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Ce que l'on appellera désor-mais le «discours de Sétif» est une
estocade intrépide assénée par un président envers tout un esprit de gestion
arrivé aux limites de l'incapacité.
Il n'existe pas un foyer où l'amertume n'y est pas de mise. Les ministres ont été dans une inaptitude de pouvoir suivre et entretenir le «rêve algérien». Vivre sous un toit avec un emploi, c'est ceci en gros le canevas de fond de cette rêverie collective et généralisée. La politique, faisait-on croire, n'était que l'affaire des grands, des initiés. Maintenant, elle est une affaire d'affairistes, de chkara et de tous bois. Les partis sont devenus moroses, les élections une opération hors champ du peuple, l'école encourage l'évasion et nourrit la fuite des bancs. Les mômes dans ces écoles ne croient plus ce qui s'enseigne comme vérité, nationalisme ou autres. D'ailleurs, le «discours de Sétif» en a fait état. Bouteflika, devant son ministre présent au discours, a battu en brèche l'éducation qui n'arrive point à faire connaître les Lotfi, Haoues, Amirouche, Krim, Abane et autres. Seule importe cette note assurant un passage ou une réussite. L'université n'est faite que d'un unique et rébarbatif cursus. Les grèves. Les lycées aussi. Les professeurs du secondaire, à force de ne pas être écoutés, s'arrangent pour le mieux de réussir la prochaine grève. La tutelle, le ministère dont le titulaire détient le record de longévité et survit sans fracas à toutes ses réformes. Réformes contre réforme, l'on est bien arrivé à détruire toute réforme. En terme d'histoire, il dira «que nous n'avions pas assez su incruster celle-ci à nos enfants». Ceci est un désaveu à ces censés «gardiens de la mémoire» que sont les structures représentées par Abadou et Chérif Abbas, lui faisant face dans la salle à Sétif. Les gens ne voient plus rien venir sauf si n'était cette inquiétude sociale qui tarauderait l'esprit le plus juste de ceux qui, rares, sont aux commandes des destinées diversifiées du pays. L'on n'ose pas se dire toutes les vérités. L'allusion dans les propos officiels est devenue telle une règle syntaxique évitant à bon escient le style connu du clair, net et précis. Le président, par contre, a été très net dans son allocution. La gestion du pays va mal. Tellement la morosité a pu faire son petit bout de chemin dans les allées des cœurs souffrants, qu'il ne se trouve plus d'ambitieux pouvant afficher des prétentions de vivre mieux. Le bonheur aussi aurait été rendu otage du système. Comment garder le moral des troupes en éveil souriant, quand le chargé de le leur donner se trouve en pleine tempête ? Où aller ? Bouteflika semblait vraiment dans une insatisfaction flagrante de l'agissement de ses organes d'exécution. Il ne manquera pas d'ailleurs de synthétiser cette discordance entre l'idée et l'organe en usant de cette lourde métaphore : «plusieurs danses sont en tête, ah ! si les pieds en savent suivre le rythme». Même le menu que nous offre la presse, à part le fouillis et les mots fléchés, est lui aussi soumis, événement oblige, à ne relater que ce qui fait mal. Assassinats, terrorisme, grève, hausse des prix, batata, drogue, inceste, suicide. Les libertés de tous se confondent. L'argent est plus agissant que la culture ou le savoir. L'on est bien accueilli si l'on représente une fortune, on le sera moins si l'on affiche une science, un art ou une tranche de culture. L'on ne prête allégeance, parmi l'aréopage dirigeant, qu'aux entrepreneurs, promoteurs et autres segments mercantiles arrivistes dans la sphère des commandes. Rares sont les ministres, les grands serviteurs de l'Etat ou certains walis à leurs répertoires téléphoniques qui mémorisent des noms de grands comédiens, d'illustres écrivains, de scientifiques de renom autant qu'ils regorgent de sigles de grosses entreprises, de gras privés et d'entremetteurs zélés. Dans ce discours, dans son ton de prononciation, il était aisé pour un président de la République de pouvoir passer le message instructif tant attendu par ces milliers de jeunes à qui, de surcroît, l'on demandait à chaque circonstance jugée importante de s'y impliquer. Cette frange juvénile, pour qui l'avenir se transcende dans une probabilité de forte incertitude, est l'acteur principal du dessein qui se profile dans son devenir. Elle doit travailler pour un meilleur lendemain. Mais les outils de manœuvres ne sont pas dans ses mains. Comme une télécommande et un écran. L'une est détenue par l'un et l'écran reste destiné à tous les autres. L'image diffusée ou la scène à vivre devient une dictature imposable et coercitive à l'ensemble de l'audimat, des spectateurs et de l'assistance. Par principe fondamental dans la détermination des desseins d'autrui, l'on ne peut imaginer son propre bonheur comme étant le plus convenable. Un enjolivement de façade d'un siège de wilaya, s'il fait le bonheur de son résident n'est pas forcément une source dynamique capable de rendre heureux l'ensemble des citadins. Ce que voudrait dire le président dans son discours de Sétif, est que ce personnel en charge des affaires publiques, s'il a réalisé des prouesses dans différents domaines, il n'en est pas moins irresponsable des effets induits qui ne peuvent être par ailleurs que souvent pervers. L'imposture transperce toutes les institutions de l'Etat. Les entreprises ne sont prêtes qu'à être éligibles, faillite en bout de mire, au registre des offres publiques d'achat. L'intrusion se trouve partout. Quiconque peut devenir quiconque. Du maire au député. Sans aucun scrupule, l'appétence demeure béante par rapport à la capacité réelle de l'individu. Celui qui, la veille, rêvait en sourdine l'effleurement avec un poste donné, se réveille au bon matin et se trouve par une grâce humaine investi d'un pouvoir de vie ou de mort sur des milliers de paniers de compétences et d'ingénierie technique; ne peut que rire et sourire en sourdine à cette destinée inespérée. Rien ni personne n'empêche le pauvre, par subterfuges, de s'enrober dans le faste du luxe et de l'embourgeoisement. Les banques effectivement ne prêtent qu'aux riches. Ils s'enrichissent davantage sur les ruines encore en décombres des bougres justiciables à outrance et imposables à satiété. La richesse des uns peut provenir de la pauvreté renforcée des autres, elle peut tout aussi provenir de la richesse des autres mais pas forcément en les rendant plus pauvres tout en appauvrissant leur gène de régénération. La justice n'est pas dans la justesse du droit mais dans celle de la sentence. Car à quoi rimait en fait, le fait d'avoir les meilleurs codes, les législations les plus complètes, si au tournant d'un événement ou d'une circonstance, l'application serait compromise, compromettante ou incomprise ? Bouteflika aurait aimé avoir des ministres de sa trempe. Des ministres serviteurs et non serveurs. Des ministres qui décident et non des demandeurs d'avis. L'hésitation et le manque de punch les caractérisent. Ils ne sont en fait pour une majorité que de grands commis de l'Etat, des hauts fonctionnaires. Assis là, devant le président en train de les châtier, personne ne se sentait visé. Ils pensent à leur continuation. Autrement dans le circuit extra-ministériel. Ces élections qui, aujourd'hui, vont faire connaître l'intéressement ou non des jeunes à refaire le monde de demain. Ainsi, une opération électorale supposerait l'existence de deux acteurs. L'éligible et l'électeur. L'on n'y voit que l'engouement du candidat. L'autre partie est totalement désintéressée. Les témoignages recueillis, par-ci et par-là, sont tous unanimes pour dire que si la participation allait avoir un faible taux, ce serait exclusivement la faute aux formations politiques, pour le choix catastrophique et l'imposition de candidats, l'Etat ayant assuré toutes les conditions politiques de réussite. Du n'importe quoi. Malgré cela, le président n'a pas manqué d'user de ses dernières cartes pour créer de l'engouement à passer aux urnes. Il a, à cet effet, convoqué l'histoire, la mémoire des martyrs, la gloire algérienne, les exploits de Mai 45 et du 1er Novembre pour venir tous en aide assister un présent et une actualité qui souffrent de dynamisme et se trouvent mal en point. La guerre de Libération, précédée du mouvement nationaliste rédempteur, a été la meilleure œuvre inimitable d'une génération qui, après cinquante ans d'indépendance, devait connaître un certain «repos du guerrier». D'une voix libérée, rassurée et sans papier, à une autre qui s'est élevée des profondeurs de la salle scandant un 4ème mandat, Bouteflika a immédiatement réagi en disant clairement «longue vie à celui qui connaît ses limites» (aach men arafa kadrou). Il le dit après avoir fait une nette transition référentielle d'ordre coranique dans le sens de «Dieu ne chargera nulle personne que dans ses possibilités». Cette sentence est vite comprise comme un message de probable retrait ou au moins de finition ordinaire de mandat en cours. Un autre mandat, par voie de conséquence, se révèle hors de question. Beaucoup de visages laissaient apparaître un certain chagrin. La mansuétude et l'émotion semblaient remplir l'espace. Des pleurs aussi. Un quasi discours d'adieu. L'essentiel du discours de Sétif était cependant le constat d'une fin de génération. Cette génération a libéré et construit le pays, mais elle s'est avérée dans une incapacité managériale de pouvoir en assurer la gestion, l'entretien et la survie. Les défis qui attendent la jeunesse, exhortée à prendre le relais, sont d'un enjeu capital pour la cohésion nationale devant les menaces de désintégration par voie d'intrusion étrangère qui pèsent sur l'Algérie. «Nous évoluons dans une géographie mondiale très mouvementée», dira Bouteflika. Mais faudrait-il davantage convaincre une jeunesse incrédule à ces propos et qui reste connectée aux bornes d'un monde virtuel tout en étant dans une réalité refusée, honnie et mal acceptée. Changer les maîtres de leur destin est une voie à creuser juste après ces législatives, avec ou non une participation massive, dans les deux cas, il faudrait obligatoirement écouter ou leurs voix en cas d'expression, ou le silence en cas d'abstention. Le message du président, à partir de Sétif, devait avoir fait grands débats auprès de ceux à qui il est destiné. Savoir quitter la table quand l'amour est desservi est un art de grandeur et de candeur. Etre ministre ou wali pendant 20 ans, avoir un âge grabataire qui empêche la mobilité des postes et des emplois supérieurs est une fronde à cette jeunesse que l'on tente d'amadouer. Le mérite de ce discours est aussi dans cette reconnaissance que, quelque part, l'idéal des chouhada, s'il n'est pas à moitié rompu, il l'est partiellement et un peu trop inaccompli. Ce discours marque certes une intention de finir avec une génération, mais n'aborde pas le commencement de vouloir finir avec un système. |
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