
Une voix féminine en Egypte : «Nous avons voté hizb Al-Nour parce qu'ils nous
ont dit que voter pour eux c'est comme voter pour Dieu». Une autre voix, toujours
voilée : « J'ai voté pour le PLJ (vitrine politique des Frères musulmans) parce
qu'on m'a donné quelques kilos de semoule et de la viande». Revenez vingt ans
en arrière et vous verrez que rien n'a changé dans les pays arabes. Entre
l'appareil digestif et la peur ancestrale des fourneaux de Dieu, la rue arabe n'a
pas évolué, ratant lamentablement la marche du vingt et unième siècle, incapable
de zapper et de passer à autre chose. Figés dans le temps qui passe et scotchés
à la magnificence d'une époque révolue, les Arabes rêvent encore de Salah Eddine et des palais de Baghdad. Les
régimes, morts depuis la fin de la
Première guerre mondiale, restés en vie grâce à la
bienveillance des démocraties occidentales, ont été enterrés par la force des
cris et du sang. Surpris, dans un premier temps, par un soubresaut de l'encéphalogramme
arabe venu de Tunis, le Monde a vite fait de prendre la mesure de cette
nouvelle dimension prise par les peuples arabes, celle de la révolte et de la
réappropriation de l'espace confisqué. Morts les dictateurs, le Monde a pris
peur de la réaction en chaîne qui allait contaminer le reste des colonies et
c'est tout naturellement qu'ils sont venus à prendre en main cette rue, au
départ, spontanée. La Tunisie
allume la mèche, sans jeu de mots, et surprend tous les amis du dictateur, sous
tutelle d'un jupon, puis le feu se propage à l'Egypte. Les mêmes amis de
l'autre dictateur voient venir le coup et se préparent. Ils ne peuvent rien
faire contre la première vague qui lamine le vieux pharaon et sa tribu, mais
s'embusquent pour mieux «tout» contrôler. Le régime tombe en Egypte, toutefois
le système, lui, s'installe pour mieux durer. Les militaires, garants de la
sauvegarde du bon voisinage avec Israël, sont confrontés dans leurs certitudes
et la place Tahrir n'est plus vraiment la bienvenue
dans les discours moralisateurs de Washington et de Paris. «Qu'on en finisse !»,
semble répéter en écho le silence assourdissant des capitales occidentales en
direction des nouveaux morts du Caire qui ont voulu le départ de Tantaoui et de ses troufions. Passé le cas tunisien et
l'épisode égyptien, le Monde s'est juré de ne plus se faire surprendre par ces
départs de feu et a ressorti des vieux tiroirs les fameux Conseils nationaux de
Transition, les CNT, déjà mis à l'épreuve en Irak. Simples à monter, nourris
par profusion de dollars et de promesses de pouvoirs, ses membres sont connus, étiquetés,
prêts à l'emploi au moindre sifflet. Pour préparer le terrain, on fait appel
aux spins doctors, les snipers de la propagande
guerrière. L'invasion de la
Libye sur simple injonction d'une caricature de Lawrence
d'Arabie, le pétrole de la Libye
en guise de butin de guerre et la reconstruction de la Libye pour donner du travail
aux entreprises françaises. La
Syrie, son CNT va encore plus loin, lui, puisqu'il n'a pas
besoin d'un BHL en carton pour crier son allégeance à Israël. Son chef, outre
la promesse de couper et les ponts avec Téhéran, et les vivres au Hezbollah
libanais, a juré de renouer avec l'état hébreu. Une feuille de route claire, nette
et précise que confortent les réunions mesquines et hypocrites d'une Ligue
arabe à jeter à la poubelle de l'histoire. Les milliers de morts syriens
recensés par le seul CNT, repris en boucle par les médias acquis à la cause, sont
à prendre avec méfiance surtout en absence d'une logique de neutralité qui
fausse toute approche de la question. La désinformation, arme de destruction
massive, a déjà ruiné le monde arabe coupable d'écrire toujours au qalam. Et d'autres CNT sont en gestation dans le ventre
arabe, prêts à être projetés au-devant de la scène pour peu que ses promesses
de vente intéressent les acheteurs.