie misérable des immeubles qui partagent quasiment la même recette, elle est l'échec de la diversité dans le faire, dans la mesure où les mêmes autorités ne répartissent pas équitablement les projets à étudier, et ne respectent pas les règles que l'Etat édicte? Le résultat est que toutes les cités et les autres projets réalisés, publics et privés, qui polluent l'environnement de leur pauvreté flagrante, ne portent jamais le nom de leurs architectes. Cette situation ne permet donc pas d'une part, de designer toute forme de responsabilité vis-à-vis de la dégradation de l'environnement et d'autre part, de faire la sélection des architectes talentueux. L'urbanisme à l'algérienne qui n'a jamais été un urbanisme algérien au sens propre de l'expression, s'est tristement accommodé de la rigidité intellectuelle du diplômé d'architecture. Les raisons de l'échec de l'enseignement de l'architecture sont liées au statut que l'on a voulu imposer au diplômé d'architecture dont les relents persistent encore dans nos universités ; c'est-à-dire celui de l'ingénieur opérationnel qui se soucie plus des mathématiques que de l'esthétique (Jean-Jacques Deluz). De ce point de vue, comme le rappelle Giancarlo de Carlo nous sommes très loin du modèle de l'architecte pluridisciplinaire de Vitruve, et comme le scandait Wright, nous sommes condamnés à subir le carnage des ingénieurs. Il est absurde de croire que l'on peut séparer l'architecture des sciences de la ville comme la sociologie et l'anthropologie en premier lieu. Car l'architecture sans ces sciences n'a pas de sens. En architecture, il y a le site, il y a l'organisation dans le site, il y a la forme qui exprime cette organisation, et il y a le site reformulé dans son environnement. La relation qui lie l'architecture à l'urbanisme est vitale (Michel Ragon). La problématique de l'architecture se rapporte à l'histoire de nos villes, celles-là mêmes qui ont imposé le modèle européen du bâti. Les prototypes d'architecture nous parviennent en permanence de l'étranger, et certains architectes se pensant plus éclairés que d'autres tentent de faire passer les architectures de l'ailleurs, comme celle de Wright et de Le Corbusier pour des modèles universels. Or nous savons tous que l'universel n'est pas dans le modèle géométrisé et matérialisé au sens restrictif du terme. Nous ne pouvons pas tous vivre dans des objets sculptés, ils finissent souvent par nous ennuyer, et la déception qui en découle arrive dans de nombreux cas rapidement. L'universel est la volonté de créer cet espace qui correspond au mieux possible aux besoins réels des personnes et des groupes. L'échelle de l'universalisation comme outil de reproduction du modèle, tend à dépersonnaliser les territoires, à les rendre identiques. Cependant les forces naturelles ont toujours tendance à reprendre le dessus; Le Corbusier l'a bien constaté avec l'expérience de Pessac. Je crois aux différences culturelles qui distinguent les communautés et qui ont imprimé culturellement en elles des codes génétiques particuliers. Sinon les hommes auraient évolué partout de la même façon. La manière d'habiter n'est jamais la même d'un individu à un autre, aussi elle varie d'une communauté à une autre. Chacun d'entre nous a son idée de ce qu'il est, à partir de là de ce que doit être une ouverture, un lieu d'accueil, etc. pour lui. Nous n'entrons pas de la même façon comme nous ne voulons pas qu'un étranger qui entre chez nous nous aperçoive de la même façon. Nous vivons l'espace habité différemment, ce qui en fait un espace qui est loin, selon le principe profonds qu'évoque Wright, d'être universel. Nous sentons le malaise de l'Algérien d'être chez-lui ; ni occidental ni maghrébin, assailli d'une foule d'images, de références et d'idées, pour la plupart confuses. Le diplômé d'architecture contribue à cette confusion, car lorsqu'il construit pour lui-même il le fait avec la sensation d'être en avance par rapport aux autres ; il reproduit un modèle européen tout en le confondant avec la figure de l'architecte occidental qui lui sert de référence. Le passé est comme effacé au profit d'un progrès qui n'est pas le sien. En conceptualisant un lieu, il faut tenir compte à la fois du legs collectif qui est cet ensemble de valeurs partagées, et l'acquis individuel de la personne. Si le premier est globalement relatif à la ville et est facile à ramasser, à cumuler dans une règle, à en parler sous forme de permanence, le second est plutôt relatif à la maison en termes d'abri et exige une écoute attentive des attentes du futur habitant. Dès lors nous pouvons partir de nombreuses hypothèses dont celle consistant à dire que si l'habiter européen s'est accommodé depuis deux siècles de ce projet de continuité de l'intérieur et de l'extérieur, cela n'est pas le cas de l'habiter algérien, dont la Casbah est l'illustration, puisque le seuil y représente toujours une symbolique déterminante (Assia Djebbar). L'expression matérielle du seuil n'est peut-être pas toujours la même mais l'esprit y est encore. En ce sens, nous nous demandons si l'Algérien souffrant de tiraillements culturels forts importants a regagné son habiter, cet habiter qui lui permet d'être en accord avec lui-même, « cet habiter qui confère au lieu un sens » (Giancarlo de Carlo, architecte-urbaniste) et qui est présumé faire identité. Bien sûr il n'est pas question d'enfermer les tentatives de réponses dans des traditions figeantes et figées, il faut plutôt avancer vers ces traditions qui sont devant nous et qui sont dans un processus d'amélioration permanent (Lamartine). Voyez-vous, mon idée de repenser l'espace vécu, ceux de la ville et de la maison, dépend de tout cela et voire plus. L'urbanisme tel que je le considère partage avec l'architecture l'esprit. L'urbanisme est architecture comme l'architecture et urbanisme (Le Corbusier). D'autant plus, comme me le rappelait encore une fois Thierry Pacquot, nous ne pouvons plus faire l'un ou l'autre sans tenir compte de la dimension « environnement ». Alors, pour être plus concret, je crois qu'il faut repenser toutes les règles qui régissent l'esprit de l'urbanisme et de l'architecture, depuis la forme de la parcelle jusqu'à la manière même avec laquelle on décide d'engloutir le bâti. Nous devons puiser les règles dans la réalité culturelle de l'algérien, j'oserai dire dans le vernaculaire local, et réfléchir sérieusement et pourquoi pas dans des cercles de réflexion, à la reformulation de la pensée architecturale et urbaine comme pensée globale de l'espace vécu. *Architecte-docteur en urbanisme |
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