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Dans une lettre
ouverte à Boualem Sansal publiée par le Quotidien d'Oran en date du 13 juin
2012, un certain Salah Guemriche accuse celui-ci de «révisionniste» pour avoir
déclaré, dans une interview à Médiapart, que la révolution algérienne n'est
qu'une suite d'actions «terroristes» et «diplomatiques».
Pourtant, loin d'être un volontaire versement dans le révisionnisme, les propos de Boualem Sansal sont, en tout état de cause, plus à comprendre, à être pris pour un appel à un débat sur la révolution algérienne, qu'à condamner. Car, il faut le dire, les éloges outranciers à l'égard de la révolution algérienne sont aussi condamnables, peut-être plus condamnables qu'un quelconque supposé révisionnisme. Dans ce débat de grande importance, la personne de Boualem Sansal importe peu, ce qui nous intéresse étant moins la voix de l'intellectuel à scandales que celle du citoyen qui crache sa colère sur les mauvais tours d'une histoire troublée et troublante. Une question s'impose en revanche : qu'est-ce qui pousse les partisans de la thèse dite révisionniste à monter au créneau ? C'est bien plus facile de crier au scandale, à la trahison, que de tenter de situer la question dans son contexte réel et de saisir sa portée en amont et en aval. Les propos de Boualem Sanasal ne sont pas un fait isolé et la responsabilité qu'ils appellent n'est point à mettre sur son dos puisque, que l'on le veuille ou non, nombreux sont les Algériens et les Algériennes qui partagent ce point de vue. L'Algérie n'a pas réglé tous es comptes avec son histoire. Bien des coins d'ombre, des raccourcis, restent à éclairer. En effet, les voix appelant à l'ouverture d'un débat sur la révolution algérienne s'élèvent de plus en plus et le doutes émis par-ci par-là au sujet de certains faits historiques de hautes portée symbolique, comme le 1 novembre et le Congrès de la Soummam, ou encore les héros les plus ancrés dans l'imaginaire collectif de la société algérienne (Amirouche, Abane, Messali, Boudiaf, Ben-Boulaid?) en sont les plus palpitantes manifestations. Comment a-t-on accueilli ces appels ? Comme il fallait s'y attendre, par des accusations de nihilisme, de révisionnisme et de trahisons. Rien de surprenant. Les attitudes d'hostilité à l'égard de tout débat franc sur la révolution algérienne affichées par le régime en place ainsi que certains intellectuels potiches à sa solde, sont pour le moins évocatrices de son caractère, autoritaire, voire dictatorial. En effet, aucune dictature ne s'accommode du débat, encore moins sur ses mythes fondateurs. Dans tous les pays du monde, l'histoire appartient aux nations. L'Algérie est le seul pays où l'histoire est monopolisée par le pouvoir politique qui en fait une source de légitimité en s'alliant ses héros et s'attribuant ses gloires à travers un prolongement dans le temps d'un des symboles les plus marquants de l'histoire contemporaine du pays : le FLN. En outre, les adhérents des organisations de fils de chahids, d'enfants de chouhadas, les moujahids, tous subordonnés à l'appareil du FLN, bénéficient de plusieurs privilèges dans le secteur commercial, dans les douanes, dans l'administration et même, comble de l'ironie, auprès des concessionnaires automobiles et des opérateurs de téléphonie mobile. La nation, celle qui refuse de se clientéliser au détriment du bon sens, est exclue de toutes les dynamiques présidant à l'évolution de l'Etat. A ce titre, les propos de Boualem Sansal s'inscrivent dans une logique de guerre de mémoires qui oppose, cette fois-ci, non plus une «certaine» France à l'Algérie, mais le pouvoir politique en place depuis 1962 à ses opposants. Sorti d'une des guerres les plus meurtrière du siècle dernier, le peuple algérien s'est vite vu confisquer sa liberté, son indépendance, son histoire, par une caste de putschistes avides de pouvoir. Cette caste, s'appuyant sur la légitimité révolutionnaire, a décrété dangereuse pour la nation toute voix discordante, surtout celles qui véhiculent des lectures non-officielles de la révolution algérienne. Le bal de la guerre des mémoires est ouvert dès le 05 juillet 1962. Toute critique de la révolution, à tort ou à raison, est interprétée comme étant une remise en cause de la légitimité du régime et mérite donc représailles. Cinquante ans après, le régime algérien n'a pas changé d'un iota. La légitimité révolutionnaire a de toujours été, au détriment de la volonté populaire que procure un exercice sain de la démocratie, le ferment du régime algérien. Forgé par un demi-siècle de conspiration, d'autoritarisme, de négationnisme et de mensonge, il continue à gouverner par l'exclusion, la diabolisation et les coups de force. Réduire aujourd'hui la révolution algérienne en suite d'actions «terroristes» et «diplomatique» est faut condamnable certes, mais pas plus que la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays et le discours légitimant le pouvoir des architectes de celle-ci. En effet, l'ordre dictatorial en place se nourrit d'un discours outrancièrement élogieux à l'égard de la révolution algérienne. Ce discours, par effet d'opposition, entraine un contre discours qui, lui, se veut révisionniste. Ces deux discours sont, en somme, les deux facettes d'une même pièce : la dictature. Et ceux qui sont impliqués dans cette guerre qu'ils s'appellent Boualem Sansal, Salah Guemriche ou autres, ne sont que les enfants prodiges de cette dictature puisque, chacun à sa manière, a raison d'avoir tort, la dictature s'accommandant bien du mariage entre le tort et la raison. En termes sages, il faut dire que tous les extrémismes, qu'ils soient d'obédience révisionniste ou opportuniste, sont dangereux et condamnables. Le vrai problème donc, ce n'est ni le révisionnisme révoltant des uns, ni l'opportunisme abject des autres, mais bien l'absence d'un débat sérieux et franc sur la révolution algérienne et le cortège de mensonges et autres coups de forces dont se nourrit la dictature qui en tire sa légitimité. |
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