Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

LA DOUTEUSE «CONSPIRATION» DE L'INFORMEL

par M. Saadoune

La mise en position d'éjection d'Abdelaziz Belkhadem est un événement sans grande importance comparé à l'impressionnant aveu d'impuissance face à l'économie informelle exprimé par Ahmed Ouyahia, Premier ministre, devant les patrons privés du Forum des chefs d'entreprises. Et quand un représentant qualifié de l'Etat, supposé connaître les acteurs et leurs agissements, en est réduit à lancer un appel «au djihad» contre le phénomène de l'informel, cela n'a rien de rassurant.

Pour agrémenter la thèse, contestable, du «complot ourdi» pour les émeutes de janvier 2011, le Premier ministre a fait état, sans donner de détails, d'individus qui auraient affirmé être prêts à mettre 10 milliards pour que l'Algérie flambe. Bien sûr, ces propos vont conforter les milieux qui se délectent d'une vision totalement conspirationniste des événements. On y trouve des gens qui croient sincèrement à cette thèse, bien sûr, mais on y trouve aussi un bon paquet de gens installés qui, refusant de se remettre en cause, y trouvent une justification commode. Il n'est pas besoin d'analyses savantes pour constater qu'au vu des atouts dont dispose l'Algérie, les choses sont très loin d'être idylliques. Les complots existent certes, mais ils ne se trament pas tous les jours et ne façonnent pas l'histoire. Ce sont plutôt les politiques effectivement mises en œuvre, le choix d'un mode de gouvernement, les libertés reconnues ou non aux citoyens, leurs droits à s'organiser librement pour défendre, dans le cadre des lois, leurs intérêts qui déterminent le cours des événements.

Les conspirations ont peu de chance de fonctionner dans des Etats structurés où la liberté de penser, de s'organiser et de prétendre à changer pacifiquement l'ordre des choses est admise et acceptée. Dans ce genre d'organisation, la «conspiration», quand elle existe, est rarement invoquée. Mais dans ces Etats, il existe bien des faits de délinquances économiques d'acteurs qui bafouent les lois et ils payent quand ils sont attrapés. Manifestement, l'Algérie n'est pas dans ce cas de figure. L'Etat, dans sa forme actuelle, se caractérise par l'obsession du contrôle et la volonté d'empêcher des formes d'organisation élémentaire de la société. Cette volonté surdéterminante de contrôle aboutit, moins paradoxalement qu'il n'y paraît, à un fonctionnement politique informel dont la sphère informelle de l'économie est, dans une large mesure, un reflet correct.

Les émeutes de janvier étaient-elles planifiées par ces opaques puissances d'argent ? Si tel est le cas, la révélation est grave. Pourquoi n'a-t-on pas vu un de ces barons comploteurs arrêté ou inquiété par la justice ? Est-ce que l'Etat n'a pas les moyens d'identifier ces riches conjurés et de vérifier que leurs patrimoines sont légitimes ? Admettre que ces lobbies de l'informel ont la capacité d'imposer à l'Etat de renoncer à exiger le recours au chèque et à son rôle de régulateur, est d'une extrême gravité. Car le propos n'est pas le fait d'un journaliste ou d'un observateur lointain, il est exprimé par un Premier ministre. Pourquoi l'Etat algérien serait-il incapable de traiter cette situation tant par des moyens économiques que par le recours à une application stricte des lois et de la réglementation ? Le constat d'impuissance est inquiétant et il est clair qu'un surcroît de réglementation ne pourra pas permettre de le dépasser. Il faudra alors poser la question politique fondamentale: le système algérien fabrique à perte de vue l'économie informelle. Il n'a de ce fait ni l'aptitude ni la volonté de s'attaquer à sa propre production. Et l'appel au «djihad» contre l'informel constitue une non-réponse achevée à un problème concret.