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Il est impossible
de retracer par une chronique usuelle le long parcours de cet homme. Son
histoire est un long périple à travers les méandres de la souffrance, le
silence des prisons, les affres de l'exil et aussi le délire de la gloire. «
J'ai eu une vie un peu spéciale », a-t-il affirmé à un journal suisse le 16
avril 2006. Commentaire et méditation.
Quand le passé n'est pas clair, l'avenir va se rendre impérativement opaque. Une archive est un bout d'étendard d'un ensemble de faits. L'histoire en fait ne peut se taire longtemps. Malgré l'humeur du pouvoir factuel, malgré le silence sciemment décrété comme un emblème en berne ; le cours reprendra dès la levée de mains invisibles, ses lueurs et ses éclaircies. On ne fabrique pas une histoire, on la crée, on la vit et le reste, c'est aux autres d'en découdre. Plusieurs éléments constructeurs du fait national ont connu ou la loi de l'omerta ou le feu de l'invective. Ils sont partis dans des moments qui tramaient encore les plis d'une histoire toujours inachevée. Bachir Boumaza, Larbi Belkhir, Abdelhamid Mehri et tant d'autres sont partis en emportant dans leurs linceuls un lot important des arcanes du pouvoir et leurs plus confidents aléas. Ainsi plusieurs personnalités nationales en disgrâce circonstancielle avec la sainteté du pouvoir respectivement mis en place depuis l'indépendance s'en vont, sans qu'il y ait eu en leur faveur une séance de réconciliation. Ferhat Abbas reste l'histoire confisquée à jamais. Il a été mangé, laminé par tous ceux qui ont eu à régner durant sa présence en vie. De Ben Bella, à Boumediene jusqu'à Chadli. Personne n'en a eu cure. Il est mort président qu'il fut dans le mépris total qui n'honore point une indépendance, ni une révolution. Les historiens diront qu'en termes de parcours kilométriques à travers les capitales mondiales, l'approche des leaders, les chroniques algériennes Ferhat dépasse de loin les autres. En plus, pionnier du nationalisme, bachelier, pharmacien, fondateur de parti, concepteur, député, intellectuel, écrivain, orateur, président d'assemblée, il a été carrément et sans atermoiement, mis, comme Ben Bella, en prison et en résidence surveillée. Lamine Debaghine, une autre icône du nationalisme à l'instar d'autres figures emblématiques est partie lui aussi presque en?un inconnu. Que dire encore de Cherif Belkacem ? M'hamed Yazid ? Youcef Benkhedda ? Benyahia ? Point de commémoration à leur mémoire. Y a une honte, quelque part. Il a suffi que l'homme meurt, le mérite revenant au seul Bouteflika ; que toutes les archives le concernant soient déterrées et vite dépoussiérées. Elles montrent un homme qui ressemble aux autres, à la différence que lui traine au sein de sa biographie le tout début du recouvrement de l'Algérie algérienne. L'embryon de l'Etat naissant se développait dans l'été des discordes et les différents clans, de l'intérieur aux frontières, du politique au militaire. Une humeur de suprématie et de prédominance. A lui seul, président qu'il fut, il incarnait au gré des envies d'une histoire en éternelle bousculade tantôt le mal aimé, tantôt le contre-révolutionnaire. Une fois l'homme dangereux, une autre l'homme sage. L'essentiel est que la postérité ?destin dites-vous- en fin de compte a fait rendre les honneurs à cet enfant qui fut des décennies durant privé de goûter aux zéphyrs libertaires de l'indépendance du pays pour qui, il milita. A son tour, il faisait subir ce manque d'inspiration libertaire à ses compatriotes. Cocasse prise de pouvoir, inouï début indépendant. C'est maintenant que l'on va savoir ce qu'il fut. Tout aussi idem pour Krim Belkacem, Abane Ramdane, saura-t-on un jour le tracé linéaire et véridique de leur évolution, révolution ? Comme un best-seller, tout le monde connait le titre, sans avoir une seule fois ouvert un livre le contenant ou visionner un film le concernant. Ben Bella jusqu'à sa mort n'était qu'un nom. Une icône dans le diagramme des longues éphémérides du mouvement nationaliste et révolutionnaire. C'est sa disparition qui l'avait fait renaitre. C'est sa mort qui le ressuscite et le tire de la noirceur voulue par des systèmes semblables. La sincérité historique tient à se garder de l'oubli et parfois fait agir le miracle, la reconnaissance ou la providence, tout simplement. Eclipsé par des positions protagonistes au lendemain de l'indépendance, l'homme a été radié de toute actualité. Il a été enterré déjà en 1965. Les Algériens ne pouvaient le découvrir, ni profaner son caveau. L'interdiction phonique de ce nom se répandait comme une instruction aphone. Boumediene avait ses raisons, Ben Bella les siennes par rapport à Boudiaf, colonel Chaabani , Ait Ahmed et autres. Tous ont subi les inquiétudes des uns aux autres. Une espèce de revanche tournante. Avec le recul, Ben Bella ne semble pas faire d'un homme la seule inculpation du renversement. Il dit « Je devais disparaître. Ceci pour dire que, si l'armée algérienne ne m'avait pas renversé, d'autres l'auraient fait. Je devais disparaître, parce que je devenais trop gênant » à cette époque, l'anti-impérialisme était une valeur inestimable chez les leaders du monde arabe et des pays non alignés. Les coups d'état une pratique généralisée. « En deux ans, il y a eu 22 coups d'État militaires, essentiellement en Afrique et dans le tiers-monde. Le coup d'État d'Alger, en 1965, est celui qui a ouvert la voie ». Ainsi l'Algérie deviendra pionnière dans tous les domaines. Ben Bella bougeait, faisait parler de lui. Il était dans le concert des grands. Grande aussi fut cette Algérie, fraichement sortie d'une guerre unique. Elle lui tisserait des lauriers sur mesure. En conséquence de quoi ses amis pleins de conviction eurent à connaitre les pires humiliations et autres positionnements négatifs. D'autres qui lui furent des antagonistes avérés, s'engageant complètement aux cotés de la nouvelle force, se voient après 1999, tous imbus de compassion et d'admiration. Ils continueront avec, la laconique aventure de se renouveler dans une nouvelle démarche politique en faisant ouvrir une porte pour ce mouvement de la démocratie, au lendemain des événements d'octobre. La flamme de la réviviscence n'était que prémonitoire et s'éteignait aussi furtivement que le ferait son géniteur. Les anciens adeptes de l'homme ont vite désenchanté et plièrent aussitôt bagage, ne voyant rien venir comme prospérité viable du mouvement. Ils n'ont pu reprendre le message d'amour qu'ils portaient à leur idole. Les jeunes, assistant à ces funérailles d'avril 2012 sont étonnés que l'on déterre le vécu national d'un homme, figé depuis 1965 dans l'ignominie et la gabegie gouvernementale pour l'enterrer et dire, en son absence qu'il fut grand, visionnaire, et président aux grands mérites. Drôle détour de dire l'histoire et plus drôle raccourci de l'écrire. Ce sont ces funérailles qui vont permettre, pour certains de ses partisans encore en vie, de dire des choses qu'il fallait dire, il y a 50 ans. De son renversement, par un coup d'Etat jusqu'à sa libération, à la faveur d'un desserrement du régime, l'homme connut amèrement la férocité d'un système en quête de vision unipolaire, voire de popularité. Boumediene, infatué par son élan, alors de néo-révolutionnaire s'engageait, à l'instar de tout système, à la chasse de l'avis contraire. Dissimulé, encavé, camisolé de 1965 à 1980 puis placé en « résidence surveillée », Ben Bella était devenu une interdiction, à la limite du haram. De cette période, la plus importante dans l'intimité de l'homme mais aussi de la mémoire collective algérienne, l'ENTV n'en dit mot. Juste un balbutiement pris sous une forme de convenance sémantiquement plaisante et douceâtre de « redressement » Sans doute, l'espace temporel subi dans cette surveillance en résidence obligatoire a laissé des contorsions morales difficiles à contenir. Ben Bella en est continuellement affecté. Il sentait qu'une partie de sa vie fut non seulement escamotée mais encore mise sous scellé à défaut d'un effacement total. Heureusement pour tous, les archives subsistent encore. Une décision brave, pourvu qu'il n'y ait point de calcul personnel, du président en exercice, en forme d'un quasi mea-culpa est venue, à titre posthume rendre une verité quand bien même visuelle aux algériens. L'histoire va-t-elle cependant prendre une autre tournure ? L?hommage rendu par l'Etat à l'un de ses fils s'avère une réhabilitation et un redressement dans l'ordre de la pagination livresque historique. Il reste beaucoup de choses à montrer. Un Ait Ahmed, patriote, patrimoine commun de par son envergure dans le mouvement nationaliste et dans la guerre de libération, aura-t-il, à sa mort droit à de telles images ? Et pourquoi pas aujourd'hui ? Libre à lui de les commenter, ce ne sera qu'une corroboration de fait de services. Il ne peut se prévaloir d'être une propriété exclusive à son parti. Il est condamné à se faire partager par tous. Tous les Algériens deviennent des héritiers potentiels et attestés de son auréole. Chadli libéra Ben Bella, mais l'homme était toujours banni du discours officiel. La terreur le poursuivait et poursuivait davantage les déclarants de sympathie envers son personnage. A M'sila surveillé, l'on brisait son intimité. Ses visiteurs harcelés. Le calvaire persistait même après son départ vers l'exil volontaire. Ainsi il existe plusieurs Ben Bella dans ce sens. Chadli de son vivant vit à sa façon et autrement la pesanteur de l'omerta. On n'en parle plus. La démocratie, pourtant il y est pour quelque chose. Cette mort a fait découvrir au peuple, un président qu'il ne connait pas. La télévision algérienne s'avérant une boite magique d'images longuement gardées dans le froid des frigos, s'est vite mise à l'humeur du jour en diffusant de l'inédit. Le tombeau du silence est positivement profané. La voix de Ben Bella, président venait pour la première fois d'être auditionnée par le téléspectateur. Il était une photo, une image sans voix. L'on montrait tout. La première composition du gouvernement était lue comme dans une kasma. Boumediene à coté, écarquillait ses yeux et cogiterait déjà son coup. Toutes les séquences demeurées dans l'oubli, un demi-siècle ont vite ressurgit. A l'écran de l'ENTV, ses présentateurs, jeunes semblent peinés dans le commentaire. Ils lisaient un livre d'histoire pas toute fraiche pour eux. Ils la racontaient avec un vocabulaire actuel. L'apologie, l'obséquiosité ont dépassé le droit aux morts. L'on dirait qu'ils se spécialisent dans le fait d'enjoliver les parcours, couronner les biographies et encenser la hiérarchie. Lors de la cérémonie de l'enterrement, un ami a carrément rendu muet son poste afin de se faire commentaire lui-même, tellement ces commentateurs étaient hors champ. Ils qualifiaient le président défunt de tous les vocables creux et sans sens. Tout en faisant l'impasse sur la période 1965/1980. A aucun moment le terme « coup d'Etat » ou « emprisonnement » n'est mis en valeur. Laissant libre cours à leur débit verbal, l'image s'est contrastée. Il fallait l'accompagner juste par un silence et que chacun puisse faire du sien. J?ai cru entendre dire de grosses insanités par ces présentateurs. « L'Algérie doit donner des leçons aux autres » « c'est le plus grand président du monde ». L'ENTV dans le live de la cérémonie funéraire a aussi fait l'impasse sur les personnalités ayant assisté à l'enterrement. Ses cameras étaient dans une seule et unique direction. A la Brejnev. Pas d'arrière-scènes. L'on n'a pu savoir, si Zeroual y était ou non, Ali Kafi et autres grands faiseurs de l'histoire. Le zoom de l'unique était scellé sur une mire réduite à un environnement rapproché. Le cérémonial était fastueux mais sans panache émotionnel tant le commentaire désagréable et à l'emporte pièce faisait taire le sacré moment. Le couple journaliste télévisuel, inadéquat épiloguant l'événement s'essayait dans le secours subsidiaire de leurs cursus scolaire. Ils philosophaient à outrance. Leur silence aurait donné plus d'empreinte sentimentale à l'image rituelle qui, belle et émouvante vomirait le mot. Ce couple, n'a rien compris à ce que vient de vivre l'Algérie. Pas uniquement un cérémonial funèbre, mais un remue-ménage dans l'histoire. Il est jeune, ce duo pour saisir les choses des grands. Ben Bella est mort et enterré. L'Algérie finira son deuil, ce jeudi. Les archives retirées à l'occasion vont-elles réintégrer l'obscurité tombale des salles de stockage ? L'homme mourra une énième fois. Le cinquantenaire au mois de juillet prochain ne serait-il pas une aubaine festive pour la réincarnation de ces pales copies filmiques qui risquent la détérioration mémorielle et politique ? Quel aéroport, université va-t-on affecter son fronton pour supporter la lourde enseigne lumineuse contenant le nom de feu si Ahmed ? (après avoir écrit ces lignes, l'information est tombée que l'aéroport d'Oran portera désormais son nom). L'on saura dans les prochains jours l'emportement exalté de certains zélateurs dans certaines provinces, pour baptiser avenues, complexes et campus au nom du défunt. Les funérailles en pompes nationales ont duré un instant, le deuil quelques jours. Et après que faire ? L'image dévoilée de l'homme poursuivra son p'tit bonhomme de chemin et ira, malgré l'enténèbrement des archives vers la mémoire collective. Que Dieu lui accorde clémence et miséricorde. Puisse-t-il faire dépoussiérer l'archive des autres, exhumer des noms et éclater des vérités, toutes les vérités, rien qu'elles. Amen |
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