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Livres : malentendu (s) et/ou mal-entendants ?

par Belkacem AHCENE DJABALLAH

Algérie. Engagements sociaux et question nationale.

De la colonisation à l'indépendance 1830-1962. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier (série Maghreb).

Ouvrage collectif sous la direction de René Galissot, assisté de Abderrahim Taleb-Bendiab et Amar Benamrouche Editions Barzakh, Alger 2007 (1ère édition, Editions de l'Atelier/ Les Editions Ouvrières, Paris, 2006) 605 pages, 900 dinars.

René Galissot avait 20 ans en 1954. Il fait partie de la génération intellectuelle et politique dite de la «guerre d'Algérie». Enseignant à Alger à l'indépendance? Il lui a fallu vingt autres années de recherche pour concevoir ce dictionnaire biographique. Un lieu d'interférence de quatre types de militants : Les Européens d'Afrique du Nord, en majorité français, qui introduisent le syndicalisme et le socialisme sans toujours remettre en cause le régime colonial ; les nationaux qui deviennent majoritaires et s'engagent progressivement dans la lutte pour l'indépendance ; quelques Européens nés en Algérie ou venus de l'étranger qui les rejoignent ; enfin, les émigrés qui, travaillant en «métropole», sont au croisement de ces deux inspirations.

Près ou plus d'un millier de fiches biographiques, certaines assez longues et bien fournies (exemples : celle de Abane Ramdane, qui débute l'œuvre - à tout seigneur, tout honneur? et les hasards heureux de l'alphabet - et qui comporte pas moins de cinq pages et demie ; celle de Alleg Henri né Salem. D'autres moyennement fournies comme celle de Masseboeuf Jean, avec une page, alors que d'autres sont squelettiques comme celle de Alleg Aicha (On apprend que Henri Alleg lui aurait emprunté le nom car, jeune militant communiste nouvellement arrivé en Algérie et recherché par la police, il avait été hébergé en 1941 par la jeune militante qui lui avait alors établi de faux papiers en le présentant comme son frère. Sa cellule est dissoute et elle est exclue du parti pour avoir refusé la reconnaissance de l'Etat d'Israël). Tout dépend de la place et du rôle effectivement joué sur la scène militante, ouvrière et politique.

 Mais, toutes les bios sont plus intéressantes les unes que les autres. C'est tout cela qui fait de cet ouvrage une référence indispensable pour penser la vraie histoire contemporaine du pays?et, surtout, pour mieux comprendre le mouvement national lui-même et ?après

Avis : A acheter. A lire. Vous serez grandement surpris. A faire lire. A conserver précieusement. Un appel à l'éditeur : le traduire en urgence. Pour que chaque citoyen, surtout les plus jeunes, puisse connaître l'histoire (bien complexe mais riche ) complète de l'Algérie profonde. On y retrouve des A.l.g.é.r.i.e.n.s, musulmans, juifs, cathos, protestants, socialos, communistes, athées, des cadres, des intellos, des fellahs, des ouvriers, des dockers, des syndicalistes, des femmes, des hommes,? Des «indigènes» de toutes origines, des «immigrés» de France? Mais, tous, sinon révolutionnaires, du moins «engagés sociaux» au service du peuple algérien, parfois pour l'indépendance du pays, mais toujours contre l'exploitation coloniale.

France-Algérie. Le grand malentendu.

Ouvrage de Jean-Louis Levret et Mourad Preure (Entretiens avec Stéphane Bugat) Emergy Editions , Alger 2012 326 pages, 1 300 dinars.

Un livre à deux voix, mais à trois mains, à dire vrai. Il y a, en effet, l'interviewer, Stéphane Bugat? et il y a les ?auteurs?, Jean-Louis Levet et Mourad Preure qui répondent selon la question... et selon l'atmosphère, le premier n'étant pas toujours (et c'est tant mieux !) d'accord avec le raisonnement ou la perception du second et vice-versa. Approche originale de l'écriture, mais approche qui facilite la lecture qui se trouve, de ce fait, relancée au détour de chaque page ou même avec chaque question. Cela était attendu (ou programmé, nos deux experts s'entendant, on le sent bien, comme «larrons en foire») : M. P, géopoliticien, fils de moudjahid, né tout juste deux années avant le déclenchement de la guerre de libération nationale, et J-L L, économiste, né à Sétif en 1955, fils de pieds-noirs bon teint, et qui n'a quitté l'Algérie, avec ses parents, qu'en 1964. Onze et huit ans chacun à l'Indépendance du pays?Ce n'était pas beaucoup pour saisir les situations dramatiques du moment, mais c'est assez suffisant, aujourd'hui, cinquante ans après, pour restituer avec fraîcheur, sincérité (naïveté ?) et franchise tous les problèmes et leurs conséquences. On sent, chez l'un comme chez l'autre, la volonté de dépasser les incompréhensions du passé et de construire un bout d'avenir ensemble. Bien sûr, il fallait dissiper tous les malentendus existants, tout particulièrement ceux du passé, ceux liés à la colonisation, à la lutte de libération nationale, aux actions meurtrières de l'OAS, au départ précipité d'Algérie des Pieds ?noirs (en tout cas, une bonne partie d'entre eux), aux rancunes ou aux «nostalgies» tenaces des «rapatriés» qui ont, on le voit assez nettement au niveau des réponses ou des répliques d'un J-L L, plus «camusien» que «sartrien», contaminé leur descendance. Celle-ci, désormais obnubilée par le «paradis perdu», par la «rente pétrolière» à jamais perdue, habitée par le concept de «pouvoir algérien» et, faisant fi de l'existence d'un Etat-nation, reprend donc, à son compte, des clichés éculés, ressassés durant les longues soirées varoises bien arrosées autour d'un couscous «bien d'chez nous», lui-même mythifié et trompeur largement, surtout pour ceux qui ont vécu leur jeunesse ou leur vie d'adulte (et non leur première enfance) sous le «joug» colonial : un apartheid déguisé dans les villes et villages sauf pour les «Arabes de service «, et une exploitation «quasi-esclavagiste» dans les grosses fermes coloniales. D'ailleurs, pour nous, la partie la plus intéressante, c'est bien la première, «Empreintes»?Car, une autre partie est consacrée à l'analyse critique des 50 années d'indépendance. Du déjà-vu et entendu ou écrit : Les aléas du modèle algérien / De la terreur islamiste aux ghettos des banlieues. Avec bien des «révélations» pour le commun des lecteurs (ex: le foisonnement de conseillers et autres stratèges économiques et industriels étrangers dans les années 60-70 puis dans les années 80) et des «affirmations» assez douteuses ou vraies pour les spécialistes: «Si Ben Bella a imprimé une orientation dictatoriale aux premiers pas de l'Etat algérien, le président Boumediène, moine guerrier, avait de grandes ambitions pour l'Algérie» (M.P). «Des milliers de morts ont jonché les rues (sic !) de la capitale au cours d' l'été 62 après les affrontements meurtriers qui se déroulèrent aux portes d'Alger entre l'armée des frontières et les maquisards» (J-L L). «La communauté pied-noir n'avait pas d'intellectuels organiques, au sens gramscien» (M. P). «Les pieds noirs ont aimé (peut-être) la terre, mais pas les gens» (M.P) Le reste est de la même veine. Critique, mais heureusement généreux? chacun défendant, l'un à partir d'Alger, et l'autre à partir du sud de sa France, les deux avec l'Algérie (en fait, une certaine Algérie) au cœur, son idée de l'avenir des relations algéro-françaises. Les grandes lignes d'un «avenir commun» sont proposées, avec une grande sincérité, générosité et démarche scientifique. Oublieux cependant que si, parfois, les (bonnes) relations internationales sont freinées par des malentendus, souvent, elles sont bloquées par des malentendants, ceux-ci plus difficiles à éviter que ceux-là !

Avis : A lire, bien sûr, car c'est un ouvrage de haut niveau de réflexion, faisant parler deux intellectuels vrais?qui, malgré leur approches différentes dialoguent (font-ils exprès ?) sans grands heurts, malgré les divergences d'analyse des situations. Livre très utile. A qui ? Surtout à ceux qui n'arrivent pas, encore, à «nous» comprendre? et, à ceux qui veulent apprendre à dialoguer sans violence.