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Au lieu d'être un
régulateur fluidifiant à la propension des carrières administratives, la
fonction publique est devenue un goulot d'étranglement. Un parcours hérissé pour
tous. L'application des lois et règlements n'est perçue qu'uniformément. Une
seule lecture. La sienne.
Cette administration en chef est chargée, en conformité avec le décret n°03-190 du 28 avril 2003, de prendre, dans le cadre de la politique générale du gouvernement, « les mesures de nature à assurer une gestion cohérente des ressources humaines de l'administration publique, notamment à travers la définition des règles statutaires, le régime des rémunérations, la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences, les actions de formation et les systèmes d'information ». Comme un Etat, l'humeur du chef est toujours mise dans les interstices des dispositions modulaires d'application. Cette entité est censée être le gardien de l'ordre moral devant régir les rapports réglementaires dans un unique et exclusif souci : la bonne exécution des textes. Elle prétend toutefois être, sinon elle l'est de facto, le gendarme dans la circulation des actes et des exploits réglementaires. La fonction publique, une institution de droit napoléonien et d'essence fondamentalement républicaine, s'est vu confier tout un arsenal de prérogatives. Du feu vert pour une nomination au choix du lieu d'examen ou d'un recrutement initial. Tel un gouvernement, elle brasse large dans tous les secteurs englobés dans la notion fourre-tout d'institutions et d'administrations publiques. Elle veille, entre autres, au contrôle des actes de gestion, leurs conditions d'élaboration et de publication sous un angle collectif ou individuel concernant la situation de tous les travailleurs de ces secteurs, que l'on appelle désormais fonctionnaires. Car il fut un temps où le SGT (Statut général du travailleur) définissait comme tel toute personne produisant un travail manuel ou intellectuel. Du président de la République à l'ouvrier dans une petite ZIP, le SGT ne faisait point de différence dans ce travail manuel ou intellectuel, hormis la classe catégoriale et salariale qui constituait juridiquement la seule distinction. Le décret 85-59du 23 mars 1985 est venu, à l'époque, adoucir quelque peu cette communauté de destin carriériste en promulguant un statut-type pour les « travailleurs » des institutions et des administrations publiques. Ce dernier connaîtra par la suite une modification globale 20 années après. Il les qualifie enfin du titre flatteur et peu enviable de fonctionnaires de l'Etat. Depuis, la réforme tant attendue reste similaire à celle d'autres créneaux de l'activité économique, financière ou bancaire du pays. Une réforme est d'abord une commission. De surcroît dans la fonction publique, celles-ci foisonnent. Elles sont installées un peu partout et aléatoirement prennent le sobriquet de commission ad-hoc. C'est dans les modalités de lancement, d'ouverture, d'organisation, de déroulement, de finalisation et de validation des admissions définitives aux titres des concours, examens et tests professionnels que ses « commissions » prennent un rang césarien. Un peu plus que napoléonien. Officiant à l'aise, soit sans contrainte de délais, au moment où les services institutionnellement gestionnaires sont tenus par les échéances « réglementaires » fixées à la clôture de l'exercice budgétaire (30 novembre de l'année civile), ces commissions, se transformant en jurys d'admission, se font désirer. La fonction publique est ainsi appelée, de par sans doute les aptitudes avérées de son personnel, ses fonctionnaires, à faire une dynamique de groupe au sein de « ses » ou de ces institutions administratives en vue de ramener l'autorité l'ayant en charge à plus de flexibilité et à moins de garrot. Commissionnaire attentif dans le traitement des carrières, censeur de l'illégal, elle se devait d'être aussi l'huissier pour un constat d'amertume, de blasement et de cette « ingratitude de l'administration» proférée car subie par tous les « travailleurs intellectuels », dirions-nous. Avec cette décision salutaire de changer la tête, le paysage de toutes ces administrations va s'éclaircir pour permettre d'offrir des plans de carrière visibles et lisibles. Le verrou longtemps pris pour un cadenas de chasteté aux lois républicaines vient d'être brisé. Au bonheur de plus de un million six cent mille détenus qui, si l'héritage ne se transforme pas en succession linéaire, découvrant ainsi leur liberté, voient aussi la libération de tous les pauvres textes et statuts emprisonnés dans l'humeur de l'homme. Ce mauvais gardien du temple de la morale publique retenait en otage capricieux plusieurs ministres, quelques directeurs généraux et plusieurs petites têtes de fonctionnaires. Ce verrou haussant ses épaules non seulement face à des revendications mais encore envers grèves, émeutes, sit-in. Se croyant apolitique et dépolitisé, il opposait une légalité, la sienne, à la légitimité de tous. Pour un simple relèvement indiciaire, un minable échelon, le sceau humide et le paraphe de cette suprastructure ressemblaient presque à une clémence divine ou une bonté prophétique. Dans cette administration-là, l'horreur n'est qu'une inégalité statutaire. Un traitement par les deux poids, deux mesures. Disons les deux lois, les deux régimes. Pourquoi un corps se voit octroyer dans les moindres délais la sympathie avec célérité de libérer les avantages et indemnités, tandis que d'autres, nombreux, continuent à faire la queue, dans l'ultime espoir de voir enfin sortir des entrailles bureautiques les leurs ? La rue a vu, loin de la commission nationale pour le changement et la démocratie, défiler des fonctionnaires, sapeurs-pompiers, chercheurs universitaires, agents communaux. Cette classe de fonctionnariat de seconde catégorie n'était pas dans la sainteté du maître de l?officine des visas. Son accord n'était en fait qu'une amitié nourrie à l'égard d'un responsable sectoriel, quand son refus ne fut autre qu'une position personnelle pour décalage d'humeur. L'on y fait dans la relation strictement intuitu-personae. La législation du travail qui prévaut actuellement est presque identique à celle qui prévalait il y a moins de trente années. Hormis quelques qualificatifs creux et pompeux, elle demeure caractérisée par « de fortes disparités et inégalités, des réglementations hétérogènes, une absence de statuts et d'instruments de gestion des ressources humaines, et des distorsions en matière de salaires et d'indemnités » (*). Elle n'a pu que faire le lit aux bizarreries et autres étrangetés dans lesquelles la notion actuelle du travail chavire d'un pont à un autre. Enfin, d'un point de vue personnel à un autre. Le régime indemnitaire, le taux bonifié, l'effet rétroactif dépendent plus en grande partie d'une liaison de copinage que d'une sévère étude tenant lieu d'un brainstorming adéquat et efficace. Sur un autre plan, le texte réglementaire qui régente la carrière des cadres, nonobstant l'évolution du discours politique, ne semble pas s'imprégner outre mesure des axes appropriés inscrits dans la bonne gouvernance du capital humain. Les décrets exécutifs 226, 227, 228/90 du 25 juillet 1990 n'ont pu aboutir, par amendement, vers la symbiose que recommande cette bonne gouvernance telle que prônée dans les différents programmes. Ailleurs, l'on nomme par effet immédiat, ici l'on doit faire la chaîne de tous les avis, visas, accords, autorisations, permissions et encore ! Les dispositions qui, dans la philosophie cardinale de la fonction publique, l'originale, l'initiale, pas la nôtre, doivent viser sans préavis l'égalité des chances dans l'occupation de l'emploi supérieur, n'ont rien comme emprise dans la pratique des choses. A compétence égale, poste égal. Il est édifiant de constater que la divergence dans l'appréciation de la compétence d'un cadre puisse pivoter d'un extrême à un autre. La fonction publique se contente d'un pur formalisme. La différence ne s'installe pas dans la personne du cadre beaucoup plus qu'elle ne s'installe dans l'esprit de ceux qui sont appelés alternativement à l'apprécier. Excellent aux yeux des uns, il devient mauvais, nonchalant et indésirable aux yeux de l'autre. C'est la marginalisation. Le contraire est aussi de mise. Ce sera de la réhabilitation. Voici le circuit vicieux et ouvert des rouages de la sphère dirigeante. La compétence supposée être abstraite et sans couleur de région, de houma ou d'amicalité, hélas, reste rattachée à un nom. Elle n'est plus génératrice de postes de travail. Que de cadres éteints au crépuscule d'une vie professionnelle houleuse et atteints de traumatismes psycho-administratifs n'ont pu tenir l'équilibre aux barres parallèles du système. Sans le savoir ou feignant de l'être, les tenants du pouvoir n'auront été à une certaine finalité qu'un « minuscule rouage d'un mécanisme complexe », chacun à sa tablette, chacun préparant un morceau du dispositif qui se trame hors portée de vue et qui, en bout de chaîne, finirait inévitablement par broyer ceux-là mêmes qui l'ont conçu ! Voyez-vous, messieurs, la fonction publique peut paraître comme une révolution arabe, elle vous emmène, avec votre titre de potentat, dans les méandres nauséabonds de la postérité. (*) Etude relative au SGT. « Les cahiers de la réforme ». Janvier 1988. ENAG. 1989. |
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