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Faut-il
désespérer de l'Afrique ? Ou bien, faut-il au contraire rester optimiste en se
disant que le temps de la démocratie continuera de faire son œuvre ? Il faut
dire que les événements récents sur le continent obligent à la prudence et
rendent difficile tout jugement global. Prenons le cas du Sénégal. Il y a
quelques mois, un confrère libanais de retour de Dakar me confiait ses
craintes. Selon lui, le clan Wade était capable de tout pour garder le pouvoir
y compris de mettre le pays à feu et à sang. Durant notre discussion, évoquant
l'âge avancé du président sénégalais, je lui rappelais le constat inquiet
formulé en 2009 par l'intellectuel camerounais Achille Mbembe à propos de la «
sénilité croissante des pouvoirs en Afrique ».
Seulement voilà. L'octogénaire Wade vient de recevoir une fessée électorale. Lui, sa femme aux ambitions dévorantes et son affairiste de fils sont désormais priés de se retirer de la scène politique en attendant, peut-être, que la justice sénégalaise mette son nez dans leurs multiples business. Cela fait donc deux fois que la République du Sénégal et les Sénégalais surprennent agréablement la communauté internationale et font un pied de nez aux afro-pessimistes. En 2000, déjà, la victoire d'Abdoulaye Wade contre le président sortant Abdou Diouf avait déjoué le pronostic des oiseaux de mauvais augure. Douze ans, et une réélection controversée de Wade (en 2007), plus tard, c'est Macky Sall qui vient de remporter le scrutin présidentiel alors que nombreux étaient ceux qui pensaient que la victoire de Wade était programmée. Une victoire qui aurait, là-aussi, conforté, un autre constat d'Achille Mbembe à propos de « l'enkystement que l'on voit à l'œuvre (en Afrique) y compris là où une certaine alternance a eu lieu ». Il faut dire que Wade, comme l'Ivoirien Laurent Gbagbo, ont illustré à merveille le désenchantement lié aux alternances. Dans les années 1990, Wade comme Gbagbo, étaient les chouchous de la presse internationale et des grandes organisations de défense des droits de la personne humaine. Cela sans compter les chancelleries occidentales qui en faisaient les meilleurs espoirs pour des changements d'envergure dans leurs pays. Las, une fois arrivés au pouvoir, ils ont douché les attentes les plus mesurées et entrepris de renforcer ce cliché selon lequel l'opposant africain devient un tyran une fois arrivé au pouvoir. Peut-être que Macky Sall sera lui aussi tenté par le pouvoir absolu même s'il vient, et c'est une bonne nouvelle, de décider de réduire la durée du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une fois. De toutes les façons, et en cas de dérive autoritariste, on peut espérer que les Sénégalais sauront lui indiquer, le moment venu, la porte de sortie. Un peuple qui apprend à user de son droit de vote ne se laisse pas facilement priver de cette arme citoyenne. Mais, alors que le Sénégal renforce son caractère démocratique, voici que le Mali s'illustre de la pire des façons. Ah le Mali? Combien de lignes dithyrambiques avons-nous écrit à propos de cette jeune et frêle démocratie. Souvenir d'Alpha Omar Konaré (AOK), l'un des rares présidents africains, voire de tout le tiers-monde et d'ailleurs, à ne pas se laisser tenter par le tripatouillage constitutionnel afin de supprimer la limitation à deux mandats présidentiels. Une disposition née du souffle de La Beaule, lorsque la France de François Mitterrand avait signifié à ses présidents-obligés qu'il leur fallait ravaler la façade et faire mine de démocratiser. Ce fut le temps des nouvelles constitutions, des promesses d'alternance et de fin des présidences à vie. Rares ont été ceux qui les ont tenues. Longue est la liste de ceux qui les ont foulées au pied : Cameroun, Togo, Tchad, Burkina Faso, Mauritanie, Tunisie, Ouganda, Cameroun? On ne peut pas faire son temps et celui de ses petits-enfants» avait dit un jour Alpha Omar Konaré pour justifier sa décision de ne pas briguer un troisième mandat. Son successeur, Amadou Toumani Touré (ATT), était prévenu. Il lui faudrait porter haut, lui l'ancien putschiste du début des années 1990, l'étendard de la démocratie. « ATT » a certes déçu son peuple mais rien ne peut justifier ni permettre le coup d'Etat militaire qu'il vient de subir. Voilà donc le Mali, pays que l'on mettait en tête des expériences démocratiques réussies en Afrique, qui régresse d'une façon spectaculaire. Voici donc le retour de la soldatesque, de la junte toujours prompte à promettre le retour aux urnes et à la légalité. Pire que cela, le Mali semble prendre la route calamiteuse de la division ethnique, de la guerre civile et de la partition. On pensait, à raison, que les frontières africaines héritées de la colonisation étaient intangibles. D'ailleurs, comme l'a montré le politologue Pierre Conesa dans son dernier ouvrage, l'Afrique «est aujourd'hui le continent ayant le plus d'affaires contentieuses réglées par moyen juridique devant la Cour internationale de justice (?) Malgré les nombreuses guerres civiles, le continent n'a pas subi la ?balkanisation' longtemps annoncée et ses frontières ont beaucoup moins changé que celles de l'Europe et de l'Asie pendant la même période» (*). Mais que se passera-t-il si, imitant le sud-Soudan, le nord du Mali fait sécession ? On imagine l'onde de choc qui s'étendra jusqu'au Maghreb et aux confins du Congo. On devine alors le nouveau grand jeu qui se dessinera sur le Continent sous fond de lutte impitoyable entre les grandes puissances pour l'accès aux terres rares, aux métaux précieux, au pétrole mais aussi aux terres arables. Il n'est donc plus question d'afro-pessimisme ou d'afro-optimisme mais bel et bien d'urgence. L'Union africaine ne peut rester indifférente. Qu'il s'agisse du coup d'Etat des militaires ou, bien plus encore, de l'insurrection des Touaregs, la gravité du cas malien ne peut-être négligée. A moins de souhaiter l'intervention de l'Occident et le retour de ses colonnes « pacificatrices » de fer et de feu. (*) La fabrication de l'ennemi ou comment tuer avec sa conscience pour soi, Robert Laffont, août 2011. |
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