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«Pourtant ma
faiblesse immense et indiscutable fut certainement de n'avoir pas eu cet
honneur suprême que chaque combattant portait au fronton de son engagement et
au plus profond de son âme, celui d'être un martyr» [1]
En ces journées cinquantenaires de l'indépendance du pays, une replongée dans les écrits visionnaires des auteurs, qui ont marqué cette période marquante de notre mémoire, est chargée d'une opportunité double. D'une part rendre hommage à ceux qui ont combattu l'exploitation et l'esclavage avec la plume en bandoulière, le verbe aguerri et détonant entre les lignes. D'autre part à ceux qui se sont sacrifiés l'arme à la main pour qu'il n'y est plus jamais cela et pour que le printemps n'en sera(it) que plus beau [2] Mourir ou écrire ainsi c'est vivre. Cette étape historique de la colonisation fera le lit scripturaire de nos plumes les plus prolifiques. Le but : dénoncer ce colonialisme usurpateur et sanglant, venu au nom d'un ethnocentrisme avéré : dénier l'identité d'un peuple, dépecer sa culture et s'approprier son histoire et la détourner durant plus de cent trente années de spoliation. Kateb Yacine, avec Mohammed Dib et Frantz Fanon pour ne citer que ceux là, introduisent une nouvelle optique qui conteste les idées reçues de l'impérialisme. Ces prestigieux écrivains démonteront chacun dans son propre style et sa réflexion : l'idée fédérée d'une domination culturelle, politique et économique d'un colonialisme raciste et injuste. Comment est représentée l'émergence de ce discours anti-colonial ? L'histoire de l'Emir Abdelkader, chef historique de la résistance algérienne contre l'invasion française de 1830 va constituer la matrice démystificatrice d'une occupation répressive et meurtrière qui s'appropriait les terres et accélérait la déculturation de l'Algérien colonisé. Pour Kateb, Abdelkader au contraire aurait pu construire un Etat algérien moderne, cet historique résistant constituait de facto l'exemple qui devait inspirer tout nationaliste algérien. Cette idée d'indépendance, impensable à cette époque (1947) pour la plupart des Français, constituait au contraire pour Kateb une véritable aspiration à la rupture avec un système colonial qui opprimait un peuple. Une Algérie indépendante et moderne. «Oui, sans l'agression du colonialisme, il y aurait eu une Algérie musulmane avec son édifice propre et son gouvernement central» [3]. Kateb fortifie sa position de partisan de l'indépendance du pays dans la conclusion de sa conférence sur Abdelkader et l'Indépendance Algérienne prononcée le 24 mai 1947 à Paris. : «Quant à moi, j'aurais accompli ma plus belle mission si je gagnais de nouvelles sympathies françaises à la cause de l'indépendance de mon pays». C'est par l'agencement de son œuvre grandiose, sa portée politique et l'articulation d'un dynamisme mobilisateur que Kateb le colonisé ait pu répondre à un système implacable en mettant la nation algérienne représentée par l'Ancêtre au cœur de la plupart de ses écrits. Ecrits qui vont produire le point de départ de la formation d'une conscience anticoloniale auprès de l'intelligentsia française et universelle. Dans Nedjma, l'ancêtre incarne celui qui est toujours présent dans la lutte contre l'occupant sous la figure d'un vieil homme courageux qui donne l'exemple de la bravoure. Illustré dans l'œuvre par le grand-père de Lakhdar, vieux maquisard, debout sur sa mule, tirant sur les gendarmes. «Il suffit de remettre en avant les ancêtres pour découvrir la phase triomphale, la clé de la victoire refusée à Jugurtha»[4] Kateb en véritable visionnaire avéré poursuit: «Leurs yeux s'ouvriront sur l'étendue de l'esclavage et ils voudront revenir aux libertés fondamentales [..] Les fondateurs clandestins nous enseigneront la vanité de nos diplômes.[..] Nous irons avec eux dans la forêt faire le coup de feu contre les ombres des chacals»[5] L'émancipation du discours politique par le discours littéraire imprègne les premières œuvres de Mohammed Dib. Ce dernier insuffle dés le départ à ses œuvres une critique accablante du système colonial. L'oppression quotidienne à laquelle sont soumis les colonisés est fortement mise en valeur dans sa fameuse trilogie (l'Incendie, la Grande Maison, Le Métier à Tisser). «Et depuis, ceux qui cherchent une issue à leur sort [...] qui veulent s'affranchir et affranchir leur sol, se réveillent chaque nuit et tendent l'oreille. La folie de la liberté leur est montée au cerveau». [6]. Le discours romanesque dans ses œuvres devient une véritable revendication à une problématique humaniste jugée humiliante pour un peuple opprimé et dénié de ses droits les plus élémentaires en commençant par sa «mise en famine» forcée. La faim, décrite dans La Grande maison, c'est aussi le fin proche de la colonisation et cette faim de liberté et de dignité. Le thème de «L'Incendie» trouve toute son amplitude métaphorique dans l'annonce de l'embrasement de tout un pays «Un incendie avait été allumé, et jamais plus il ne s'éteindrait. Il continuerait à ramper à l'aveuglette, secret, souterrain: ses flammes sanglantes n'auraient de cesse qu'elles n'aient jeté sur tout le pays leur sinistre éclat» [7] Cette fresque scripturaire nous dépeint l'éveil anticipé d'une conscience qui évolue au rythme des soubresauts de l'Histoire d'un pays et d'un peuple. Familiariser le lecteur universel avec les péripéties de «cet indigène-personnage» que l'idéologie coloniale représentait comme inférieur et barbare. La restitution de sa parole confisquée illustre son aspiration à une révolte contre un système inhumain et oppresseur. La convocation d'un passé glorieux cristallisé autour de la même figure, celle de l'Emir Abdelkader premier précurseur d'un Etat-Nation défile, véhiculé par la légende du cheval blanc raconté par le personnage Comandar. «Cheval blanc sans selle, sans rênes, sans cavalier, sans harnais, la crinière secouée par une course folle...» [8] La trilogie de M. Dib est un véritable plaidoyer pour l'indépendance d'un peuple et la dénonciation d'un joug colonial par l'entremise de son personnage Omar, acteur innocent et révolté mature : «Omar n'acceptait pas l'existence telle qu'elle s'offrait. Il en attendait autre chose que ce mensonge, cette dissimulation, cette catastrophe qu'il devinait [...] il se consolait en secret de son jeune âge en comptant sur l'avenir pour prendre sa revanche.» [9] Pour ce grand acteur et défenseur de la révolution que fut Frantz Fanon : la décolonisation ne passe jamais inaperçue car elle porte sur l'être, elle le modifie fondamentalement, elle transforme des spectateurs écrasés d'inessentialité en acteurs privilégiés, saisis de façon quasi grandiose par le faisceau de l'Histoire. Dés que «l'indigène» découvre son humanité, il commence à fourbir ses armes pour la faire triompher. Ces damnés de la terre caricaturés en masses déferlantes de couleur brune, noire et jaune par Mauriac savent qu'ils ne sont pas des animaux et c'est précisément pour cela qu'ils provoqueront l'histoire de l'Histoire. Avec les Algériens, Fanon s'est trouvé un peuple. Il s'identifie à eux et à leur combat. Les damnés de la terre est une analyse de l'émancipation des peuples. Le rebelle, prend sous la plume de Fanon le visage du Noir, de l'Arabe ; ceux-ci arrachaient enfin le masque du maître et apparaissaient libres. Fanon voulait que la décolonisation fusse la création d'une nouvelle espèce d'hommes, un monde où les «derniers seraient les premiers, et les premiers les derniers». Il avertit : «l'homme colonisé qui écrit pour son peuple quand il utilise le passé doit le faire dans l'intention d'ouvrir l'avenir, d'inviter à l'action, de fonder l'espoir ...il ne faut donc pas se contenter de plonger dans le passé du peuple pour y trouver des éléments de cohérence vis-à-vis des entreprises falsificatrices et péjoratives du colonialisme.» [10] Fanon mérite d'être relu. Non seulement pour avoir accompagné l'épopée du peuple algérien dans sa révolution mais aussi d'avoir disséqué l'oppression coloniale et ses rapports colonisateur- colonisé ouvrant d'abord la voie à un véritable processus de décolonisation puis à de précieuses théories postcoloniales qui remettent aujourd'hui en cause toutes les formes de colonialisme et de racisme. En portant le choix sur les écrits de ces trois illustres écrivains, nous avions voulu montrer d'abord l'impact de tous ces écrits détonant de vérité et de vision anticipatrice de nos plumes algériennes sur le cours de la révolution puis de son indépendance. Aussi, de représenter cette génération racée d'auteurs qui ont porté la libération de leur pays dans le cœur et le corps à travers leur espace scripturaire. Enfin ces écrits ou «ces chemins qui montent.» à travers le cours de l'histoire ont abouti pour faire connaître à l'opinion mondiale «La colline oubliée» d'un pays et d'un peuple asservis. Laisser place durant les cinquante années à venir au rayonnement d'une Algérie rêvée comme l'espérait Mostefa Lacheraf. Repenser l'avenir ou le sens du travail, le civisme, le mérite personnel, les droits inaliénables du citoyen auront remplacé la religiosité tactique, la fraternité débonnaire, la démagogie paternaliste, le népotisme et surtout un passéisme?manoir des privilèges. * Universitaire Références bibliographiques [1]M.M.Nedjadi «Témoignage d'un officier des services secrets», Editions Dar El Gherb, 2010, p.8 [2] Rachid Mimouni. «Le printemps n'en sera que plus beau», Stock ? France 1995 [3] K.Yacine, «Abdelkader et l'Indépendance Algérienne», Enahda, 1947 pp34-35 [4] ] K.Yacine. «Nedjma», Editions du Seuil, Paris, 1996, p.175 [5] K.Yacine. «Le polygone étoilé», Editions du Seuil, Paris, 1966, p.12 [6] M.Dib. «L'Incendie» Editions du Seuil, Paris, 1954, p.31 [7]. Ibid., p.154 [8]Ibid., p.31 [9] M.Dib. «La Grande Maison» Editions du Seuil, Paris, 1952, pp.115-116 [10] Frantz Fanon «Les damnés de la terre» Maspéro, Paris, 1974, pp 162-163 |
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