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Abdoulaye Wade s'en va. En voulant passer en force, le chef de l'Etat
sénégalais a, malgré lui, contribué à ancrer la
démocratie dans son pays.
La (bonne) surprise du mois est venue de Dakar, où le président sortant du Sénégal Abdoulaye Wade s'est fait éjecter. Le vieux dirigeant sénégalais ne pourra rester au pouvoir pour un troisième mandat, et ne pourra pas non plus préparer le terrain à l'établissement d'une république héréditaire au profit de son fils Karim, un projet qui était devenu une obsession pour lui. Ce dénouement heureux de la présidentielle sénégalaise débloque une situation qui paraissait sérieusement compromise il y a encore un mois, et montre qu'il est encore possible d'imposer la démocratie par l'urne dans un pays africain. De manière plus générale, cette issue ouvre des perspectives prometteuses pour le Sénégal et pour toute l'Afrique de l'Ouest. Pour les Sénégalais, le pire a été évité. Même si l'élection de Macky Sall, un ancien proche de Abdoulaye Wade, ne constitue pas un bouleversement politique majeur dans le pays, et ne suscite pas une passion particulière, le fait d'empêcher un président africain à rester au pouvoir en manipulant les institutions constitue une avancée indéniable pour l'Afrique. Un nouveau a été franchi dans l'ancrage de la démocratie sur le continent. Les choses étaient pourtant mal engagées. Elles semblaient d'autant plus compliquées que le coup de Jarnac venait d'un opposant historique à Léopold Sédar Senghor et à son successeur Abdou Diouf, un homme dont le parcours semblait exemplaire. Comment Abdoulaye Wade, cet homme à l'itinéraire inattaquable, arrivé au pouvoir à force d'abnégation et de détermination, comment pouvait-il, au crépuscule de sa carrière, détruire ce capital et mettre en péril la stabilité de son pays, pour devenir ce petit dictateur intéressé par la seule idée de laisser un pays en héritage à son fils ? Abdoulaye Wade avait fini par devenir une caricature du dirigeant africain le plus détestable. Un homme d'un autre temps, dépassé par la conjoncture, arcbouté au pouvoir, prêt à tout pour s'y maintenir, y compris manipuler la constitution et trouver des arrangements en dehors de la loi. Un comportement indigne, qui lui a valu l'hostilité d'une large frange de la société, et a fini par donner naissance à une sorte de consensus national contre lui. Bien malgré lui, Abdoulaye Wade a donné au Sénégal son printemps. La rue s'est mobilisée pacifiquement, les opposants ont réussi à taire leurs divergences, et un « tout sauf Wade » a mobilisé le pays, dans un élan rarement vu dans la région. Les choses semblaient dès lors réglées. Le reste n'était qu'une question de temps. Et d'opportunité politique. Le succès de l'opposition sénégalaise a bénéficié d'une série de facteurs. Il y a d'abord eu un large rejet du président sortant au sein de l'opinion, un rejet comparable à ce qui avait pu être observé en Tunisie ou en Egypte. Abdoulaye Wade était devenu un symbole qui cristallisait toutes les frustrations d'une société déçue par une attitude méprisante envers le peuple et envers les institutions. Ce consensus anti-Wade a donné lieu à une mobilisation où les postulants à la présidence ont accepté de se ranger, de manière disciplinée, derrière le mieux placé d'entre eux, l'ancien Premier ministre Macky Sall. Celui-ci n'est ni charismatique, ni un grand tribun. Il a simplement joué le rôle qui était le sien, prendre l'habit du chef d'une opposition consensuelle. Aux yeux de l'opinion, cet ancien compagnon de Wade incarnait une alternative crédible au chef de l'Etat sortant. Il était la preuve qu'on pouvait se passer de l'ancien président. Le Sénégal est aussi un pays de vieille tradition démocratique. Quoiqu'on puisse dire des anciens dirigeants sénégalais, ils ont toujours réussi à transmettre le pouvoir en douceur, ce qui rassure les partenaires étrangers et les bailleurs de fonds, dont dépend fortement ce pays. Quand les premières victimes sont tombées (il y en a eu dix-huit, un nombre insignifiant comparé au Yémen ou à la Libye), les Sénégalais ont rapidement compris que la situation pouvait dégénérer, et que Wade avait franchi une ligne rouge. Il devenait dangereux pour le pays. Il fallait donc s'en débarrasser, sans aller jusqu'à prendre les armes contre lui. La mobilisation est restée pacifique jusqu'au bout. Enfin, ce qu'on appelle la « communauté internationale » s'est mobilisée contre Abdoulaye Wade. La France, dont le poids reste déterminant, mais aussi les Etats-Unis et les autres pays européens, ont joué à fond la carte du changement. Le pari pouvait d'autant plus facilement être tenté que la situation pouvait facilement être présentée de manière manichéenne : d'un côté, un dirigeant dépassé, s'accrochant au pouvoir en manipulant la constitution, pour imposer son fils ; et, de l'autre côté, une société pacifique, aspirant à la démocratie, et se mobilisant massivement pour faire avancer le pays. Un schéma idéal pour bénéficier de la sympathie du plus grand nombre et de l'appui de l'opinion internationale, et faire tomber un pouvoir illégitime. Après l'amère expérience ivoirienne, et au moment où le Mali voisin prend un dangereux chemin pour s'éloigner de la légalité institutionnelle et de la démocratie, les conditions qui ont permis au Sénégal de surmonter l'épreuve et de conforter la démocratie méritent d'être examinées. |
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