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Tu seras émeutier, mon fils !

par Amara KHALDI

Il fulminait de rage de ne pas pouvoir déchiqueter plus rapidement les lambeaux d'un portrait dont il piétinait avec une hargne inouïe les morceaux qu'il parvenait à arracher.

Lui, le perclus par une timidité maladive qui le condamnait à raser les murs pour se déplacer se découvre soudainement une proximité généalogique avec Attila et se mue en une menaçante créature bourrée de violence contre tous les symboles de la dawla. Enivré par les sermons des multiples gourous qui l'avaient « pris en charge » dés sa plus tendre enfance il se mute en une véritable boule de haine qui peut enfin mettre en pratique les préceptes sacrés d'un rédempteur chargé de purifier le pays d'une hérésie dont la présence l'oppressait. Il s'acharnait sur ce que les flammes avaient manqué de brûler de la photo d'un chahid napalmé illustrant les horreurs et les souffrances vécues peut être par son propre grand-père pendant la guerre de libération nationale. Il venait de la retirer des décombres encore fumantes du Musée du Moudjahid où des adolescents surexcités continuaient de disperser rageusement aux quatre vents les restes des objets et documents à moitié calcinés

L'auteur n'était ni un impitoyable tortionnaire inassouvi qui voulait reprendre d'une autre manière sa honteuse besogne qu'il estime prématurément interrompue par l'indépendance, ni un ancien collabo du colonialisme profitant, au crépuscule de sa vie, de l'occasion opportunément offerte pour se venger de ceux qui lui avaient pourtant pardonné sa pitoyable forfaiture et tendu la main du pardon ; mais un?enfant quelconque qui pourrait être le mien, le votre. Son âge n'excède guère les 15 ans !

La satisfaction du guerrier triomphant rayonnait sur les visages de quelques adultes positionnés en retrait, à une bonne distance du champ de bataille parmi lesquels certains, en contemplant les ruines noircies par le feu n'ont pu taire leur bonheur d'avoir ainsi pris une revanche sur le sort en réussissant à effacer les traces matérielles d'un passé qui les accable sans doute. Réaménager l'écriture de l'histoire qu'ils ont toujours considérée comme confisquée par d'autres a toujours été leur credo. Pour apaiser leur esprit torturé par une soif de vengeance inextinguible ils n'ont pas hésité à envoyer des bambins faire le sal travail.

Ailleurs le pillage des objets de valeur ou simplement le saccage stupide des équipements dont le seul effet est de paralyser leur activité pour pénaliser davantage le citoyen pouvait expliquer la furie de ces déferlantes ; mais que peut-on trouver d'intéressant à chaparder dans un musée à part quelques vieilles reliques, témoins de nos souffrances et quel est le rapport avec les difficultés dans lesquelles se débat la société.

Que connait ce boutonneux de la mal vie, lui le bien vêtu et le bien nourri auquel apparemment rien ne manque. Ses soucis ne sont certainement pas les prix du sucre et de l'huile encore moins la réécriture de notre mémoire collective ou la couleur du système. Quels sont alors les véritables ressorts qui animent cet élan destructeur et suicidaire au bout du compte.

Tant de rancœurs à cet âge là n'augure rien de bon pour l'avenir et interpelle sur l'urgence de la révision profonde de la perception que nous nous faisons de nous mêmes avant d'être submergés irrémédiablement par ce ras le bol que d'aucuns tentent imprudemment de relativiser ou de l'associer trop facilement à la cherté de la vie.Pour cela il est temps d'ouvrir d'autres chantiers de réflexion et surtout de nouveaux canaux de communication afin de libérer l'expression plurielle .L'expérience commande de ne plus se satisfaire des rapports lénifiants et trompeurs établis à partir des approches traditionnellement empruntées par les relais habituels sur lesquels compte l'état pour rester à l'écoute de la société, la comprendre et accompagner ses évolutions. (Associations, écoles ; mosquée, zaouïa etc.?)

Un arbre se reconnaît à ses fruits et si c'est cela l'aboutissement de leur soit disant immersion dans les profondeurs de la société pour déceler la moindre de ses pulsions et leur fameuse veille pédagogique il y a bien de quoi ne pas être rassuré sur l'espoir d'une évolution sereine et apaisée de la société.

Au moment décisif où le pays traversait la terrible tempête et avait le plus besoin de toutes ses capacités de défense, on constate avec amertume et désarroi la désertion de la scène et le silence assourdissant de la majorité des autoproclamés représentants du peuple qui se bousculent d'habitude impitoyablement pour être sous les feux de la rampe. Cette fois, il parait même que les guichets de départ de nos aéroports avaient été pris d'assaut. Les rats prévoyaient sérieusement de quitter le navire ! On ne sait jamais avec cette plèbe déchaînée.

Quelques cas de résistance menés par d'illustres anonymes ou des interventions de sages non affiliés (donc encore crédibles) ont réussi avec le langage du cœur à atténuer les ardeurs incendiaires et nous éviter l'humiliation de la forfaiture généralisée.

Les portes de l'enfer ne s'ouvrent pas aussi spontanément et encore moins aveuglément pour libérer tant de haine et de destructions sur le patrimoine de la communauté nationale.

Il est vrais que chacun a inévitablement sa petite revanche à prendre, ne serait ce que sur le sort, pour saisir au vol l'opportunité de régler des comptes avec l'origine de ses déboires : les établissements scolaires pour les exclus du système, les APC pour la distribution des logements, les bureaux de l'emploi pour les chômeurs, les recettes de contributions diverses pour les problèmes d'impôts etc.

Les causes d'insatisfaction ne manquent guère, au point où les commanditaires de ces troublent n'éprouvent aucune peine à fédérer toute cette masse de mécontents et confluer tous ces ruisseaux pour en faire des torrents impétueux capables d'ébranler les structures de l'état et le faire plier à leurs diktats.

Aux antipodes de l'histoire du sucre et de l'huile, l'objectif recherché était en réalité de dissuader l'état de s'aventurer dans certains no man's land et de tuer le veau d'or.

Derrière toutes ces mises en scènes burlesques et malheureusement dramatiques qu'on joue pour encore berner le pauvre et exploiter sa candeur au point de l'utiliser comme chair à canon il y a la raison cardinale : écarter, sinon tuer dans l'œuf, la menace de la normalisation des affaires et de tout ce qui gravite autour du monde interlope du bizness. Aucune explication rationnelle ne pouvait justifier la mise à sac d'un bureau de poste, d'un centre de santé ou des bureaux de l'état civil etc... Des pauvres marginaux actionnés de loin par les spécialistes de l'entourloupe cassaient et brûlaient à tour de bras tout ce qui leur tombait sous la main et livraient des batailles rangées à leurs semblables en uniformes, eux-mêmes enfants de ce peuple. Voilà le triste spectacle d'un pays atteint par l'endémie de la violence où les pauvres se bouffent le nez mutuellement pendant que les plus malins peaufinent les moyens de mieux les traire.

Après le cyclone tous les héroïques gladiateurs se sont réveillés une main devant, une main derrière et pas très fiers en face de l'étendue de la désolation qu'ils ont infligée à leur propre environnement et dont ils seront les premiers à en subir les conséquences parce qu'elle va compliquer encore davantage leur quotidien.

Qui peut nous affirmer que ces enfants ont des responsabilités aussi précoces pour aller au marché et se brûler au contact des prix du sucre et de l'huile et que cette situation les bouleversait à tel point qu'ils se révoltent et deviennent subitement des êtres dépourvus de raison .Y a-t-il une quelconque relation entre ces enfants et la cherté de la vie à part leur naïveté à croire au charlatanisme et surtout leur prédisposition naturelle à être une proie facile entre les mains des manipulateurs et autres laveurs de cerveaux.

Nous payons et nous continuerons à le faire le prix de la déshérence de notre culture et l'absence d'une prise en charge appropriée par des moyens capables de capter et de canaliser cette formidable énergie juvénile vers des projets plus constructifs. Pourrait-on un jour protéger cette prodigieuse jeunesse de l'influence néfaste des cercles mafieux de tous bords.

On aura remarqué qu'à chaque fois que l'on tente d'organiser le marché et de mettre en place les instruments qui permettraient d'en maîtriser les mécanismes, c'est le brasier qui s'allume « spontanément » avec son cortège de destructions. Pour stimuler le troupeau on tire l'une des cartes les plus mobilisatrices : l'Islam, le nationalisme, l'identité, la démocratie, le pouvoir d'achat etc. ?C'est en fonction de l'air du temps et de la tendance en vogue !

Ceux qui tirent les ficelles ont depuis longtemps découvert le talon d'Achille de l'état : un manque de constance et une frayeur démesurée des mouvements sociaux qu'il provoque parfois lui-même par son indécision et le manque de fermeté. Le reniement sans aucun état d'âme, de ses propres décisions devant la moindre petite menace du recours au langage de la rue, a encouragé les plus timorés à prélever leur dîme sur chaque projet de développement ou d'amélioration des conditions de vie. La méthode adoptée importe peu. Elle va du grotesque détournement des deniers publics au grand jour aux techniques les plus élaborées de l'évasion fiscale. Assurés de jouir d'une invraisemblable indulgence ils sont depuis longtemps convaincus qu'au delà d'une velléité de résistance vite abandonnée l'état finit traditionnellement par baisser pavillon et succomber à leur oukase. L'Algérien lambda se demande alors pourquoi dans ce cas attendre qu'il y ait autant de dégâts, de victimes et de désagréments pour offrir paradoxalement très souvent plus que l'objet des revendications originelles. Pour gonfler le moral des troupes et garder le feu sacré pour les prochaines étapes nos Néron nationaux n'éprouvent aucun gène à qualifier ces destructions et ces feux qui consument les biens de la communauté d'œuvres civilisatrices menées avec « un esprit citoyen pacifique » Ce sera le nouveau cheval de bataille de toute une campagne médiatique menée sous la haute supervision des maîtres à penser d'ailleurs spécialistes dans la distorsion de l'information. Sans aucun scrupule ils élèveront les auteurs de ces troubles au rang de héros de la démocratie et les regrettables victimes à celui de martyrs. Des modèles à suivre pour notre jeunesse en quelque sorte !

Toute réduction des prix est la bienvenue même si d'expérience on est convaincu qu'elle ne vivra que le temps nécessaire à nos trabendistes d'éprouver le sérieux de l'application des nouvelles règles mises en place à grand renfort de discours d'autosatisfaction et de trouver les moyens de les contourner ou carrément de les ignorer superbement. D'ailleurs les dernières exonérations de taxes accordées dans le but de soutenir le pouvoir d'achat des produits de large consommation n'ont permis qu'un fléchissement trompeur de courte durée dans les prix avant que ces derniers ne reprennent l'ascension avec plus de vigueur, entraînant dans leur sillage les autres marchandises. Quant aux avantages de ces largesses pompeusement clamées au nom du pauvre on se doutait bien qu'elles finiraient par renflouer les caisses des barons de l'import import. L'illustration parfaite du fameux « avoir le beurre et l'argent du beurre ! »

Ce genre de réaction pour parer au plus urgent demeure en deçà de la solution adéquate et participe juste d'une énième fuite en avant que le pays paiera au prix fort. La spirale des prix est devenue endémique et incontrôlable avec les moyens invariablement utilisés malgré leur inanité consacrée. Continuer, par dépit, à taper sur le pauvre commerçant du coin n'a aucune chance d'influer durablement sur les mécanismes du marché. A cause du laxisme et d'une coupable complaisance trop de mauvais comportements se sont ancrés solidement dans la culture de la société pour que demain le père de famille soit assuré de remplir son couffin avec des prix raisonnables et une qualité irréprochable. Trop de promesses sans lendemain nous ont gavé jusqu'à la nausée.

La véritable bataille à livrer se situe aux frontières : la maîtrise de la gestion des importations pour l'aval et la lutte contre l'hémorragie des produits de première nécessité vers les pays riverains. On peut bien, tant que nos ressources le permettent, palier à nos carences par l'importation massive et en catastrophe. Mais jusqu'à quand jouer le pompier ? Il y a des limites qu'il ne faut pas ignorer.

Dans l'attente de trouver des solutions autres que de faire turbiner à plein rendement la planche à billets, parions plutôt sur la longévité de l'accalmie produite par cette avalanche providentielle d'augmentations de salaires et de rappels pour les uns, de dégrèvements et d'exonérations d'impôts pour les autres.

Quant à compter sur une hypothétique indulgence de l'autre camp maintenant qu'il a éprouvé les capacités de résistance du pouvoir et goûté à la victoire facile, il faut en faire son deuil. Ce ne sera qu'un sursis de plus. Ce genre de triomphe décuple l'appétit et enfante beaucoup de prétendants et de héros !

Le véritable problème est ailleurs et il faut avoir la volonté de prendre à bras le corps l'éradication des causes profondes qui font le terreau de tous les malaises qui minent la société et imposer les solutions quelqu'en soit le prix à payer. La corruption, les passe-droits, l'impunité, le laxisme l'absence de justice sociale etc.?Ces phénomènes organiquement liés à l'absence de protection des biens de la communauté nationale et de contrôle de l'état ont permis l'érection vertigineuse de ces empires de la magouille à grande échelle qui accablent la société et la défient outrageusement par leur insolence à cause de leur origine notoirement douteuse.

Tant qu'il n'y a pas une distribution équitable des richesses et que l'écrasante majorité n'arrive pas à joindre les deux bouts alors qu'une infime partie se vautre avec une arrogance blessante dans des positions sociales injustement accaparées au vu et au su de tout le monde, l'émeute ne connaitra que des répits, des périodes de basse tension qui préparent dangereusement l'accumulation explosive. Elle ne s'éteindra qu'avec la disparition totale de ses causes ou du moins une volonté manifeste et sincère de les combattre. Notre Pays est-il condamné à garder ce profil bas et timoré dans la lutte contre ces fléaux pour ne pas heurter la susceptibilité de quelques hâbleurs prétendument soucieux des droits de l'homme et mettre en péril la stabilité de notre pays ? Dans les mêmes conditions comment réagiraient-ils chez eux ?