|
Envoyer à un ami |
Version à imprimer |
Version en PDF
A défaut de mer,
certains citoyens se contentent d'un peu d'eau.
A défaut de vacances, d'autres se limitent à une simple évasion banale et locale. A chacun son seau d'eau, à chacun son lot de complaintes. Le temps des vacances, dans le temps, n'était pas une échéance de colonie ou d'agence de voyage en Tunisie ou en Turquie. Encore moins la Omra n'e fut à la mode. La ville s'occupait de ses badauds autrement. Le 04 juin 1894, un conseiller municipal du nom de Bastide, évoqua amèrement son inquiétude face à la menace de la tombée en ruine de «la fontaine de la place nationale». Le maire de Sétif et tout le collectif communal en séance de travail reconnaissent alors le besoin et l'utilité primordiale de faire le nécessaire. Tout en optant de s'inscrire dans une position d'attente de fonds afin de «la démolir et de la reconstruire complètement», M. Aubrey, maire de la ville prit cette délibération comme substrat d'un projet qui allait à jamais marquer la cité. Il partit durant l'été 1896 à Paris où devait se tenir un salon universel. Féru par son idée, il demanda au Directeur des Beaux-arts son intercession en vue d'avoir pour sa ville un décor urbain symbolique et chargé d'émotion ou «une statue pour décorer la future fontaine de la place nationale.» Dans une lettre datée du 3 février 1898 le maire est tout heureux de lire une missive émanant du Directeur des beaux-arts lui annonçant : «(...) M. de Saint-Vidal pense avoir terminé son œuvre pour le prochain Salon où il désiderait qu'elle figurât ; elle serait dès la clôture du Salon expédiée à Sétif.» En ces temps là, il n'y avait pas encore de commission Bensalah et l'on suppose que la fonction du maire ne fut pas une simple affaire de charme citadin. Le charme certes peut envouter momentanément des électeurs mais jamais continuellement des citoyens. La statue représentant une femme nue à la longue chevelure, tenant à chaque main une amphore d'où coulait une eau limpide est l'œuvre sculptée de Francis de Saint-Vidal. Elle est assise et mise en relief sur un socle assez conséquent avec tout un environnement architectural. Cette assise homogène tenant lieu de piédestal a été conçue par un architecte local, un certain Eldin, connu alors pour avoir fait ses marques dans le Théâtre de Sétif. En ces moments là, l'architecture ne fut pas tout aussi une bureaucratie de DLEP, de bureau d'études où de permis de construire contrefaits, surnaturels et démoniaques. L'on ne construisait pas sur des lits d'oued, des trottoirs. L'on ne faisait pas dans les trois façades et le R plus X au dépens de l'art et de ses règles. Francione entrepreneur de son état avait la charge des travaux d'érection du socle et de la mise en place de la statue, travaux qui seront entièrement achevés en 1899. Avec ses entrepreneurs, l'on ne connaissait pas encore les arrivistes en p'tits «brouettistes» que l'arnaque et la corruption transforment en nobles faux constructeurs ayant pignons sur wilaya et toutes ses dépendances. Donc derrière toute cette histoire physique et marbrée subsiste la légende. D'une histoire d'amour entre une autochtone et un gouverneur, à celle d'un rêve où une fée surplombant la ville tout en l'arrosant d'une eau divine et bénite, le mythe perdure mais s'éloigne de l'allégorie et se concrétise dans une réalité. Ain-fouara, à l'instar de l'entente de Sétif et Sidi el Khier, n'est en fait qu'une référence séculaire à une ville, qui pourtant à toute une histoire de révolutions, d'hommes de lettres et de vaillants martyrs. Nonobstant ceci, elle demeure une source aquatique et culturelle. Les Sétifiens y tiennent beaucoup. Le temps a fait ses stigmates et l'insolence des gens a amplifié sa vitesse. Pourtant elle ne fut à travers les âges que bien visitée, voire vénérée. Qui de tous les présidents d'Algérie, de Ferhat Abbas, Ben Bella, Boumediene, Chadli, Zeroual à Bouteflika n'a pas tendu ses mains pour recevoir en leurs paumes cette eau douçâtre et désaltérante fusionnant ainsi mythe du retour et fable de bienfaisance ? Feu Boumedienne venant en 1967 annonçant son programme spécial s'est vu retourner plusieurs fois, jusqu'en juillet 1978, où la localité de Sétif aurait été son ultime visite à l'intérieur du territoire national. Des hommes illustres s'y sont abreuvés. Des ambassadeurs, des maires, des ministres étrangers. Edmond Hervé, Jacques Verges, Perben et autres personnalités du monde du show-business et de la culture. Abdelhalim Hafez fut de la partie. Enfin cette dame de pierre amorphe et sans grand éclat a vu se défiler par-devant son imperturbabilité tous les invités de la ville. Comme une clef, l'on ne peut pénétrer la forteresse sans avoir à y gouter d'abord de son suc aquatique. Benbadis, cheikh El Ibrahimi et Larbi Tebessi des Oulemas algériens, faisant l'accomplissement de leurs prières dans la mosquée d'à-côté (masdjid el attik à 20 mètres) n'ont à aucune occasion prédit un mauvais sort à cette statue pourtant nue et entièrement nue. Ils n'avaient pas appelé à sa destruction. L'on prêchait cependant l'éviction de certaines pratiques païennes entretenues par certaines gens tendant à un élan d'idolâtrie en lui offrant des bougies et du henné l'implorant pour exaucer des vœux. En 1997, objet d'un attentat terroriste, inouï et étrange, elle se trouve par l'effet dévastateur d'une bombe nocturne totalement désarticulée, démise et désagrégée. L'on voyait son cou, une partie de sa tête, son épaule, un de ses vase joncher le parvis. Désolation et stupéfaction.la réprobation fut générale. Elle aurait vécue, voire résisté cent ans. Son centenaire. Et c'est grâce à l'intervention dynamique, sereine et salutaire du wali de l'époque que la nymphe s'est «réintronisée» une seconde fois sur son piédestal. Cet homme à notre question de savoir comment et pourquoi la réparation eut lieu, tenait avec émotion à déclarer ? «Je me sentais obligé à plus d'un titre à le faire, vite et bien. En moins de vingt quatre heures, la dame Fouara a repris ses repères et s'est réinstallée sur son socle initial au bonheur de l'Algérie entière. Ceci, chemin faisant me parait être un miracle. Le record de sa restitution était un acte collectif, un combat d'ensemble contre la barbarie et l'aveuglement culturel. Ma détermination était également fortifiée par l'engouement de toute une population. J'étais pris d'une énorme émotion. Il y avait des gens qui pleuraient, j'ai vu et constaté une tourmente générale. Je devais agir face à l'angoisse que je partageais d'ailleurs, dans le sens des aspirations de tout ce monde. La remettre en place. Il y avait aussi cet enfant de Sétif vivant à Paris qui, le jour de l'attentat, s'est promis à ma demande de ramener l'esquisse architecturale du monument des archives d'Aix en province. J'avais décidé à l'époque de faire une réplique où le concours de deux artiste-sculpteurs, l'un français l'autre italien, fut sur le point d'être achevé .On voulait avoir une copie identique du monument. Ceci en prévision de tout aléa et pour parer à toute éventualité désastreuse du genre mais aussi pour la postérité historique et culturelle de la ville. C'est vous dire combien cette opiniâtreté sétifienne de vouloir vaincre la fatalité avait gagné de l'ardeur à aiguiser davantage mon attachement à cette localité. Je me rappelle aussi au moment de la «ré-inauguration» de Ain Fouara d'une forte charge symbolique. Dans les cris d'allégresse et les youyous, en voulant me désaltérer j'ai constaté à mes cotés une vieille femme, qui voulait le faire avant moi, au visage angélique, presque une madone, cheveux roux certainement de henné, les yeux scintillants, elle me demandait de la laisser boire, l'ayant servi instantanément en mes paumes? elle n'était plus là? elle a disparu ! Vous savez Ain Fouara est une fusion de légende et de réalité. Une histoire d'amour entre une population et son histoire». Cette fusion binôme de légende et de mythe se trouve aussi dans les litanies des cantiques romanesques du terroir*. Elle fut éternellement chantée, en permanence louée. 2011. A force d'agression et d'insouciance, la dame aux deux amphores risque de perdre tout son corps après avoir perdu son trait nasal et quelques unes de ses mèches bouclées. La cadence actuelle de la décadence en marche ne prédit pas pour elle un bel avenir. Ses jours sont en règle d'être comptés. Loin d'un acte attentoire, elle souffre du fi des autorités locales. Des dizaines de visiteurs s'agglutinent chaque jour à même son corps blessé, comme une grappe humaine pour les besoins d'une photo. Cette image désolante n'est pas propre à la seule fontaine. Elle s'applique en généralité à tout le corps social. L'usure gagne tout le monde. Du politique à la pierre, au plomb et au zinc. Le sport, voire l'entente est directement confondue avec le monument. C'est un rituel ancestralement local que toutes les coupes remportées par le club soient remplies par l'eau d'Ain fouara, après avoir «circambulé» autour autant de fois. Devant la décrépitude, le ruissèlement de partout, les fissures du socle, l'usure des goulots, les entailles de quelques parties de la statue, les obscénités inscrites, le griffonnage indélébile commis ; la municipalité est plus que responsable de la sauvegarde de ce monument historique. Une commission type Bensalah pour recevoir les propositions doit être mise sur pied au niveau de la cité. Elle doit faire quelque chose. Une solution rapide et énergétique doit être trouvée. Elle devra d'abord commencer par l'aménagement de ses alentours. Faire disparaitre l'hideux fer barreaudé qui l''encercle avec une touche de renaissance verdoyante du terre-plein lui faisant partie prenante. Un lifting, une toilette de jouvence à cette fontaine ferait éterniser son initiateur d'entre wali ou maire. Ce dernier ne semble pas emporté outre mesure par cette ardeur culturelle qui le «dépasserait» tel qu'il l'aurait affirmé récemment dans un entretien à un confrère. «Ain Fouara est une fusion de légende et de réalité. Une histoire d'amour entre une population et son histoire. Source de vie et de protection. L'on ne peut servir Sétif, sans l'aimer et sans s'y abreuver. Elle peut être synonyme de l'entente. Comme elle est le phare lumineux qui éclaire une certaine spiritualité citadine» ces propos émanent aussi d'un ancien wali ayant officié à Sétif. Et si l'actuel s'en inspirait, et procède ait à sa réhabilitation ? Enfin cette sensation n'est pas une exclusivité à l'antique Sitifis. Son schéma de désarroi reste extensible dans toute sa dimension à toutes les villes du pays. Chaque contrée à sa Ain-fouara. Sinon son conte et ses gémissements. Loin de toute tentation vacancière. *Samir Staifi sur un air nostalgique chantait cette prose versifiée alors par un auteur inconnu à un temps où la fontaine s'est subitement tarie: «L'on m'a rapporté que la source s'est asséchée Celle aux yeux ronds et cheveux ébréchés Ô toi qui viens du constantinois ne sois pas altéré Fouara est triste, résignée est-ce cela la destinée» |
|