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On vote en
Algérie. On vote en France. Parle-t-on, pour autant, de la même chose ?
La France vote dimanche prochain. Elle se rendra de nouveau aux urnes début mai, pour le second tour décisif de l'élection présidentielle. Des élections législatives auront lieu dans la foulée pour, selon une formule très algérienne, parachever le processus électoral. Tout ceci devrait bouleverser le paysage politique français avant l'été. Hasard du calendrier : moins d'une semaine après la défaite annoncée de Nicolas Sarkozy, l'Algérie se rendra aux urnes le 10 mai, pour des élections législatives. Près d'un million d'Algériens auront, à cette occasion, la possibilité de vivre une expérience unique : participer simultanément aux élections en Algérie et en France. Ces binationaux peuvent voter des deux côtés de la Méditerranée : pour sanctionner ou confirmer Nicolas Sarkozy, au nord de la Méditerranée, et choisir entre Khaled Bounedjma et Chalabia Mahdjoubi, au sud de la Méditerranée. Au moment de mettre son bulletin dans l'urne, ce citoyen, algérien ou français, sera totalement libre de son choix. Il subira peut-être des pressions avant de voter, il aura des doutes, mais dans l'isoloir, il aura un pouvoir inégalé. Presque absolu. Pourtant, le même acte de voter n'aura pas le même sens, ni la même portée, quand il est accompli en Algérie ou en France. Il ne suscitera pas les mêmes passions, ni le même engouement. En France, il y a une conviction que le vote aidera à changer les choses. Peu importe que cela soit vrai ou faux. Ce sentiment est partagé par une bonne partie de l'électorat, qui pense que son vote aura de l'effet. Il donne à celui qui l'accomplit le sentiment qu'il participe à une décision majeure. En Algérie, tout a été mis en œuvre pour que le vote reste sans conséquence sur la gestion des affaires du pays. A commencer par le rôle du parlement, qui a été dépouillé de tout pouvoir. A la suite des derniers amendements de la constitution, le parlement ne peut en effet ni censurer le gouvernement, ni refuser son programme, encore moins imposer une composition du gouvernement. A ces restrictions constitutionnelles, s'ajoute l'héritage d'une pratique politique paralysante. Le parlement a pris l'habitude de se contenter de valider les choix du gouvernement, quels qu'ils soient. Y compris quand le gouvernement fait n'importe quoi, ou quand il renie ses propres choix. Car en Algérie, les décisions se prennent ailleurs qu'au parlement, elles se prennent dans d'autres institutions, ou en dehors des institutions. Ce qui relègue le parlement à un simple rôle fonctionnel, sans influence sur la vie politique. Pour celui qui va voter en France, l'acte de voter constitue le couronnement d'une opération amorcée il y a des années, ponctuée de débats, de discussions, de meetings, de rencontres, de confrontations d'idées et de réflexion. Tout est mis en œuvre pour favoriser ces échanges : les médias cherchent la contradiction, les institutions incitent à la confrontation d'idées, la tradition politique pousse à la recherche des différences pour faire le meilleur choix. Au bout du compte, le citoyen sait à quoi s'en tenir. A l'inverse, celui qui vote en Algérie a l'impression de se retrouver face à une pochette surprise. Il découvre des listes innombrables de candidats, sans contenu ni programme. Ce qui renforce cette conviction, très ancrée : les candidats aux législatives ne sont pas motivés par les choix politiques, ni par des idéaux ou des programmes. Ils sont mus par des ambitions beaucoup moins avouables : les uns cherchent à accéder aux indemnités de député, les autres veulent s'introduire dans les cercles de décision pour faire fructifier leurs affaires. La préparation des candidatures révèle toute la différence. Là, des négociations, parfois difficiles, ont lieu entre organisations politiques pour parvenir à des accords susceptibles de faire gagner des voix et des sièges. Par contre, en Algérie, on est candidat dans les grands partis parce qu'on est bien introduit, ou bien parce qu'on a payé une dîme à qui de droit. A défaut, on court les petites formations politiques pour être tête de liste, sans tenir compte du programme du parti, de son histoire, de son implantation, de la qualité de ses dirigeants ou de leurs ambitions. A ce stade, la politique perd toute sa noblesse. Militantisme, abnégation, convictions, fidélité, citoyenneté disparaissent pour laisser place à des concepts repoussoir : mensonge, roublardise, coups tordus, tromperie, trahison. Mais au nord de la Méditerranée, la politique est réhabilitée dans toute sa grandeur. Elle permet, à travers le vote, de changer les dirigeants du pays. Elle permet de « dégager » un homme aussi puissant que Nicolas Sarkozy, de manière pacifique, civilisée. Sans avoir à subir l'humiliation de Ben Ali et Moubarak, ni la tragédie libyenne, ni l'inconnue syrienne. Faut-il être binational pour accéder à ce droit de faire de la politique ? |
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